Le tourisme libanais, un modèle à réinventer
En 2025, le Liban ambitionne de générer 2,5 milliards de dollars grâce au tourisme, une projection qui traduit un espoir de relance après des années de crises économiques, politiques et régionales. Ce chiffre, supérieur aux 2,35 milliards de dollars de 2020, année marquée par la pandémie et l’explosion du port de Beyrouth, reste bien en deçà des 8,7 milliards de 2019, selon la Banque du Liban. Cependant, le tourisme libanais repose sur une base fragile : une majorité de visiteurs sont des Libanais bi-nationaux, comptabilisés comme touristes internationaux en raison de leurs passeports étrangers, ou des résidents locaux relevant du tourisme intérieur. Jusqu’en 2019, la surévaluation de la livre libanaise transformait le tourisme en un secteur coûteux, drainant les réserves monétaires via des importations massives et des subventions implicites. Aujourd’hui, le modèle touristique, centré sur une clientèle arabe et de luxe, manque de diversification et néglige le potentiel d’un tourisme de masse. Comme le dit l’adage, « les petits torrents font les grandes rivières » : une industrie touristique plus inclusive, attirant des nationalités variées, pourrait transformer l’économie. Avec un PIB réduit de moitié depuis 2018 et une pauvreté touchant 80 % de la population, selon la Banque mondiale, il s’agit ici d’analyser les perspectives du tourisme en 2025, ses limites, et propose des solutions pour une économie résiliente, intégrant la technologie, l’agriculture et un tourisme diversifié.
Le tourisme libanais en 2025 : une définition biaisée
Les prévisions de 2,5 milliards de dollars pour 2025, avancées par le ministère du Tourisme, s’appuient sur une augmentation attendue des arrivées, estimée à 2 millions de visiteurs contre 1,67 million en 2023. Cette projection repose sur une stabilisation politique, avec l’élection d’un président en 2024 et un cessez-le-feu avec Israël fin 2024, ainsi que sur le retour des touristes du Golfe, qui représentaient 33 % des dépenses touristiques en 2018. Cependant, la composition des visiteurs fausse l’analyse. En 2023, 60 % des arrivées à l’aéroport de Beyrouth étaient des Libanais bi-nationaux, détenteurs de passeports étrangers (canadiens, australiens, français, américains), selon le ministère du Tourisme. Ces visiteurs, comptabilisés comme touristes internationaux, reviennent principalement pour des raisons familiales, dépensant dans des cercles privés plutôt que dans des infrastructures touristiques formelles comme les hôtels ou les restaurants.
Le tourisme intérieur domine également. En 2023, 40 % des nuitées dans les hôtels et locations de courte durée étaient attribuées à des résidents libanais, selon l’Université Saint-Joseph. Ce tourisme local, motivé par des escapades à Jounieh ou dans le Mont-Liban, est intégré aux statistiques, gonflant artificiellement les chiffres. Par exemple, les Libanais représentaient 80 % des visiteurs des plages privées en 2023, selon le Syndicat des propriétaires de plages, mais leurs dépenses, limitées et localisées, ont un impact économique marginal. Cette mauvaise classification des bi-nationaux et du tourisme intérieur surestime l’apport du tourisme, qui ne représente qu’une fraction des 2,5 milliards projetés pour 2025.
Une économie touristique coûteuse jusqu’en 2019 : importations et surévaluation
Jusqu’en 2019, le tourisme libanais coûtait plus qu’il ne rapportait, en raison de la surévaluation de la livre libanaise, fixée à 1507 LBP pour 1 USD depuis 1997. Cette parité artificielle a encouragé une dépendance aux importations, qui représentaient 80 % des biens utilisés dans le tourisme, soit 1,2 milliard de dollars en 2019, selon l’Université Saint-Joseph. Les hôtels, restaurants et plages privées privilégiaient les produits étrangers – vin français, fromages européens, meubles design – au détriment des alternatives locales comme le vin de la Bekaa ou les produits agricoles. Ces importations, payées en dollars, vidaient les réserves monétaires, qui ont chuté de 31 milliards de dollars en 2019 à 10 milliards en 2020, selon le FMI.
L’État subventionnait indirectement le tourisme via des politiques monétaires coûteuses. La Banque du Liban maintenait la parité de la livre en puisant dans ses réserves, finançant ainsi les importations touristiques. Par exemple, un touriste dépensant 100 dollars dans un restaurant en 2019 générait seulement 30 dollars de valeur ajoutée locale, le reste étant absorbé par les importations ou rapatrié par des chaînes internationales, selon l’Université américaine de Beyrouth. Ainsi, le tourisme drainait les ressources du pays, un héritage qui pèse encore en 2025. Depuis 2019, la dévaluation de la livre (98 % de perte de valeur en 2023) et une inflation de 400 % ont exacerbé cette dépendance, rendant les importations plus coûteuses. En 2025, sur les 2,5 milliards de dollars attendus, seuls 750 millions bénéficieront directement à l’économie locale.
La nécessité d’une diversification des nationalités et d’un tourisme de masse
Le tourisme libanais souffre d’un manque de diversification des nationalités. En 2019, 33 % des touristes venaient des pays du Golfe, 20 % d’Europe, et 15 % d’Amérique du Nord, selon le ministère du Tourisme. Cette dépendance envers une clientèle arabe, attirée par le luxe (hôtels 5 étoiles, boîtes de nuit, plages privées), rend le secteur vulnérable aux fluctuations régionales. En 2024, les tensions Hezbollah-Israël ont réduit les arrivées du Golfe de 40 %, selon The National. Par ailleurs, le modèle axé sur le luxe exclut les touristes à budget moyen, qui représentent un potentiel inexploité.
Un tourisme de masse, attirant des nationalités variées, pourrait transformer l’économie. Comme le dit l’adage, « les petits torrents font les grandes rivières » : les dépenses modestes de nombreux touristes peuvent générer des revenus significatifs. En Turquie, le tourisme de masse a généré 54,3 milliards de dollars en 2023, avec 49 millions de visiteurs, dont 70 % à budget moyen. Au Liban, un investissement de 200 millions de dollars dans des infrastructures accessibles (auberges, transports publics, circuits culturels) pourrait attirer 500 000 touristes supplémentaires d’Europe de l’Est, d’Asie ou d’Afrique, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Ces visiteurs, dépensant en moyenne 50 dollars par jour, pourraient injecter 750 millions de dollars par an, diversifiant les revenus et réduisant la dépendance aux touristes du Golfe.
Instabilité régionale et politique : un frein persistant
L’instabilité régionale reste un obstacle. Depuis la guerre civile (1975-1990), le Liban a été secoué par des crises : l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, la guerre de 2006 avec Israël, et les tensions Hezbollah-Israël en 2023-2024. En 2024, ces tensions ont provoqué une chute de 55 % des revenus touristiques au second semestre, selon The National. Bien que le cessez-le-feu de novembre 2024 ait permis une reprise, les alertes sécuritaires dissuadent les touristes européens et américains, en baisse de 17 % et 15 % en 2024.
Sur le plan interne, la paralysie politique aggrave la situation. Entre 2022 et 2024, le Liban a fonctionné sans président, et un accord avec le FMI pour un prêt de 3 milliards de dollars reste bloqué. Les infrastructures publiques, comme les routes et l’électricité (3 heures par jour en 2023), sont défaillantes. Les hôtels dépendent de générateurs coûteux, ce qui augmente les prix : en 2025, une nuit dans un hôtel 4 étoiles à Beyrouth coûte 150 dollars, contre 100 dollars en Jordanie, selon Hospitality News.
Un tourisme déconnecté du patrimoine culturel
Le Liban dispose d’un patrimoine exceptionnel, avec cinq sites UNESCO (Baalbek, Byblos, Tyr, Anjar, Qadisha). Pourtant, le tourisme culturel est sous-exploité. En 2023, Baalbek n’a attiré que 50 000 visiteurs, contre 200 000 en 2010, en raison de l’insécurité et du manque d’investissements. Les festivals de Baalbek et Byblos, jadis des vitrines internationales, ont été réduits ou annulés depuis 2020. La préservation des sites et la formation des guides sont négligées, avec des budgets publics détournés (le Liban est classé 149e sur 180 pour la corruption par Transparency International).
En comparaison, la Jordanie a généré 500 millions de dollars grâce à Pétra en 2023, avec 40 % de ses touristes attirés par le patrimoine culturel. Au Liban, l’offre touristique se concentre sur une clientèle élitiste. Une stratégie nationale pour le tourisme culturel, combinée à un tourisme de masse, pourrait doubler les visiteurs des sites archéologiques, générant 500 millions de dollars en 2025, selon le ministère du Tourisme.
Les limites du tourisme face à d’autres secteurs
Le tourisme, dominé par les bi-nationaux, le tourisme intérieur, et une clientèle arabe de luxe, génère moins de valeur ajoutée que la technologie ou l’agriculture. En 2023, le secteur numérique représentait 2 % du PIB, mais 70 % des startups ont quitté le Liban entre 2020 et 2021, selon la Direction générale du Trésor. Cependant, le Liban reste attractif pour l’outsourcing, avec un salaire moyen de 200 dollars par mois. Le secteur pourrait générer 5 milliards de dollars d’ici 2030, selon l’Institut de recherche économique libanais.
L’agriculture, sous-exploitée, représentait 3 % du PIB en 2023, contre 10 % en Jordanie. Les exportations d’olives, de pommes et de vin pourraient doubler d’ici 2028 avec des investissements dans les normes phytosanitaires et des zones industrielles, comme celle prévue à Tripoli. Ces secteurs, moins sensibles aux crises régionales, créent une valeur ajoutée locale, contrairement au tourisme, qui ne contribue qu’à 750 millions de dollars sur les 2,5 milliards projetés pour 2025.
Vers un modèle économique résilient : propositions concrètes
Pour atteindre les 2,5 milliards de dollars en 2025 et bâtir une économie durable, le Liban doit diversifier son tourisme et ses revenus. Voici six propositions :
- Diversifier les nationalités : Promouvoir le Liban auprès des marchés émergents (Europe de l’Est, Asie, Afrique) via des campagnes numériques et des partenariats avec des agences internationales, réduisant la dépendance aux touristes du Golfe.
- Promouvoir le tourisme de masse : Investir 200 millions de dollars dans des infrastructures accessibles (auberges, transports publics, circuits culturels) pour attirer 500 000 touristes à budget moyen, générant 750 millions de dollars par an.
- Redéfinir les statistiques : Exclure les bi-nationaux et le tourisme intérieur des chiffres pour mieux cibler les touristes étrangers.
- Valoriser le tourisme culturel : Investir 100 millions de dollars dans les sites UNESCO et festivals pour tripler les visiteurs à Baalbek d’ici 2030, générant 500 millions de dollars.
- Relancer la technologie : Offrir des incitations fiscales et créer un fonds de 500 millions de dollars pour rapatrier les startups, générant 50 000 emplois d’ici 2028.
- Moderniser l’agriculture : Investir dans des normes phytosanitaires et une zone économique spéciale à Tripoli pour augmenter les exportations agricoles de 20 % par an.
Une opportunité pour 2025
Les 2,5 milliards de dollars attendus du tourisme en 2025 offrent une lueur d’espoir, mais le modèle actuel, centré sur les bi-nationaux, le tourisme intérieur et une clientèle arabe de luxe, est insoutenable. Jusqu’en 2019, la surévaluation de la livre libanaise a fait du tourisme un gouffre financier, drainant les réserves monétaires via des importations. Aujourd’hui, seulement 30 % des dépenses restent locales. En diversifiant les nationalités, en promouvant un tourisme de masse, et en investissant dans la technologie et l’agriculture, le Liban peut bâtir une économie résiliente. Le cessez-le-feu de 2024 et l’élection d’un président offrent une chance unique, mais sans réformes, le pays restera prisonnier de son modèle fragile. Les petits torrents font les grandes rivières : un tourisme inclusif et diversifié est la clé.
Liste des références
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- Banque du Liban (2023)
- Banque mondiale (2023-2024)
- Ministère du Tourisme libanais (2023-2024)
- Université Saint-Joseph (2023)
- Université américaine de Beyrouth (2023)
- Direction générale du Trésor (France, 2023)
- Fonds monétaire international (FMI, 2022-2024)
- The National (2024)
- Organisation mondiale du tourisme (UNWTO, 2023)
- Transparency International (2023)
- Hospitality News (2023)
- Institut de recherche économique libanais (2023)
- Syndicat des propriétaires de plages (2023)
- MacroTrends (2020-2023)
- CEIC Data (2018-2020)