Une prise de position forte sur les réseaux sociaux
Le 25 mars 2025, la juge Ghada Aoun, ancienne procureure générale du Mont-Liban, a publié un message percutant sur son compte X, saluant les propos du Premier ministre libanais, Nawaf Salam, qui a affirmé que « la levée du secret bancaire est une porte d’entrée vers la réforme financière ». Dans ce post, Aoun a exprimé sa gratitude envers Salam, soulignant qu’il est « enfin » un chef de gouvernement prêt à exiger et à mettre en œuvre des réformes financières. Elle a lié cette cause à son propre combat, rappelant les « attaques mensongères » et les tentatives « pathétiques » de l’écarter du pouvoir judiciaire auxquelles elle a fait face pour avoir défendu cette même idée.
Ce message intervient dans un contexte où le Liban, plongé dans une crise économique et monétaire depuis 2019, cherche désespérément des solutions pour redresser son système financier défaillant. La levée du secret bancaire, un sujet controversé depuis des années, est revenue au centre des débats sous l’impulsion de Salam et de figures comme Aoun, qui y voient une condition sine qua non pour assainir le secteur bancaire et restaurer la confiance.
Le secret bancaire : un obstacle historique à la transparence
Le secret bancaire, instauré par la loi de 1956, a longtemps été un pilier de l’attractivité du Liban comme place financière. Il a protégé les dépôts de clients locaux et étrangers, faisant de Beyrouth un « coffre-fort » régional. Cependant, cette opacité a aussi permis des abus : détournements de fonds, blanchiment d’argent et évasion fiscale, souvent au profit d’une élite politico-financière. La crise de 2019 a révélé l’ampleur du problème, avec des pertes estimées à plus de 70 milliards de dollars dans le secteur bancaire, selon des chiffres du FMI, et des restrictions drastiques imposées aux déposants.
Ghada Aoun, connue pour ses enquêtes incisives contre des responsables bancaires et politiques, a fait de la levée du secret bancaire une croisade personnelle. En 2023, elle avait tenté, sans succès, d’obliger des banques à révéler des informations sur des comptes liés à des figures comme Stéphanie Saliba, se heurtant à une résistance farouche. Son message sur X reflète cette frustration, mais aussi un espoir renouvelé avec l’arrivée de Nawaf Salam, dont la réputation d’intégrité et son passé à la Cour internationale de justice inspirent confiance.
Nawaf Salam : un Premier ministre réformateur ?
Nawaf Salam, nommé Premier ministre en janvier 2025 après l’élection de Joseph Aoun à la présidence, a rapidement placé la réforme financière au cœur de son agenda. Lors d’une allocution récente, rapportée par des médias locaux, il a insisté sur la nécessité de « rouvrir les négociations avec le FMI » et de préparer des lois réformatrices, dont un nouveau texte sur la levée du secret bancaire. Cette position fait écho aux exigences du FMI, qui conditionne une aide de 3 à 4 milliards de dollars à des réformes structurelles, incluant la transparence bancaire.
Salam, fort de 84 voix lors des consultations parlementaires, bénéficie d’un large soutien pour sortir le Liban de l’impasse. Son discours sur le secret bancaire s’aligne avec les attentes internationales et les aspirations d’une population lassée par des années d’inaction. En citant Salam, Ghada Aoun renforce l’idée que cette mesure est une priorité incontournable pour toute approche équitable de la crise.
Les propositions de Ghada Aoun : radicalité et réalisme
Dans son message, Aoun va au-delà d’un simple soutien à Salam : elle propose des mesures concrètes et radicales. Elle juge le cadre légal existant – notamment la loi modifiée en 2022 sous Michel Aoun – « bon » en théorie, affirmant qu’une application rigoureuse pourrait conduire « la plupart des présidents des conseils d’administration des banques en prison » si un système judiciaire indépendant s’en saisissait. Cependant, elle déplore l’inaction de la Commission de contrôle des banques (CCB), qu’elle décrit comme étant en « sommeil profond », incapable d’exercer son rôle de supervision.
Aoun suggère une réforme plus audacieuse : des « mesures radicales » contre les banques en tant que personnes morales, allant jusqu’à leur liquidation si elles refusent de lever le secret bancaire. Cette proposition, bien que drastique, vise à briser le mur de résistance des institutions financières, souvent accusées de protéger les intérêts d’une oligarchie au détriment des déposants. Elle reflète une volonté de passer d’une réforme symbolique à une transformation profonde du système.
Les obstacles à la réforme
Malgré cet élan, les défis restent immenses. La loi de 2022, bien qu’un pas en avant, a été critiquée par le FMI pour son champ d’application limité : elle confie à la Commission spéciale d’investigation de la Banque du Liban – dirigée jusqu’en 2023 par Riad Salamé, lui-même sous enquête – un rôle central, au détriment des procureurs et juges indépendants. Nawaf Salam devra naviguer entre ces écueils, les pressions des lobbies bancaires et un Parlement divisé, où des blocs comme celui du Hezbollah pourraient freiner les réformes.
Ghada Aoun, dans son message, pointe aussi un obstacle clé : l’absence d’un pouvoir judiciaire prêt à appliquer les lois. Ses propres démêlés – elle a été écartée de ses fonctions en 2023 sous des accusations de partialité – illustrent la difficulté de faire avancer la transparence dans un système gangréné par les interférences politiques. La « tentative pathétique » de l’éliminer, qu’elle évoque, renvoie à ces luttes intestines qui ont entravé ses enquêtes sur des figures comme Salamé ou Makassed.