Il est difficile de ne pas s’incliner devant le génie stratégique de l’Association des Banques du Liban (ABL). À chaque nouvelle sortie médiatique, l’ABL nous rappelle combien elle se soucie des déposants, de l’économie nationale et, bien sûr, de la justice divine. Cette fois-ci, c’est en s’érigeant contre les méchantes propositions du FMI qu’elle se surpasse. Imaginez, le FMI ose proposer des restrictions légales sur les retraits et les transferts à l’étranger ! Sacrilège ! Heureusement, l’ABL veille au grain, brandissant la menace d’une fatwa économique à qui oserait toucher à son sacro-saint droit d’auto-régulation, réservé à une élite corrompue pour transférer discrètement à l’étranger des sommes détournées.
Depuis 2019, les Libanais vivent une expérience immersive unique : le capital control à la libanaise. Pas besoin de lois ennuyeuses ou de débats parlementaires, non ! L’ABL a créé une dystopie financière où la logique et la légalité sont restées à la porte. Bien sûr, ce contrôle informel des capitaux ne concernait que le commun des mortels, laissant à l’élite corrompue toute liberté de transférer discrètement leurs fonds détournés à l’étranger. Alors, quand elle clame aujourd’hui que les restrictions légales proposées par le FMI nuisent aux dépôts, cela ne peut qu’inspirer un profond respect pour ce sens inné de l’ironie.
Le FMI : ce vilain bouc émissaire
Le FMI, avec sa manie de vouloir instaurer de la transparence et des réformes, mérite bien cette volée de bois vert. Quel culot d’oser suggérer un cadre légal pour les retraits bancaires ! Comme si les Libanais avaient besoin de savoir à l’avance combien ils peuvent retirer, quand et sous quelles conditions. Non, non, la surprise fait partie du charme libanais ! Aujourd’hui, vous pouvez retirer 200 dollars par mois, demain peut-être 100, ou pourquoi pas rien du tout ? C’est ce frisson quotidien qui pimente la vie économique au pays du Cèdre.
L’ABL se bat donc pour préserver cette ambiance si spéciale. Imposer des règles, c’est aller contre la tradition libanaise de l’improvisation. Et puis, soyons honnêtes, pourquoi des lois quand on peut avoir des circulaires internes des banques, changeant au gré des humeurs de leurs conseils d’administration ?
Le dépôt bancaire : une notion floue
Pour l’ABL, les dépôts bancaires ne sont pas simplement de l’argent confié aux banques avec une promesse implicite de restitution. Non, ils sont devenus une sorte de concept philosophique. Un dépôt est un peu comme une étoile dans le ciel nocturne : on sait qu’il a existé, mais ce que l’on voit n’est qu’une illusion lointaine. Oui, votre argent est quelque part, mais où exactement ? Mystère !
D’ailleurs, l’ABL excelle dans l’art de la pédagogie financière. Grâce à elle, des millions de Libanais ont découvert que leur compte en dollars n’est pas vraiment en dollars. Le fameux « lollar » est né ! Une monnaie virtuelle, non reconnue ailleurs que dans les livres comptables des banques libanaises. À côté, la crypto-monnaie ressemble à un modèle de stabilité.
Contrôle des capitaux : une tradition familiale
Revenons en 2019, où l’ABL a, dans un élan de générosité, instauré un contrôle des capitaux d’un genre nouveau : illégal, non écrit, mais fermement appliqué. Pendant que le Parlement débattait de l’opportunité d’adopter une loi en bonne et due forme, les banques, elles, n’ont pas perdu de temps. La loi ? Pour quoi faire ? Quelques vigiles à l’entrée des agences bancaires, des directeurs introuvables, et le tour est joué !
Pour beaucoup, voir leurs économies se transformer en chiffres inutilisables sur un écran a d’abord provoqué de la colère. Mais, avec le temps, cela a suscité une forme de résignation stoïque. Les Libanais sont devenus des philosophes modernes, méditant sur la vacuité de la richesse matérielle.
L’art de la victimisation
Aujourd’hui, l’ABL se présente comme la victime d’un complot ourdi par le FMI et quelques politiciens populistes. Selon elle, si l’économie libanaise va mal, c’est la faute aux manifestations, au Covid-19, à la guerre en Ukraine, au changement climatique, à Mercure rétrograde… Mais certainement pas à la gestion bancaire locale !
D’ailleurs, les banques libanaises ont tout sacrifié pour aider leurs clients. N’ont-elles pas permis aux plus chanceux de transférer leurs fonds à l’étranger dès 2019 ? Les proches, les initiés, ceux qui avaient le numéro personnel du directeur… eux, au moins, ont pu sauver leur argent. Une belle démonstration d’efficacité, non ?
La moralité bancaire : un modèle exportable
L’ABL, en véritable phare de la morale bancaire, pourrait inspirer d’autres nations. Imaginez un monde où chaque banque pourrait, en toute liberté, décider quand et comment rendre l’argent de ses déposants. Où les contrats bancaires seraient interprétés comme de simples suggestions. Où la liquidité serait un concept relatif, adaptable selon l’humeur du jour.
Le FMI, dans son obstination aveugle, veut ruiner cette utopie. En imposant des restrictions légales claires, il mettrait fin à cette flexibilité si chère aux banques libanaises. Il forcerait les banques à rendre des comptes, à assumer leurs responsabilités, voire à rembourser l’argent des déposants ! Où va le monde ?
Merci, l’ABL !
En somme, l’ABL mérite toute notre gratitude. Grâce à elle, le Liban a prouvé au monde qu’il est possible de réinventer le système bancaire. Qui d’autre aurait pu transformer des banques commerciales en musées de l’argent perdu ?
Il ne nous reste plus qu’à espérer que cette noble institution continue de nous protéger des dangereux plans du FMI. Et qui sait, peut-être qu’un jour, un miracle se produira, et que les déposants pourront retirer leur argent. Mais pas tout de suite, bien sûr. Il ne faudrait pas perturber ce bel équilibre fragile.