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Chronique: Le Liban, roi de la méthode Coué

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Si Émile Coué, ce pharmacien français un peu perché qui croyait qu’on pouvait tout régler en se susurrant des petits mots doux, posait un pied au Liban en 2025, il serait à la fois bluffé et horrifié. On a pris sa méthode d’autosuggestion et on en a fait une caricature nationale, un déni si extravagant qu’on pourrait le mettre en bouteille et l’exporter avec l’étiquette « Made in Lebanon ». Depuis trente ans, on se répète que tout va bien, que le champagne coule plus fort que les larmes, que les menaces d’Israël ne sont qu’un bruit de fond. « Yalla, on positive tout, » qu’on se dit, pour ne rien finir par voir ni même à faire. Les banques nous pillent, les politiciens nous rient au nez, les nouveaux riches jouent les nababs avec de l’argent virtuel, et nous, on snobe ceux qui crèvent la dalle sous nos yeux—including les nouveaux pauvres d’aujourd’hui, ruinés par une crise qui n’en finit pas. On est des génies, vraiment—des génies de l’aveuglement et de l’indifférence.

Taif : le grand cirque commence

Tout commence en 1990 avec l’accord de Taif—un bout de papier censé recoller les morceaux d’un Liban éclaté par la guerre civile, un pansement sur une jambe gangrénée. Les chefs de milices rangent leurs kalachs pour des costards mal taillés, et nous, épuisés ou juste naïfs, on décide d’y croire : « C’est fini, on repart de zéro ! » qu’on claironne en commandant une bouteille de Moët pour l’occasion. Sauf que ces vautours n’ont rien lâché—ils ont juste changé d’armes, troquant les balles pour les billets. Le système confessionnel reste en place, la corruption s’installe comme chez elle, et on positive à fond : « Le Liban, ça rebondit toujours, ya habibi, » pendant que tout pourrit en silence.

Les années 2000 : bulles et bombes

Les années 2000 débarquent, et là, on atteint un niveau d’absurde qui mériterait un Oscar du meilleur scénario catastrophe. L’assassinat de Rafic Hariri en 2005—une explosion monstre qui déchire Beyrouth, un choc national, un cri qui résonne encore. On lance la Révolution du Cèdre, on vire les Syriens, on hurle « liberté » dans les rues, et puis… rien, walou, nada. Les politiciens se chamaillent comme des tatas à un mariage, Hezbollah transforme le Sud en bunker géant, et Israël commence à montrer les dents avec des menaces bien senties : « On peut vous raser en un claquement de doigts, » qu’ils grognent, leurs avions frôlant nos immeubles.

Et puis il y a 2006, la guerre avec Israël—33 jours de bombardements, des villages en cendres, plus de mille morts, des menaces qui deviennent réalité. Leurs drones survolent nos têtes, leurs généraux promettent pire encore si on bouge un cil. Ça aurait dû être un électrochoc, un moment où on se dit : « Faut qu’on se bouge, là. » Mais non, on positive tout : on reconstruit en vitesse, on rouvre les clubs à Gemmayzé, Monnot est passé de mode, on fait péter le champagne pendant que des familles pleurent sous les gravats. « On est résilients, » qu’on fanfaronne, la bouche pleine de caviar, les yeux fermés sur la douleur des autres—parce que voir, ça gâcherait la soirée.

On aurait pu tirer des leçons, serrer les coudes, regarder en face ce pays menacé et fracturé. Mais c’est trop demander. « Yalla, maalesh, » qu’on marmonne, et on retourne à nos vies, snobant les victimes comme si leur misère était une faute de goût dans notre décor glamour.

Les années 2010 : banques et mépris total

Les années 2010, c’est là qu’on perfectionne l’art du « je m’en fous » avec un style inimitable. La guerre en Syrie nous balance un million de réfugiés—des âmes brisées qu’on entasse dans des camps pendant qu’on sirote des mojitos à Batroun, sans jamais croiser leur regard. La crise des ordures en 2015 transforme nos rues en décharge publique, et au lieu de s’énerver, on filme les poubelles pour rigoler sur Snapchat—positiver, toujours positiver. Les banques, ces magiciens en costard, nous font croire qu’on est riches, qu’on peut claquer 500 dollars par nuit au Skybar, pendant qu’elles planquent notre argent sous des cocotiers à Dubaï.

Et voilà les nouveaux riches de ces années-là, des parvenus sortis de nulle part, qui affichent des montres en or et des 4×4 rutilants, vivant dans un monde virtuel de comptes en banque gonflés par des chiffres magiques. Eux, ils pensaient que l’argent facile, c’était pour toujours—jusqu’à la panique bancaire de 2019, quand leurs millions virtuels se sont évaporés comme un mauvais rêve. « Mais où est mon cash ? » qu’ils pleurnichent, sans capter que l’époque des miracles est finie, qu’il faut bosser maintenant. Pendant ce temps, les banquiers, ces vautours en costard, s’enrichissent crise après crise, piochant dans les subventions de la Banque du Liban (BDL) comme si c’était un buffet à volonté, pendant qu’on rationne les retraités à 100 dollars par mois.

Israël, lui, ne lâche pas l’affaire : « On peut tout détruire si Hezbollah éternue, » qu’ils répètent, leurs avions et drones jouant les rappels constants au-dessus de nos têtes. On hausse les épaules, on se dit que c’est loin, que ça ne nous touche pas vraiment. Et puis 2019 arrive, et paf, la mascarade s’effondre : les banques ferment les guichets, la livre plonge dans les abysses, et les gens font la queue pour récupérer un billet froissé. Les riches virtuels deviennent les nouveaux pauvres, hagards devant des ATM vides, pendant que les vrais nouveaux pauvres—ceux qui n’avaient déjà rien—tombent encore plus bas. Les riches authentiques, eux ? Ils commandent des magnums de Dom Pérignon pendant que des mères fouillent les pharmacies vides pour du lait en poudre.

Où est notre empathie, hein ? On positive tout : « Ça va s’arranger, c’est le Liban, » qu’on serine, mais pour qui ? Pas pour les gamins qui vendent des fleurs fanées sur la route, pas pour les vieux qui dorment dehors. Et gare à ceux qui osent le dire à voix haute—les « party poopers », ces rabat-joie réalistes qui pointent du doigt la merde ambiante. Eux, on les met au ban, on les snobe dans les dîners, on les traite de pessimistes parce qu’ils brisent l’ambiance. Dénoncer le chaos, c’est s’exclure du club, et au Liban, le club, c’est tout ce qui compte.

2020 : le port et l’indifférence absolue

Le 4 août 2020, l’explosion du port de Beyrouth nous met une claque monumentale. 2750 tonnes d’ammonium nitrate stockées là par pure incompétence—200 morts, des milliers de blessés, une ville en ruines. Israël saute sur l’occasion : « On peut faire pire, attention, » qu’ils lancent, leurs drones bourdonnant au-dessus des débris, leurs menaces planant comme une ombre noire. Une catastrophe pareille aurait dû nous ouvrir les yeux : un pays vendu par des incapables, menacé par des voisins qui n’attendent qu’une excuse, à deux doigts de s’effondrer complètement.

Mais non, on fait ce qu’on fait de mieux : on positive. On pleure deux jours, on poste #BeirutStrong sur Insta, et on jure qu’on va reconstruire—avec quel argent, on sait pas, mais yalla, on verra. Les politiciens promettent des enquêtes qui finissent dans le vide, les riches s’envolent pour Dubaï, et les victimes ? Elles dorment dans les carcasses de leurs maisons pendant qu’on sirote des cocktails sur les rooftops encore debout. On snobe leur douleur, leur désespoir, comme si c’était leur faute d’être là, sous les gravats, pendant qu’on sauve les apparences.

Trente ans à fermer les yeux

Alors voilà où on en est, février 2025 : un pays en lambeaux, mais avec une arrogance qui ne faiblit pas. L’électricité ? Un vague souvenir, deux heures par jour si on a de la chance. La livre libanaise ? Bonne à allumer un barbecue ou à caler un meuble bancal. Et puis il y a la dernière guerre avec Israël, d’octobre 2023 à novembre 2024—un carnage qui a ravagé le Sud-Liban, la Bekaa, et même Beyrouth, avec des bombardements massifs, des dizaines de milliers de déplacés, et une occupation israélienne du Sud qui n’est toujours pas finie. Ils sont là, leurs tanks et leurs checkpoints, et on fait semblant que c’est temporaire, qu’ils partiront un jour. « On a survécu, » qu’on se dit, comme si survivre était une victoire.

Israël promet toujours de nous réduire en poussière si Hezbollah bouge un cil, leurs avions survolant nos vies comme une menace qu’on refuse d’entendre. Et nous, qu’est-ce qu’on fait ? On va au resto avec nos derniers billets, on commande une bouteille hors de prix qu’on réglera en prières, et on se trouve fabuleux, uniques, exceptionnels. Les nouveaux riches des crises récentes—ces malins qui ont surfé sur le chaos, ces banquiers qui ont siphonné les subventions de la BDL—continuent de parader, pendant que les riches virtuels pleurent leurs comptes bloqués et que les nouveaux pauvres, ces ex-classes moyennes ruinées, sombrent dans l’oubli.

Pendant ce temps, des vieux fouillent les poubelles pour un bout de pain, des gamins vendent des mouchoirs au bord des routes, des familles entières s’entassent dans des taudis sous la menace constante d’une guerre qui n’en finit pas. Et nous ? On détourne les yeux, on positive tout : « C’est le Liban, on vit malgré tout, » qu’on clame, la bouche pleine de tabboulé et le cœur vide. La méthode Coué, chez nous, c’est pas juste une façon de fuir la réalité, c’est une excuse pour snober ceux qui souffrent, pour prétendre que leur misère n’est pas notre problème.

On se répète qu’on est des phénix, qu’on renaît toujours de nos cendres. Mais regardez autour de vous : les cendres s’accumulent, et on n’a rien reconstruit de solide depuis trente ans. On préfère la nostalgie— »Ah, Beyrouth, la perle de l’Orient ! »—aux queues devant les pharmacies vides, aux pleurs des mères qui n’ont plus rien à donner à leurs enfants. On célèbre notre « résilience » comme une médaille d’or, mais c’est une médaille en toc, payée par l’indifférence et le mépris. Et si tu oses le dire, gare à toi : les réalistes, ceux qui refusent ce délire collectif, sont des parias, exclus des WhatsApp de groupe, bannis des soirées, parce qu’ils osent casser le mythe.

Bouge-toi, ou crève

Et si on arrêtait, pour une fois ? Si on virait ces clowns qui nous gouvernent depuis des décennies, ces voleurs qui se gavent pendant qu’on crève ? Si on récupérait notre argent, planqué dans des coffres suisses ou des villas à Monaco, pour construire un pays qui ne laisse personne sur le carreau ? La révolution de 2019 a essayé, hein—on a crié dans les rues, on a rêvé d’un Liban humain, d’un endroit où les menaces d’Israël et l’occupation du Sud ne nous paralysent pas. Mais on s’est fatigués, on a rangé nos pancartes, et on est retournés à nos petites vies minables, à nos « yalla, ça ira ».

Ça demande du courage, pas juste des affirmations à la Coué. Il faut affronter la vérité : le système confessionnel est une prison, les politiciens sont des parasites, les banquiers des escrocs qui se goinfrent sur notre dos, et Israël une épée au-dessus de nos têtes avec ses troupes toujours au Sud. Il faut arrêter de positiver pour ne rien faire, et commencer à agir—pour les pauvres, pour les oubliés, pour tous ceux qu’on snobe parce que leur douleur gâche notre photo Instagram.

On pourrait investir l’énergie du diaspora, l’argent qu’on claque en champagne, dans des écoles, des hôpitaux, une économie qui ne repose pas sur des dettes et des mensonges. On pourrait tenir tête aux menaces israéliennes et à cette occupation qui traîne, avec autre chose que des haussements d’épaules. Mais ça veut dire ouvrir les yeux, arrêter de snober ceux qui tombent, et ça, c’est pas notre fort.

Réveille-toi, bon sang

On est en février 2025, et le Liban n’est plus qu’un décor de théâtre miteux. Les bouteilles sont vides, les dettes s’entassent, les menaces d’Israël grondent, l’occupation du Sud dure, et les pauvres qu’on ignore nous regardent avec des yeux qui hurlent ce qu’on refuse d’entendre. On pourrait changer, retrouver un peu d’âme, arrêter de jouer les héros pendant que d’autres suffoquent sous la faim, la peur, et les ruines de la dernière guerre. On pourrait construire quelque chose de vrai, un pays où personne n’a à mendier sous les drones qui survolent nos têtes ou les tanks qui squattent nos terres.

Mais soyons honnêtes, on va sans doute continuer. On va commander un dernier verre tiède, lâcher un « maalesh » bien senti, et snober ceux qui crèvent en silence—les nouveaux pauvres, les ex-riches virtuels, tous ceux que la crise a broyés. « Yalla, on positive tout, » qu’on dira, pour ne rien finir par voir ni même à faire. Et si tu tentes de briser ce mur de déni, de parler cash, bonne chance : tu seras le « party pooper » qu’on met à l’écart, le réaliste qu’on traite de rabat-joie, parce qu’ici, voir la vérité, c’est trahir la fête. Coué nous applaudirait pour le spectacle, mais il nous collerait une baffe pour ce qu’on est devenus—des champions du vide, des rois sans couronne, des cœurs secs sous des costards trop chers. Et il aurait sacrément raison.

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