Le nom même de Hayat Tahrir al-Sham, qui signifie « Organisation de libération du Levant », porte en lui une ambition dépassant les frontières de la Syrie. Le terme « Levant » désigne historiquement une région plus large englobant la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine et parfois même certaines parties de l’Irak et de la Turquie. Si les ambitions officielles de HTS semblent aujourd’hui centrées sur la Syrie, des indices montrent que ses objectifs idéologiques pourraient s’étendre à d’autres parties du Moyen-Orient.
Une idéologie transfrontalière
HTS, héritier partiel du Front al-Nosra, partage une vision islamiste fondée sur l’instauration d’un régime islamique strict. Bien que le groupe ait déclaré son indépendance d’Al-Qaïda, il conserve une idéologie qui ne se limite pas aux frontières syriennes :
- Expansion idéologique : Le projet d’HTS repose sur l’application de la charia dans les territoires qu’il contrôle. Cette vision universaliste s’inscrit dans une idéologie jihadiste qui dépasse les États-nations modernes et aspire à unifier le Levant sous un même modèle religieux.
- Soutien aux factions transnationales : Bien qu’HTS soit plus concentré sur ses bases locales en Syrie, il entretient des relations avec des factions partageant ses idéaux dans d’autres pays du Levant. Ces relations sont souvent discrètes, mais elles révèlent un intérêt pour des collaborations transfrontalières.
Le Liban : une cible immédiate ?
Le Liban, en raison de sa proximité géographique et de sa situation politique fragile, pourrait être une cible potentielle pour HTS à l’avenir. Le pays abrite des camps de réfugiés syriens où des groupes armés pourraient tenter de recruter des combattants ou d’étendre leur influence. Cependant, la présence du Hezbollah, puissant et bien organisé, constitue un obstacle majeur à toute tentative directe d’expansion de HTS au Liban.
Palestine et Jordanie : symboles et opportunités
La Jordanie et la Palestine occupent une place particulière dans l’idéologie des groupes islamistes du Levant :
- Jordanie : Bien que la Jordanie dispose d’un appareil sécuritaire robuste, sa frontière avec la Syrie reste une zone sensible. HTS pourrait tenter de s’infiltrer à travers des réseaux clandestins ou d’exploiter les tensions sociales et politiques dans le royaume.
- Palestine : La question palestinienne est souvent utilisée comme un levier idéologique par les groupes islamistes. HTS pourrait chercher à renforcer sa légitimité en affichant un soutien symbolique ou matériel à la cause palestinienne, bien que son action directe soit limitée par la complexité du conflit israélo-palestinien.
Irak et Turquie : des objectifs lointains
L’Irak, autrefois un bastion de l’État islamique, représente une région où HTS pourrait théoriquement étendre son influence, notamment dans les zones sunnites où des tensions communautaires persistent. Cependant, la pression militaire constante des forces irakiennes et de la coalition internationale rend cette perspective peu probable à court terme.
La Turquie, en revanche, représente un cas particulier. Bien qu’elle soit un acteur clé dans le conflit syrien, HTS est en position ambivalente vis-à-vis d’Ankara. Si la Turquie tolère la présence de HTS à Idlib, toute tentative d’expansion vers son territoire provoquerait une réponse immédiate et violente de la part du gouvernement turc.
Des limites stratégiques et réalistes
Bien que l’idéologie de HTS suggère une ambition transfrontalière, plusieurs facteurs limitent sa capacité à étendre son influence au-delà de la Syrie :
- Concentration sur Idlib : HTS reste fortement enraciné dans la province d’Idlib, où il contrôle les structures civiles et militaires. Cette concentration locale limite ses ressources pour une expansion régionale.
- Hostilité des acteurs régionaux : Les pays voisins de la Syrie, y compris le Liban, la Jordanie, et même Israël, disposent d’une sécurité renforcée et sont peu susceptibles de permettre une intrusion significative d’un groupe comme HTS.
- Conflits internes et pression internationale : HTS doit également faire face à des factions jihadistes rivales et à la pression de la communauté internationale. Ces défis rendent toute tentative d’expansion risquée.
Scénarios possibles
Si HTS choisit d’étendre son influence, il est probable qu’il le fasse d’abord par des moyens indirects :
- Influence idéologique : HTS pourrait chercher à diffuser son idéologie dans d’autres régions du Levant en s’appuyant sur des réseaux clandestins et des propagandes en ligne.
- Alliances opportunistes : Le groupe pourrait tenter de nouer des alliances avec des factions partageant ses intérêts dans d’autres pays, notamment au Liban et en Jordanie.
- Déstabilisation des voisins : Plutôt que d’envahir directement d’autres pays, HTS pourrait soutenir des mouvements de déstabilisation pour affaiblir les gouvernements voisins et créer un environnement favorable à son expansion.
Hayat Tahrir al-Sham est avant tout un acteur pragmatique. Bien que son idéologie prône une unification islamique du Levant, ses ambitions actuelles restent principalement concentrées sur la Syrie, en particulier sur le maintien de son contrôle sur Idlib. Cependant, les dynamiques géopolitiques et les opportunités locales pourraient pousser HTS à envisager une expansion régionale à long terme, à condition qu’il surmonte les nombreux défis politiques, militaires et idéologiques qui se dressent sur son chemin.