Clayton Besaw, University of Central Florida and Matthew Frank, University of Denver

Une tentative de putsch vient-elle d’avoir lieu aux États-Unis ?

Des partisans de Donald Trump, suite à ses encouragements, ont pris d’assaut le bâtiment du Capitole américain le 6 janvier, perturbant le processus de certification de la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle. Agitant des banderoles pro-Trump, des centaines de personnes sont entrées par la force dans le bâtiment où se réunit le Congrès, détruisant les barrières censées en protéger l’accès et brisant des fenêtres. Cet épisode s’est soldé par la mort de l’une des émeutières tandis que plusieurs policiers ont dû être hospitalisés. Le Congrès a interrompu sa séance.

Aussi violente et choquante qu’ait pu être cette intrusion, elle ne peut pas être qualifiée de coup d’État.

L’insurrection des trumpistes relève de la violence électorale, un phénomène que de nombreuses démocraties fragiles ne connaissent que trop bien.

Qu’est-ce qu’un coup d’État ?

Il n’existe pas de définition unique de la notion de « coup d’État ». Toutefois, les chercheurs qui étudient ces questions (ce qui est le cas des auteurs du présent article) s’accordent sur les principales caractéristiques de ce type d’événement.

Jonathan Powell et Clayton Thyne, deux spécialistes reconnus en la matière, définissent un coup d’État comme « une tentative de l’armée ou d’autres élites de l’appareil d’État visant à renverser le chef de l’État en place en utilisant des moyens anticonstitutionnels ».

Trois paramètres fondamentaux sont utilisés pour juger si une insurrection est un coup d’État :

  • Les auteurs de ces actes sont-ils des agents de l’État, tels que des militaires ou des agents gouvernementaux en rupture de ban ?
  • La cible de l’insurrection est-elle le chef du pouvoir exécutif ?
  • Les comploteurs utilisent-ils des méthodes illégales et anticonstitutionnelles pour s’emparer du pouvoir exécutif ?

Coups d’État et tentatives de coup d’État

Pour un exemple de coup d’État récent couronné de succès, tournons-nous vers l’Égypte. Le 3 juillet 2013, le chef de l’état-major de l’armée, Abdel Fattah al-Sissi, a démis de ses fonctions l’impopulaire président du pays, Mohamed Morsi. Peu avant sa chute, Morsi, premier dirigeant égyptien démocratiquement élu, avait supervisé la rédaction d’une nouvelle Constitution. Al-Sissi a également suspendu ce projet. Cet épisode peut être qualifié de coup d’État car Al-Sissi a pris le pouvoir illégalement et a imposé son propre État de droit après avoir renversé le gouvernement élu.

Des manifestants égyptiens célèbrent le renversement du président Mohamed Morsi avec des officiers de la Garde républicaine égyptienne, le 3 juillet 2013, au Caire. Ed Giles/Getty Images

Mais les tentatives de coup d’État ne se soldent pas toujours par la chute du pouvoir en place.

En 2016, des membres de l’armée turque ont tenté d’écarter le président Reçep Tayyip Erdogan. Les militaires ont pris le contrôle de zones clés à Ankara, la capitale, et à Istanbul, y compris le pont du Bosphore et deux aéroports. Mal coordonnée et ne bénéficiant pas d’un soutien suffisant, cette tentative de putsch a rapidement échoué quand le président Erdogan a appelé ses partisans à s’opposer aux comploteurs. Erdogan est toujours au pouvoir aujourd’hui.

Que s’est-il passé au Capitole ?

Les événements du 6 janvier au Capitole ne remplissent pas les trois critères d’un coup d’État. Les émeutiers pro-Trump ont pris pour cible une branche du pouvoir exécutif – le Congrès – et ils l’ont fait illégalement, en employant la force. Voilà qui correspond aux catégories n°2 et n°3 présentées ci-dessus.

En revanche, le critère de la catégorie n°1 n’est pas rempli : il apparaît que ces émeutiers étaient des civils agissant de leur propre volonté, et non des acteurs étatiques. Le président Trump a incité ses partisans à marcher sur le bâtiment du Capitole moins d’une heure avant que la foule n’envahisse les lieux, martelant que l’élection avait été volée et proclamant « Nous ne nous laisserons plus faire ». Tout au long de ces derniers mois, le président sortant n’a cessé de diffuser des rumeurs infondées sur une prétendue conspiration dont il serait la victime et sur les fraudes électorales qu’auraient selon lui commises ses adversaires ; ces affirmations ont convaincu bon nombre de ses sympathisants de la malfaisance du système étatique en place.

Quand il a attisé la colère de ses partisans, Donald Trump souhaitait-il que ceux-ci aillent attaquer le Congrès ? On ne peut pas répondre à cette question de façon tranchée. Une fois qu’ils eurent investi le Capitole, il les a tièdement invités à rentrer chez eux. À ce stade, il apparaît en tout cas que l’émeute de Washington, DC, a été déclenchée sans l’approbation, l’assistance ou la direction active d’acteurs gouvernementaux comme l’armée, la police ou des responsables du Parti républicain.

Des policiers anti-émeutes au Capitole, le 6 janvier 2021. Olivier Douliery/AFP

Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les élites politiques américaines n’ont aucune responsabilité dans ce qui vient de se passer.

En répandant des théories conspirationnistes sur la fraude électorale, de nombreux sénateurs républicains, dont Josh Hawley et Ted Cruz, ont créé les conditions de la violence politique aux États-Unis, et plus particulièrement de la violence liée aux élections.

Des recherches universitaires ont montré que des discours politiques complotistes alimentent le risque de violences électorales. Les enjeux des élections sont très élevés, puisque c’est à cette occasion que se réalise le transfert du pouvoir politique. Lorsque des représentants du gouvernement rabaissent et discréditent les institutions démocratiques alors qu’un conflit politique est en cours, des élections contestées peuvent déclencher des violences commises par des foules en colère.

Alors, comment qualifier ce qui s’est passé ?

Les événements du 6 janvier sont des violences politiques assimilables à celles qui marquent trop souvent les élections dans les démocraties jeunes ou instables.

Au Bangladesh, les élections donnent régulièrement lieu à des violences collectives et à des émeutes politiques, ce qui s’explique par des années de violence gouvernementale et d’exaspération de l’opposition. Les élections de 2015 et 2018 ont, à cet égard, été particulièrement marquées par les violences.

Au Cameroun, les élections de 2020 se sont accompagnées de nombreux actes violents : des bâtiments gouvernementaux, des figures de l’opposition et des passants innocents ont été pris pour cible. Le but des auteurs de ces actes était de délégitimer l’élection, dans un contexte de violence sectaire et de réaction brutale de l’État.

Si par sa cause et par son contexte, la violence électorale aux États-Unis diffère de celles observées au Bangladesh et au Cameroun, des similitudes n’en existent pas moins. Ce qui vient de se passer aux États-Unis n’est pas une tentative de coup d’État, mais cette émeute encouragée par Donald Trump est susceptible d’ouvrir un chapitre de turbulences politiques et sociales dans l’histoire du pays.

Clayton Besaw, Research Affiliate and Senior Analyst, University of Central Florida and Matthew Frank, Master’s student, International Security, University of Denver

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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