Amnesty International a jeté un pavé dans la mare ce mercredi en appelant à enquêter sur les attaques israéliennes contre des ambulances, des paramédics et des infrastructures de santé au Liban lors de la récente guerre avec le Hezbollah, les qualifiant de possibles « crimes de guerre ». Dans un rapport cinglant, l’organisation pointe du doigt des frappes répétées qui auraient visé des cibles protégées par le droit international, sans preuves tangibles de justification militaire. Alors qu’un cessez-le-feu du 27 novembre a mis fin à plus d’un an d’hostilités, dont deux mois de conflit total avec des troupes au sol israéliennes, les cicatrices restent béantes : plus de 4 000 morts, selon les autorités libanaises, et un système de santé en lambeaux. Entre accusations israéliennes contre le Hezbollah et démentis de ce dernier, ce dossier brûlant ravive les tensions dans une région encore sous le choc.
Conflit en chiffres : plus de 4 000 morts et un secteur médical dévasté
Le conflit entre Israël et le Hezbollah, qui a éclaté en octobre 2023 avant de s’intensifier en septembre 2024, a laissé le Liban exsangue. Selon les autorités locales, plus de 4 000 personnes ont péri sous les bombardements israéliens, avec des zones entières du sud, de l’est et des banlieues sud de Beyrouth lourdement endommagées. Les estimations officielles chiffrent les coûts de reconstruction à plus de 10 milliards de dollars, un fardeau écrasant pour un pays déjà fragilisé par une crise économique depuis 2019. Mais c’est le secteur médical qui a payé un tribut particulièrement lourd, pris en étau entre les frappes et les besoins criants d’une population sinistrée.
En décembre, Firas Abiad, alors ministre libanais de la Santé, dressait un bilan accablant : 67 attaques sur des hôpitaux, dont 40 ciblés directement, ont tué 16 personnes. Plus encore, 238 assauts sur des organisations de secours d’urgence ont fait 206 morts, avec 256 véhicules d’urgence — ambulances et camions de pompiers — pris pour cibles. Ces chiffres, livrés lors d’une conférence de presse à Beyrouth, ont mis en lumière une violence qui n’a pas épargné ceux censés sauver des vies. Amnesty International, dans son rapport publié mercredi, zoome sur quatre attaques précises entre le 3 et le 9 octobre 2024, à Beyrouth et dans le sud du Liban, qui ont coûté la vie à 19 travailleurs médicaux et blessé 11 autres, tout en détruisant ambulances et installations.
Amnesty accuse : des frappes « illégales » sur des cibles protégées
Le cœur du rapport d’Amnesty repose sur une accusation grave : « Les attaques répétées et illégales de l’armée israélienne durant la guerre au Liban sur des infrastructures de santé, des ambulances et des travailleurs médicaux, protégés par le droit international, doivent être enquêtées comme des crimes de guerre. » L’organisation a scruté quatre incidents spécifiques survenus début octobre 2024, où des frappes israéliennes ont ravagé des centres médicaux et des véhicules de secours. Résultat ? Dix-neuf morts parmi les soignants, onze blessés, et des ambulances ainsi que deux établissements réduits à néant ou gravement endommagés.
Ce qui frappe, c’est l’absence de preuves d’une utilisation militaire des cibles, selon Amnesty. « Nous n’avons trouvé aucune évidence que ces installations ou véhicules étaient utilisés à des fins militaires au moment des attaques, » insiste le rapport. Cette conclusion contredit directement les allégations israéliennes, qui accusaient le Hezbollah d’exploiter les ambulances de son Comité de santé islamique pour transporter combattants et armes. Amnesty a écrit à l’armée israélienne en novembre pour présenter ses findings, mais n’a reçu aucune réponse à ce jour. Contactée par l’AFP mercredi, l’armée n’a pas non plus commenté le rapport, laissant planer un silence pesant.
Israël vs Hezbollah : un ping-pong d’accusations
Durant le conflit, l’armée israélienne n’a cessé de pointer du doigt le Hezbollah, groupe soutenu par l’Iran. Selon elle, les ambulances affiliées au Comité de santé islamique, une branche du mouvement chiite, servaient de couverture pour déplacer des combattants et du matériel militaire. Ces accusations, martelées via des communiqués et des porte-parole, visaient à justifier les frappes sur des cibles médicales. Mais le Hezbollah a toujours nié en bloc, qualifiant ces allégations de « propagande » visant à légitimer des attaques sur des civils et des infrastructures essentielles.
Amnesty, dans son enquête, met en doute la crédibilité des justifications israéliennes. « L’armée israélienne n’a pas fourni de justifications suffisantes ni de preuves spécifiques de la présence de cibles militaires sur les lieux des frappes, » note l’organisation. Ce manque de transparence, couplé à la destruction d’un système de santé déjà fragile, a « mis des vies en danger, » ajoute-t-elle. Les frappes d’octobre, par exemple, ont non seulement tué des soignants mais aussi paralysé des secours dans des zones où chaque minute comptait pour les blessés sous les décombres.
Cessez-le-feu précaire : une trêve qui ne guérit pas
Le 27 novembre 2024, un accord de trêve a mis un terme à plus d’un an d’échanges de tirs et à deux mois de guerre ouverte, marqués par une offensive terrestre israélienne dans le sud du Liban. Cet arrangement, négocié sous pression internationale, a stoppé les combats qui opposaient le Hezbollah à Israël depuis octobre 2023, lorsque le groupe a ouvert un « front de soutien » à la guerre Hamas-Israël à Gaza. Mais si les armes se sont tues, les plaies restent ouvertes : des dizaines de milliers de déplacés, des villages rasés, et un secteur médical en ruines témoignent d’une crise loin d’être résolue.
La trêve, bien que saluée, n’a pas effacé les accusations de part et d’autre. Israël maintient que ses frappes visaient des cibles légitimes liées au Hezbollah ; le Liban, lui, dénonce une agression systématique contre sa population et ses infrastructures. Amnesty entre dans la danse en appelant à une enquête internationale, arguant que les attaques sur des cibles médicales violent les Conventions de Genève, qui protègent personnel et installations de santé en temps de guerre sauf preuve claire d’usage militaire.
Appel à l’ICC : un cri pour la justice
Face à ce qu’elle considère comme des « crimes de guerre, » Amnesty International presse le gouvernement libanais d’agir. « Le Liban devrait accorder à la Cour pénale internationale (CPI) la juridiction pour enquêter et poursuivre les crimes relevant du Statut de Rome commis sur son territoire, et garantir le droit des victimes à des réparations, » exhorte l’organisation. Le Statut de Rome, qui régit la CPI, inclut les attaques délibérées sur des civils et des infrastructures protégées parmi les crimes de guerre passibles de poursuites.
Le Liban, qui n’est pas partie au Statut de Rome, pourrait toutefois faire une déclaration ad hoc pour inviter la CPI à intervenir. Une telle démarche serait un signal fort, mais elle reste politiquement sensible dans un pays où le Hezbollah, acteur majeur du conflit, est aussi une force politique influente. Amnesty insiste : sans justice, les victimes — soignants tués, familles privées de soins — resteront sans recours, et le précédent d’impunité risque de se répéter.
Octobre 2024 : quatre frappes sous la loupe
Les quatre attaques scrutées par Amnesty se sont déroulées entre le 3 et le 9 octobre 2024, au plus fort de l’offensive israélienne. À Beyrouth et dans le sud du Liban, des frappes ont visé des ambulances et des centres médicaux, tuant 19 travailleurs de santé et en blessant 11. Des véhicules de secours ont été détruits, et deux installations médicales ont subi des dégâts majeurs. Ces incidents, survenus en une semaine, illustrent selon Amnesty une « répétition » troublante qui dépasse l’erreur isolée.
Dans chaque cas, l’organisation a cherché des signes d’activité militaire — combattants, armes, commandement — qui auraient pu justifier les frappes sous le droit international. Verdict : rien. Les ambulances roulaient, les centres soignaient, sans trace d’utilisation par le Hezbollah. Cette absence de preuve met Israël en porte-à-faux : en droit humanitaire, attaquer des cibles protégées sans justification claire est illégal, et potentiellement criminel si l’intention est avérée.
Un système de santé à l’agonie
Avant même la guerre, le système de santé libanais ployait sous les crises : une chute économique depuis 2019, l’explosion du port de Beyrouth en 2020, et les séquelles de la pandémie. La guerre a porté le coup de grâce. Les 67 attaques sur des hôpitaux évoquées par Firas Abiad ont vidé des établissements de leurs patients et soignants, tandis que les 256 véhicules d’urgence ciblés ont laissé des zones entières sans secours. Les banlieues sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, ont été particulièrement touchées, mais le sud rural et l’est n’ont pas été épargnés.
Amnesty souligne que ces frappes n’ont pas seulement tué : elles ont « affaibli un système de santé fragile, » rendant les soins inaccessibles à des milliers de civils. Dans un pays où les routes étaient déjà des coupe-gorge sous les bombardements, perdre ambulances et hôpitaux a transformé chaque blessé en victime potentielle d’un abandon forcé.
Silence israélien : une réponse qui ne vient pas
L’absence de réaction israélienne au rapport d’Amnesty intrigue. L’organisation dit avoir envoyé ses conclusions à l’armée en novembre, sans retour. L’AFP, cherchant un commentaire mercredi, s’est heurtée au même mur. Ce silence contraste avec les accusations répétées d’Israël contre le Hezbollah durant le conflit, où chaque frappe sur une cible civile était justifiée par une supposée présence militaire. Sans preuves publiques pour étayer ces claims, le doute s’installe : stratégie délibérée ou erreurs en cascade ?