POURQUOI JE VOTE ET NON PAS POUR QUI JE VOTE, par Carol SABA

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Lettre ouverte à moi-même et aux français :
Large est la porte qui s’ouvre aux aventures périlleuses. Étroit est le passage qui, par l’expérience, mène au redressement de la France !
Par Carol SABA

« Entrez par la porte étroite, écrit Matthieu, Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent ».

Ma lettre ouverte ne s’adresse pas aux candidats, ni à aucun parmi eux. Ils sont tous dans « leur couloir » respectif, selon l’expression consacrée des commentateurs. Pour ma part, je dirai comme le prophète Jérémie, « qu’ils ont des yeux et ne voient point, Ils ont des oreilles et n’entendent point ». Ma lettre ouverte s’adresse aux français qui ont toujours été, de par leur histoire riche, passionnante et passionnée, attirés aussi bien par les croyances que les connaissances, profondément patriotes pour ne regarder que l’intérêt supérieur de la France éternelle, surtout pendant les périodes de grandes mutations et transformations comme la nôtre. C’est eux qui aujourd’hui, au-delà des conjonctures et des postures, détiennent les clés de ce passage de témoin qu’est devenue cette élection présidentielle, si cruciale et si centrale, à un moment « carrefour » pour notre destin national.

A la veille de ce premier tour, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, toutes les éventualités demeurent ouvertes. Le « sésame-ouvre-toi » du vote des français peut nous entraîner vers des aventures périlleuses qui pourraient être des abîmes sans fin, ou bien, s’il y a un sursaut de lucidité, nous orienter vers le « passage étroit » dont parle Matthieu dans son Évangile qui pourrait permettre à la France de se redresser de nouveau en Europe et dans le monde, en renouant avec sa mission d’universalité et de défense des vraies valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui caractérisent la France éternelle.

Comme tous les français, je suis perplexe et dubitatif. La période trouble qui est la nôtre, l’implique. Ses acteurs politiques aussi. Perplexe et dubitatif mais pas sans principe de décision. Pourtant, plus que jamais, pléthorique est le choix des candidats. Comme si cette multiplication des candidatures, où chacune se voit déjà « calife à la place du calife », est en soi un des symptômes de la décomposition politique française avancée qui appelle urgemment ressaisissement et remède, ainsi qu’une recomposition véritable, en profondeur et non pas un polissage de façade. Plus que jamais pèse sur ce scrutin la marque d’oscillation et d’ambivalence d’une opinion publique, volatile, troublée et fluctuante, voire même désorientée, ne sachant pas à qui confier son pain. Plus que jamais, le choix, déjà complexe et compliqué, se doit d’être encore plus lucide aujourd’hui que par le passé, pour discerner les enjeux et les menaces qui pèsent sur la France.

Avant de revenir sur ces ENJEUX, il y a certes beaucoup d’enseignements à tirer de cette campagne rocambolesque voir abracadabresque. Quelques constats ne feront pas de mal pour éclairer l’analyse.

Fini le temps en effet, où les campagnes électorales étaient relativement courtes et cristallisantes. Fini le temps où les marquages politiques, à droite et à gauche, étaient un bon curseur pour les uns et les autres pour séparer le bon grain de l’ivraie. Fini le temps où deux têtes arrivaient petit à petit à se dégager de la masse des candidats, créant une dynamique électorale d’adhésion autour de leur personne, en premier, puis de leur projet, en second. Fini le temps des grands rassemblements des familles politiques de part et d’autre, et bien au-delà. La marque du temps présent est celle de la division, de la décomposition, de la volatilité des soutiens, de l’incertitude de « qui est qui », « qui est avec qui », et « qui soutient qui ». Pas une famille politique n’échappe à ce constat terrible d’essoufflement, de divisions internes et de fausses apparences d’unité.

Fini aussi le temps de « l’homme providentiel », ce passeur, un chef capable de prendre la France par la main, avec charisme et détermination, pour assurer sa traversée d’une rive à l’autre. La perte de « l’homme providentiel » (sauf pour certains qui continuent à se penser ainsi) est traumatisante pour les français qui, surtout ceux de la Vème, se sont habitués à vouloir élire un tel président providentiel, à la fois « président-passeur » et « président-monarque », un président qu’on « sacre » comme un « monarque », qui décide de tout, de la pluie et du beau temps, tirant sa légitimité quasi monarchique du suffrage universel. Mais, il ne faut pas se leurrer, la mystique du « sauveur » avait bien commencé avec Napoléon qui instaura la logique du sacre quasi monarchique fondée de même sur une forme de plébiscite populaire. Et si la racine du « sacre » de la tête de l’Etat remonte à l’empereur qui continue à parler à l’imaginaire des français, force est de constater qu’elle ne s’est pas arrêtée avec lui, mais a traversé aussi tous les pouvoirs républicains des 5 républiques qui se sont succédées à ce jour en France. C’est ainsi que la mystique du sauveur napoléonien plébiscité par le peuple et par la force militaire, a été remplacée par la mystique politique de l’homme « providentiel », celle du Général de Gaulle qui, à l’instar de Napoléon, a été porté à la tête du corps étatique de la France en raison de la crise institutionnelle de la IVème République, puis par le suffrage universel mais aussi par son charisme d’homme providentiel, le chef militaire qui fit irruption dans l’histoire de la nation, qui la sauvé et la aidé à naviguer dans les eaux troubles des passages étroits de l’histoire éprouvante et éprouvée du XXème siècle.

Or, le traumatisme politique de notre époque réside dans le décalage qui se creuse depuis des années entre cette tradition bien ancrée dans l’inconscient des français (le besoin et l’attrait du président-monarque), et la réalité des hommes politiques d’aujourd’hui qui ne correspondent plus, aucunement, à cette figure tutélaire du président monarque que le Général de Gaulle a forgé dans l’inconscient français pour répondre à cette ambivalence historique bien française qui veut que les français aiment bien le roi mais ils aiment, en même temps, lui couper la tête !

Au-delà de ce trouble, le paysage politique est marqué aussi par un double déficit. Un déficit de discernement en premier, quant à la profondeur de la perspective historique qui est celle de ce grand pays qu’est la France. Du passé faisons table rase semble être la devise de l’époque. Tout cela est doublé par un autre déficit de capacité pour la France de se projeter dans l’avenir. Ce déficit de prospective stratégique ne peut être guéri que par une lecture discernée de ce qu’est la France et de ce que doit être sa politique stratégique face à des enjeux de taille dans un monde multipolaire marqué par la multiplication des foyers de tension, par l’affaiblissement des démocraties occidentales classiques, par l’hyperpuissance américaine compliquée, par la montée en puissance des puissances néo-impériales à gouvernance traditionnellement autocratique (Russie, Chine, Iran, Turquie etc.), par l’essoufflement de la gouvernance européenne et la perte en vitesse de sa légitimité, par la dislocation du couple franco-allemand, qui n’a d’unité que la façade de la diplomatie des photos, par une Allemagne réunifiée, puissante et dominante économiquement au centre de l’Europe au détriment d’une France affaiblie, par un Moyen Orient en ébullition, une poudrière prête à exploser, par une révolution digitale qui impacte toute la gouvernance politique des démocraties classiques, par un terrorisme radicalisée et identitaire qui instrumentalise la religion et qui exporte une terreur sans nom au cœur de nos Cités etc.

L’heure n’est pas au « bilan » de cette campagne ni au bilan de ses acteurs. L’heure est au « choix » qui doit être celui de l’intérêt supérieur de la France, le choix de la responsabilité face à des projets populistes et périlleux.

Les projets de « rupture » avec le « système » portent une radicalité certaine, identitaire pour les uns, révolutionnaire pour les autres. Ils ne sont pas sans risques systémiques pour la France. Ils constituent des projets de « saut dans le vide sans filet » car, au moment venu, face au test de la réalité, il sera plus difficile de faire que de dire, au risque de nouvelles tensions et crispations néfastes pour le moral du pays et son économie. La France menacée, affaiblie et fracturée, ne peut se permettre, à un moment si délicat de son histoire, d’ériger murs, fronts et frontières, de prendre tout le monde à contrepied, de remettre en cause alliances et partenariat et de se faire violence en clivant une bonne partie de la société française au risque de la fracturer encore davantage.

Le projet d’en face, celui de la « régénération » du système, moins radical d’apparence mais aussi risqué et périlleux que les projets de rupture. Ce projet cherche à changer les visages « visibles » du système sans pour autant rompre avec ses relais et soutiens « invisibles ». Cette « nouvelle société » s’apparente d’apparence à celle de Jacques CHABAN DELMAS qui exerça dans les années 60-70 du siècle dernier, un attrait certain sur les jeunes et les composantes de la société civile. Il n’en demeure pas moins, que ce projet exprime aussi, une forme de radicalité qui risque de fragiliser la France en cette période si délicate de son histoire. Sous couvert de renouvellement des visages et des pratiques, on se propose de faire table rase de la classe politique existante (même ceux qui ont, au prix de renoncement pour certains, soutenus ce projet), en remplaçant les politiques expérimentés par des personnalités de la société civile sans ancrage ni expérience politiques, ni connaissance des rouages de l’Etat et de la complexité des relations internationales et interétatiques. Ce projet accueillant à bras ouverts des soutiens venant d’horizons politiques radicalement opposés, risque non seulement « l’amateurisme » mais aussi l’absence de de toute synthèse politique crédible, cohérente, ciblée et véritable. En un mot, on perd encore 5 ans !

L’heure n’est pas au « bilan » mais au choix « responsable » que doit nous inspirer une lecture discernée des enjeux et des menaces qui pèsent sur nous. Ceux qui résultent aussi, du double essoufflement aussi bien de l’Union Européenne que de la Vème République, ce qui impacte de plein fouet la France. Le projet européen est en effet en panne. L’Europe d’aujourd’hui est une sorte d’immense paquebot, une sorte de TITANNIC qui prend l’eau mais dont le capitaine reste confiant. Dans cette Europe, la France subit aujourd’hui plus qu’elle en profite. Les trois grandes géopolitiques européennes qui se sont entrechoquées tout au long de la construction européenne sont aujourd’hui en panne, dans l’impasse. Le BREXIT a mis fin à la géopolitique britannique de « l’ile » qui, n’étant pas de la logique géopolitique continentale, voulait traiter avec l’Europe sur la base de l’axiome politique « y être, sans y être ». La France qui pendant longtemps a voulu imposer l’élargissement de l’Union Européenne vers le Sud de l’Europe, les pays du pourtour méditerranéen et de l’Afrique où traditionnellement elle a son influence, a succombé aux pressions allemandes qui ont imposé l’élargissement vers l’Est européen. Bien entendu, l’Allemagne a pu ainsi consolider son unité recouvrée avec la chute du mur de Berlin et a pu reconstituer sa géopolitique naturelle en dominant le Centre de l’Europe, mais aussi tous les rouages de la monnaie européenne et de la politique de la Banque Centrale Européenne. Résultat, un décrochage franco-allemand progressif, menaçant l’axiome du partenariat du couple franco-allemand, gage de stabilité et de développement politique et économique en Europe. La situation est aggravée en raison d’une Allemagne hyper puissante, qui creuse l’écart économique avec la France qui a décroché.

Il y a aussi l’essoufflement de la Vème République qui est en crise de vieillesse mal assumée. La Vème République épouse aujourd’hui tous les symptômes maladifs de la IVème République, qui était marquée par les scandales, les combines et les divisions politiques des partis qui plongeaient le système politique et institutionnel français dans une instabilité chronique, ouverte et perméable à toutes les compromissions. C’est pour mettre fin à ce système que le Général de Gaulle a été appelé à la rescousse et qu’il a eu les pleins pouvoir pour refonder les institutions et redresser la France. Ainsi, la naissance de la Vème n’a pas été une opération sans douleur. Elle a été le fruit de la crise institutionnelle exacerbée de la IVème République. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque, il y avait un recours national, la figure tutélaire du Général de Gaulle, capable d’imposer par son éthique et sa grande stature éthique un nouveau quasi consensus national. Il a voulu et réussi à réconcilier les français avec leur histoire, tout en les faisant entrer en modernité politique. D’où la Vème République, la dissuasion nucléaire, la préservation du rang de la France au sein des grandes nations, le redressement économique assuré et la figure du « président monarque » qui tire sa légitimité et sa légalité du suffrage universel et donc qui ne dure et perdure que si un système électif à la majoritaire lui donne la capacité législative et la légitimité populaire pour permettre au Général de dire « l’Etat c’est moi ! »

Cohérence, Expérience, Projet de redressement. Un triptyque qui guidera mon choix non pas d’une personne mais d’une personne, d’un programme cohérent et responsable, et d’une capacité de dégager une majorité capable de faire passer la France le cap étroit qui se présente devant elle. Large est la porte qui s’ouvre devant les aventures périlleuses. Étroit est le passage qui, par l’expérience, mène au redressement de la France !

Carol SABA, avocat à la Cour

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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