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L’illusion des dépôts bancaires libanais avant 2019, un cas typique de Ponzi de haute volée

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Avant l’effondrement économique de 2019, le secteur bancaire libanais était souvent présenté comme un modèle de résilience, avec des dépôts atteignant environ 170 milliards de dollars à fin 2018, soit près de trois fois le PIB national. Cependant, la crise a révélé que ces chiffres masquaient une réalité bien plus sombre : une grande partie de ces dépôts n’étaient pas des fonds « réels » – c’est-à-dire du capital effectivement déposé par des épargnants – mais le produit d’un schéma de Ponzi orchestré par les banques commerciales et la Banque du Liban (BDL). Je vous propose une analyse quantitative détaillée pour estimer les dépôts réels, en décomposant les mécanismes d’amplification financière et en mettant en lumière l’ampleur de cette illusion comptable.

Dépôt nominal

Le dépôt nominal correspond à la valeur brute enregistrée dans les comptes d’une banque ou d’un système financier à un moment donné, telle qu’elle apparaît dans les bilans ou les relevés des déposants. C’est le montant total affiché, qui inclut :

  • Le capital initial déposé par les clients (le principal).
  • Les intérêts accumulés sur ce capital, qu’ils soient effectivement payés ou simplement crédités sur le compte.
  • Toute autre augmentation comptable (ex. réévaluations, profits fictifs).

En d’autres termes, le dépôt nominal est une mesure comptable brute, non ajustée pour des facteurs économiques ou financiers externes comme l’inflation, la dépréciation monétaire ou la viabilité des fonds.

Dépôt réel

Le dépôt réel, en revanche, représente la valeur « authentique » ou « effective » des fonds, après avoir retiré les effets artificiels ou illusoires qui gonflent le montant nominal. Il vise à refléter :

  • Le capital initial déposé par les épargnants, hors intérêts excessifs ou fictifs.
  • Une valeur ajustée pour des facteurs économiques (ex. inflation, pouvoir d’achat) ou des distortions financières (ex. taux artificiels, fraudes).
  • Une estimation de ce qui serait effectivement disponible ou récupérable dans un scénario réaliste (ex. liquidation ou crise).

Le dépôt réel est donc une mesure corrigée, souvent plus proche de la réalité économique sous-jacente, tandis que le nominal reste une abstraction comptable.

La distinction fondamentale réside dans le fait que le nominal est ce qui est affiché ou déclaré, alors que le réel est ce qui existe vraiment après ajustements. Dans un système financier sain, les deux peuvent être proches, mais dans un contexte de distorsion (comme un schéma de Ponzi), l’écart devient significatif, comme ici au Liban

Cadre conceptuel : Dépôts nominaux vs réels et parité monétaire

Les dépôts nominaux représentent la valeur brute enregistrée dans les bilans, incluant le capital initial, les intérêts accumulés et les conversions monétaires au taux officiel. Les dépôts réels, en revanche, isolent le capital effectivement déposé, nettoyé des rendements artificiels, des profits fictifs et des surévaluations monétaires. Un paramètre clé est la distinction entre parité nominale (taux de change officiel de 1 507,5 LBP/USD) et parité réelle, qui ajuste ce taux pour l’inflation relative et la valeur effective sur le marché parallèle (ex. 2 000 LBP/USD en 2018). Cette divergence monétaire, combinée aux pratiques d’ingénierie financière, amplifie l’écart entre les chiffres affichés et la réalité économique.

Données initiales et méthodologie

Les dépôts nominaux s’élèvent à 170 milliards USD à fin 2018 (Association des Banques du Liban), répartis en 83 % en dollars (141 milliards USD) et 17 % en livres libanaises (29 milliards USD au taux officiel). Pour estimer les dépôts réels, nous appliquons sept ajustements :

  1. Taux d’intérêt excessifs et capitalisation.
  2. Durée moyenne des dépôts (6 ans).
  3. Réévaluation des LBP à la parité réelle.
  4. Impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat.
  5. Recyclage des dépôts via la BDL (ingénierie financière).
  6. Effet Ponzi (profits fictifs).
  7. Fraude comptable.

Étape 1 : Ajustement à la parité réelle

Le taux officiel de 1 507,5 LBP/USD surévaluait les dépôts en LBP par rapport à leur valeur réelle. En 2018, le marché parallèle indiquait ~2 000 LBP/USD, reflétant une dépréciation implicite. Les 29 milliards USD en LBP deviennent :

  • Valeur réelle : 29 × (1 507,5 / 2 000) ≈ 21,8 milliards USD.
  • Total nominal ajusté : 141 + 21,8 = 162,8 milliards USD.

Étape 2 : Taux d’intérêt excessifs et effet composé

Les banques offraient 10 % sur les USD et 15 % sur les LBP, contre des taux « normaux » de 3 % (LIBOR) et 5 % (ajusté à l’inflation). Sur une durée moyenne de 6 ans avec capitalisation :

  • USD : Excès = 7 %, (1 + 0,07)^6 = 1,50.
  • LBP : Excès = 10 %, (1 + 0,10)^6 = 1,77.
  • BDL : 75 % des dépôts recyclés à 15 % (excès 12 %), (1 + 0,12)^6 = 1,97.

Étape 3 : Recyclage via l’ingénierie financière

La BDL, via des certificats de dépôt et des swaps, recyclait 75 % des dépôts (122,1 milliards USD) à 15 %, finançant ces rendements avec de nouveaux dollars. Les 25 % restants (40,7 milliards USD) étaient rémunérés par les banques :

  • Recyclés : 122,1 / 1,97 ≈ 62 milliards USD.
  • Non recyclés USD (35,25 milliards) : 35,25 / 1,50 ≈ 23,5 milliards USD.
  • Non recyclés LBP (5,45 milliards) : 5,45 / 1,77 ≈ 3,1 milliards USD.
  • Total avant autres ajustements : 62 + 23,5 + 3,1 = 88,6 milliards USD.

Étape 4 : Inflation et parité réelle (pouvoir d’achat)

L’inflation au Liban (4 %/an, cumul 26 % sur 6 ans) érode le pouvoir d’achat des LBP, tandis que l’inflation US (1,5 %/an, cumul 9 %) affecte marginalement les USD :

  • LBP : 3,1 × 0,74 ≈ 2,3 milliards USD.
  • USD : 85,5 × 0,91 ≈ 77,8 milliards USD (ajustement international prudent).
  • Total après inflation : 77,8 + 2,3 = 80,1 milliards USD.

Étape 5 : Effet Ponzi

Le système dépendait de nouveaux dépôts pour payer les anciens. Environ 10 % des dépôts nominaux (17 milliards USD) étaient fictifs :

  • Total ajusté : 80,1 – 17 = 63,1 milliards USD.

Étape 6 : Fraude comptable

Les bilans étaient gonflés par des actifs surévalués ou fictifs. Supposons 7,5 % des 162,8 milliards USD (12,2 milliards USD) :

  • Total réel : 63,1 – 12,2 = 50,9 milliards USD.

Fourchette finale

En tenant compte des variations (recyclage 70-80 %, fictifs 5-10 %, fraude 5-7,5 %), les dépôts réels se situent entre :

  • 50-70 milliards USD :
    • Conservateur : 70 milliards USD (hypothèses modérées).
    • Pessimiste : 50 milliards USD (distorsions maximales).

Analyse de l’écart : Ampleur du schéma de Ponzi

  • Dépôts nominaux : 170 milliards USD.
  • Dépôts réels : 50-70 milliards USD.
  • Écart : 100-120 milliards USD (59-71 % du nominal), décomposé en :
    • Intérêts excessifs : ~40-50 milliards USD (7-12 % sur 6 ans).
    • Surévaluation LBP/parité réelle : ~10-15 milliards USD (7,2 + inflation).
    • Ponzi et fraude : ~30-45 milliards USD (17 + 12,2).

Cet écart illustre une richesse fictive, volatilisée en 2019.

Le Ponzi à deux niveaux : Mécanisme et implications

Le système fonctionnait comme une pyramide de Ponzi bicouche :

  1. Banques commerciales : Attiraient les déposants avec des rendements artificiels (10-15 %), financés par des placements à la BDL, et non par des actifs productifs.
  2. BDL : Recyclait ces fonds à 15-20 %, payant les banques avec de nouveaux dollars, masquant la faiblesse économique (déficit commercial ~20 milliards USD/an).

La parité réelle (2 000 LBP/USD vs 1 507,5) accentue cette illusion : les 29 milliards USD en LBP perdaient ~25 % de valeur nominale, et l’inflation érodait davantage leur pouvoir d’achat. L’effondrement en 2019, déclenché par une crise de confiance, a révélé que seuls 29-41 % des dépôts étaient réels, le reste étant une bulle spéculative.

Une pyramide systémique

Le système bancaire libanais, avant la crise de 2019, opérait comme une pyramide de Ponzi sophistiquée à deux niveaux, impliquant à la fois les banques commerciales et la Banque du Liban (BDL) dans une interdépendance fatale. Ce mécanisme reposait sur une illusion de solvabilité entretenue par des flux constants de nouveaux dépôts, masquant l’absence de fondamentaux économiques viables.

Premier niveau : Les banques commerciales et les rendements artificiels

Au premier niveau, les banques commerciales jouaient le rôle d’attracteurs de capitaux. Elles offraient des taux d’intérêt exceptionnellement élevés – 10 % en moyenne sur les dépôts en dollars et jusqu’à 15 % sur ceux en livres libanaises (LBP) – bien au-delà des rendements observables dans des économies comparables (ex. 2-3 % pour le LIBOR en dollars à l’époque). Ces taux n’étaient pas soutenus par des investissements productifs ou des revenus réels, tels que des prêts à l’économie locale, qui était structurellement faible ( PIB de ~55 milliards USD en 2018). Au lieu de cela, les banques « finançaient » ces rendements en plaçant une grande partie des dépôts auprès de la BDL sous forme de certificats de dépôt (CDs) ou de prêts, à des taux encore plus élevés (13-20 %).

Ce premier niveau fonctionnait comme un Ponzi classique : les intérêts promis aux déposants existants étaient payés avec les fonds des nouveaux déposants, et non avec des profits générés par des actifs sous-jacents. Par exemple, un dépôt de 100 000 USD à 10 % sur 6 ans passait, avec capitalisation, à 177 156 USD nominalement – mais la banque ne disposait pas de liquidités réelles pour honorer cette somme sans nouveaux apports.

Deuxième niveau : La BDL et le recyclage des dollars

Le deuxième niveau impliquait la BDL, qui agissait comme le pivot central du schéma. Sous la direction de Riad Salamé, la BDL orchestrait des opérations d’ingénierie financière pour maintenir le peg monétaire à 1 507,5 LBP/USD et attirer des dollars frais. Elle offrait aux banques des rendements exorbitants sur leurs placements – jusqu’à 15-20 % sur les CDs en dollars ou LBP – dans des opérations souvent opaques (ex. swaps de devises, prêts garantis par des réserves). Ces taux étaient insoutenables sans un afflux continu de capitaux extérieurs, notamment des dépôts de la diaspora libanaise.

La BDL dépendait ainsi des nouveaux dollars déposés par les banques pour payer les intérêts qu’elle leur devait, qui à leur tour servaient à rémunérer les déposants. Ce recyclage systémique créait une double couche d’intérêts excessifs : 10-15 % aux clients, puis 15-20 % aux banques. Par exemple, sur 100 milliards USD recyclés à 15 % sur 6 ans, la BDL devait théoriquement rembourser 197 milliards USD (100 × 1,15^6), une somme qu’elle ne pouvait générer qu’en attirant encore plus de dépôts – une spirale insoutenable.

Effondrement de la pyramide

Comme dans tout schéma de Ponzi, le système s’effondre lorsque le flux de nouveaux entrants ralentit. En 2019, la crise de confiance, les troubles sociaux et la chute des entrées de devises (ex. remises de la diaspora) ont stoppé cette dynamique. Les retraits massifs ont révélé que les liquidités réelles disponibles étaient bien inférieures aux engagements nominaux, entraînant des restrictions bancaires draconiennes.

Dépôts réels vs nominaux : une quantification de l’illusion

L’analyse quantitative montre que les dépôts nominaux de 170 milliards USD étaient une façade comptable, tandis que les dépôts réels – le capital initial effectivement déposé par les épargnants – se situaient entre 60 et 80 milliards USD. L’écart de 90 à 110 milliards USD représente une richesse fictive, volatilisée lors de la crise.

Les 60-80 milliards USD réels

Ces fonds correspondent à la base « solide » du système : le capital initial versé par les déposants avant les amplificateurs financiers. Cette estimation découle de :

  • Retrait des intérêts excessifs : Les 7 % (USD) et 10 % (LBP) d’excès sur 6 ans réduisent les montants capitalisés (ex. 177 156 USD redeviennent ~100 000 USD).
  • Réévaluation LBP : Les 29 milliards USD en LBP valaient 21,8 milliards USD au taux parallèle.
  • Ajustements BDL : Les 75 % recyclés à 12 % d’excès sur 6 ans ramènent 122,1 milliards USD à 62 milliards USD.

Les 90-110 milliards USD « perdus »

Cette somme illustre l’ampleur de l’illusion :

  • Intérêts excessifs : ~40-50 milliards USD (intérêts cumulés au-delà des 3-5 % normaux).
  • Recyclage BDL : ~40-50 milliards USD (intérêts artificiels sur les placements à la BDL).
  • Ponzi et fraude : ~20-30 milliards USD (10 % fictifs + 7,5 % comptables).

Ces chiffres ne sont pas « perdus » au sens d’un vol direct, mais volatilisés car ils n’ont jamais existé sous forme de liquidités réelles – ils étaient des écritures comptables soutenues par la confiance dans le système.

Implications économiques et leçons

L’analyse révèle que les 170 milliards USD nominaux n’étaient qu’une vitrine, soutenue par un schéma de Ponzi d’une ampleur exceptionnelle. Seuls 35-47 % des fonds étaient réels, le reste étant une construction artificielle de rendements insoutenables, de recyclage monétaire et de manipulations comptables.

Une mécanique d’amplification exponentielle

Le double niveau de Ponzi amplifiait les distorsions : chaque dollar déposé générait des engagements multiples (intérêts aux clients, puis à la BDL), créant une croissance exponentielle des bilans sans base économique. Par exemple, 1 milliard USD à 10 % sur 6 ans devenait 1,77 milliard USD nominalement, puis 3,48 milliards USD si recyclé à 15 % par la BDL – une multiplication fictive financée par de nouveaux apports.

Fragilité et confiance mal placée

Cet effondrement illustre les dangers d’une politique monétaire reposant sur la confiance plutôt que sur des fondamentaux. L’économie libanaise, avec un déficit commercial chronique (~20 milliards USD/an) et une faible productivité, ne pouvait soutenir un secteur bancaire aussi hypertrophié. La BDL a masqué cette faiblesse en dopant les bilans via des taux artificiels, mais sans création de valeur réelle, le système était condamné à s’effondrer dès que la confiance s’érodait.

Une leçon brutale

Le cas libanais offre un avertissement universel : les systèmes financiers déconnectés de la réalité économique – où les dépôts nominaux dépassent largement les actifs productifs – sont des châteaux de cartes. La crise a montré que la « richesse » bancaire n’était qu’un mirage, laissant les déposants avec des pertes massives et une économie exsangue.

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