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Ombre et chaos : l’économie informelle, dernier souffle du Liban

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Dollars au noir : un pays abandonné par ses banques

Au Liban, la crise financière de 2019 a pulvérisé le système formel, laissant une économie informelle dominer le paysage. La livre libanaise, tombée de 1500 livres/USD à plus de 100 000 livres/USD au marché noir en février 2025, est devenue un spectre, tandis que les remises diaspora, réduites à 5,7 milliards USD, irriguent un réseau parallèle en dollars. Générateurs privés, changeurs de rue, commerces hors registre : cette économie de l’ombre, née d’une défiance totale envers des banques en faillite et un État absent, soutient 80 % de la population sous le seuil de pauvreté. Mais ce fragile équilibre risque de s’effondrer sous la menace d’une inclusion sur la liste noire du GAFI, isolant davantage un pays déjà à genoux.

De la crise à l’informel : une réponse au vide

L’économie informelle englobe les activités non régulées, non taxées, hors des radars officiels – un pilier historique au Liban, où petits métiers et réseaux familiaux pesaient 20-30 % du PIB avant 2019. Mais son explosion récente est une conséquence directe de la faillite financière. En octobre 2019, les banques ont gelé 70 milliards USD de dépôts, privant les Libanais de leurs économies dans un acte vécu comme une trahison majeure. Ce gel, aggravé par une corruption endémique et l’incapacité de la Banque du Liban à juguler l’effondrement monétaire, a anéanti toute confiance dans les institutions. Les retraits, limités à 100-200 USD/mois, ont poussé les citoyens vers le cash et les circuits parallèles.

L’État, paralysé – sans gouvernement stable depuis 2021 –, a déserté ses fonctions. L’électricité publique ne dépasse pas 2-4 heures/jour, l’eau est rare, les routes se désagrègent. Dans ce vide, l’informel a prospéré. Les générateurs privés, bien que légalisés par le ministère de l’Énergie qui fixe leurs tarifs en dollars, opèrent dans une zone grise : techniquement illégaux, ils échappent à la TVA et alimentent 80 % des foyers. Les changeurs de rue, dictant un taux réel (jusqu’à 120 000 livres/USD en janvier 2025), ont évincé les banques. Les importations de carburant ou de médicaments passent par des filières clandestines, souvent syriennes. Cette économie parallèle, estimée à 40-50 % du PIB réel en 2025, est une réaction brute à un système financier qui a abandonné son peuple.

Milliards invisibles : l’ampleur d’un monde souterrain

L’informel défie les chiffres officiels, mais son empreinte est massive. Le PIB formel de 2023 s’élevait à 22 milliards USD, une donnée aveugle à cette économie cachée. Les générateurs privés, un réseau de 5000 opérateurs générant 2-3 milliards USD/an, sont un pilier, leurs tarifs fixés par le ministère de l’Énergie mais hors TVA en raison de leur statut illégal. Le marché noir du carburant, acheminé via des ports secondaires, pèse 1-2 milliards USD. Les petits commerces non déclarés – vendeurs ambulants, réparateurs, livreurs – ajoutent 5-10 milliards USD. Au total, l’informel pourrait valoir 10-15 milliards USD, soit 40-50 % du PIB réel. Les remises diaspora (5,7 milliards USD), dont 80 % circulent hors banques via des proches ou des coursiers, sont son moteur principal.

À Beyrouth, les poissonniers du front de mer écoulent 50-100 millions USD/an sans facture. Dans la Bekaa, les agriculteurs exportent 500-700 millions USD de produits au noir vers le Golfe. Les changeurs de Bourj Hammoud brassent des centaines de millions USD mensuels. Ces flux, essentiels, restent hors de portée d’un État à sec.

Le piège libanais : une économie qui dévore ses fondations

L’informel est un rempart vital. Il emploie des milliers de Libanais – livreurs, artisans, agriculteurs – laissés pour compte par un secteur public en ruines et des banques qui ont confisqué leurs épargnes. Les remises diaspora permettent d’acheter carburant et nourriture via des réseaux parallèles, dans un pays où l’inflation dépasse 200 % par an. Les générateurs, malgré leur illégalité sous-jacente, éclairent les foyers ; les changeurs fournissent les dollars. Sans eux, le Liban s’éteindrait.

Mais ce rempart est un piège. D’abord, il prive l’État de taxes. Les générateurs, légalisés pour leurs tarifs mais hors cadre fiscal, rapportent zéro TVA, un manque à gagner de 200-300 millions USD/an si taxés à 11 %. Si 20 % de l’informel (2-3 milliards USD) était imposé à 10 %, cela générerait 200-300 millions USD/an pour des routes ou des hôpitaux. Ensuite, il dope la dollarisation, fruit du gel des fonds et de la méfiance. Les prix – loyers, diesel, même pain – sont en dollars, payés en cash ou via des circuits informels, reléguant la livre libanaise aux poussières et paralysant toute politique économique.

Il bloque aussi le progrès. Les remises financent la survie (fuel, biens importés), pas des usines ou des fermes capables de doper les exportations (3 milliards USD en 2023) face à un déficit commercial de 14,5 milliards USD. Il enrichit les puissants : réseaux mafieux et politiciens locaux contrôlent carburant et devises, empochant des millions quand un ouvrier informel gagne 100-200 USD/mois. Les inégalités s’aggravent, fragilisant le tissu social.

Enfin, une épée de Damoclès plane : le GAFI envisage de classer le Liban sur sa liste noire pour blanchiment et financement du terrorisme, à cause de ces flux incontrôlés. Les conséquences seraient brutales : exclusion des circuits bancaires mondiaux, gel des aides internationales (ex. négociations FMI bloquées depuis 2020), et effondrement des remises diaspora, déjà en chute libre à cause du manque de confiance. Un pays à bout risque de devenir une île économique.

Sauver le Liban : sortir de l’ombre ou sombrer

L’économie informelle, née d’un système financier en faillite et d’un gel des fonds qui a pulvérisé la confiance, ne peut être une fin en soi. Pour en faire un tremplin, il faut agir :

  • Taxer intelligemment : Légaliser pleinement les générateurs avec une TVA réduite (5 %) sur deux ans, captant 100-150 millions USD/an, tout en enregistrant les petits commerçants via une amnistie fiscale.
  • Restaurer les bases : Investir 1-2 milliards USD dans l’électricité (24h/24 d’ici 2030) et l’eau via des partenariats étrangers, réduisant le besoin de solutions informelles.
  • Réduire le dollar : Imposer la livre libanaise (taux cible : 20 000-30 000 livres/USD) pour les petits commerces avec des incitations aux changeurs légaux, brisant la dollarisation.
  • Déjouer le GAFI : Auditer les flux illégaux (carburant, devises) avec une assistance internationale, prouvant un effort de transparence pour éviter la liste noire.

Sans ces réformes, l’informel, bien qu’indispensable, restera une spirale de survie. Le Liban, avec ses terres riches et sa diaspora, pourrait se relever, mais seulement si l’ombre cède à une lumière organisée.

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Newsdesk Libnanews
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