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État faible, société forte : comprendre le paradoxe libanais face à la crise systémique

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Un État à bout de souffle, incapable de remplir ses missions fondamentales

Depuis plusieurs années, le Liban offre l’exemple saisissant d’un État en déliquescence. Les services publics sont désorganisés, les infrastructures s’effondrent, les mécanismes de gouvernance sont paralysés par les blocages institutionnels et les scandales de corruption se succèdent sans fin. L’appareil administratif libanais, gangrené par le clientélisme et l’inefficacité, est incapable d’assurer la continuité des fonctions essentielles de l’État : éducation, santé, sécurité, justice. Les institutions politiques, de leur côté, sont discréditées par leur incapacité à produire des politiques publiques cohérentes et à répondre aux attentes de la population. Pourtant, malgré cet effondrement étatique progressif, le Liban continue de fonctionner à sa manière, porté par une société civile extraordinairement résiliente et inventive.

Une société civile hyperactive : moteur invisible de la survie nationale

Face à l’absence de l’État, la société libanaise a développé des mécanismes autonomes de survie. Associations locales, ONG, réseaux de solidarité communautaires et initiatives privées prennent en charge des missions traditionnellement dévolues aux pouvoirs publics. Dans le domaine de la santé, par exemple, de nombreuses cliniques gratuites fonctionnent grâce à des financements privés ou internationaux, compensant la faillite du système hospitalier public. Dans l’éducation, des initiatives citoyennes assurent la continuité pédagogique là où l’État n’intervient plus. Cette capacité d’auto-organisation, ancrée dans une culture de la débrouillardise héritée des décennies de guerre civile et de crise économique, permet au Liban de tenir malgré l’effondrement de ses structures officielles. Elle témoigne d’une force sociale remarquable, mais elle souligne aussi l’incapacité de l’État à remplir son rôle fondamental de garant du bien commun.

Le confessionnalisme comme double moteur de fragmentation et de résilience

Le système confessionnel, souvent décrit comme le principal obstacle à la construction d’un État moderne au Liban, joue également un rôle ambivalent dans la dynamique de résilience sociale. Chaque communauté religieuse dispose de ses propres réseaux d’entraide, de ses infrastructures éducatives, sanitaires, sociales. En l’absence d’un État fort, ces réseaux assurent un minimum de services et de protection à leurs membres. Toutefois, cette logique communautaire contribue également à renforcer la fragmentation sociale et politique du pays. Chaque communauté vit dans une semi-autarcie fonctionnelle, renforçant les clivages et empêchant l’émergence d’un sentiment national partagé. La résilience communautaire compense donc l’effondrement de l’État tout en empêchant la construction d’une gouvernance nationale unifiée.

Les limites structurelles de la substitution sociétale

Si la société civile libanaise parvient à pallier certaines carences étatiques, cette dynamique de substitution atteint rapidement ses limites. Les ONG, les initiatives citoyennes et les réseaux communautaires ne peuvent se substituer durablement à des politiques publiques coordonnées à l’échelle nationale. La multiplication des initiatives locales, non harmonisées, conduit à des disparités territoriales croissantes et à une inégalité d’accès aux services de base selon les régions et les communautés. De plus, la dépendance croissante aux financements internationaux rend ces initiatives vulnérables aux fluctuations géopolitiques et aux priorités des bailleurs de fonds. Sans un renforcement de l’État central, même les formes les plus sophistiquées d’auto-organisation sociale ne pourront empêcher à terme une dégradation générale des conditions de vie et un approfondissement des inégalités.

Résilience ou résignation : les ambiguïtés d’une société en survie

La capacité de résilience de la société libanaise est souvent célébrée comme un signe de vitalité. Pourtant, elle porte aussi en elle des dynamiques de résignation et d’acceptation du statu quo. En trouvant des solutions alternatives aux défaillances étatiques, la société civile réduit la pression politique sur les élites pour engager de vraies réformes structurelles. Le système actuel, fondé sur la défaillance étatique compensée par des initiatives privées ou communautaires, devient une forme d’équilibre pervers dans lequel tout le monde survit, mais où personne ne prospère. Cette situation empêche l’émergence d’une mobilisation populaire suffisamment puissante pour imposer un changement politique profond. La résilience devient alors un piège qui maintient le pays dans une crise chronique.

La jeunesse libanaise : moteur potentiel d’une transformation politique

La jeunesse libanaise représente aujourd’hui le principal levier potentiel de transformation. Confrontée à des perspectives économiques moroses, à un système éducatif dégradé et à une absence totale de mobilité sociale, elle rejette massivement les logiques confessionnelles et clientélistes qui structurent encore la société libanaise. Les mouvements de contestation qui ont émergé depuis 2019 témoignent de cette volonté de rupture. Toutefois, cette jeunesse reste confrontée à des défis majeurs : absence de structures politiques alternatives crédibles, répression étatique, récupération par les forces politiques traditionnelles. La capacité de cette nouvelle génération à organiser un projet politique national reste une question ouverte, mais elle constitue l’un des rares espoirs d’une sortie du cycle actuel de déliquescence.

L’économie parallèle : entre débrouillardise et menace systémique

La faiblesse de l’État libanais a conduit à l’émergence massive d’une économie parallèle, fondée sur des circuits informels, des trafics et des réseaux clientélistes. Cette économie assure une partie essentielle de la survie quotidienne de la population, mais elle échappe totalement aux mécanismes de régulation et de redistribution de l’État. Elle favorise l’évasion fiscale, l’inégalité économique et la consolidation des pouvoirs informels. Si elle permet de maintenir un minimum d’activité économique, elle alimente également la corruption, la criminalité et l’affaiblissement des structures étatiques. À terme, cette dynamique rend encore plus difficile toute tentative de reconstruction institutionnelle et de réforme économique.

La dépendance aux diasporas : une force extérieure en péril

La diaspora libanaise joue un rôle crucial dans le maintien de la société libanaise. Par ses transferts financiers massifs, elle soutient les familles restées au pays, finance des projets de développement locaux et contribue à maintenir une relative stabilité économique. Cependant, cette dépendance comporte des risques. Les flux financiers de la diaspora sont vulnérables aux crises économiques mondiales, aux changements de politique migratoire dans les pays d’accueil et à la lassitude progressive des expatriés face à l’absence de réformes au Liban. De plus, la diaspora, bien qu’attachée émotionnellement au Liban, reste peu structurée politiquement pour peser de manière cohérente sur les dynamiques internes. Cette force extérieure précieuse pourrait donc s’affaiblir à moyen terme si le Liban ne parvient pas à offrir des perspectives de reconstruction crédibles.

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Newsdesk Libnanews
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