En le piégeant par une arrestation-surprise à sa descente d’avion en Novembre 2018, les autorités Nippones n’avaient sans doute pas assez mesuré l’ampleur du dommage collatéral que leur causerait la détention d’un homme d’affaires tel que Carlos Ghosn, grosse tête à l’envergure internationale, coriace, dur à l’épreuve, et d’une intelligence supérieure, pour ne rien arranger du côté de ses détracteurs. 

Officiellement accusé de malversations frauduleuses et de détournements de fonds à des fins privées, on sait aujourd’hui – et toute la presse avait brodé autour à l’époque – que la raison inavouée de son arrestation était de l’écarter du groupe Renault-Nissan-Mitsubishi qu’il dirigeait, et dont il s’apprêtait à faire du partenaire Français l’actionnaire majoritaire. 

On sait aussi, par ailleurs, que Carlos Ghosn dont le succès en affaires a généreusement nourri l’ivresse, avait explicitement tweeté son refus de se conformer aux mesures prises par l’Administration Trump à l’encontre de l’Iran. Un tweet dont il n’allait pas tarder à payer le prix. 

En somme, deux prises de position audacieuses, rendues publiques à quelques semaines l’une de l’autre, et qui allaient contribuer au resserrement de l’étau sur sa propre personne, et lui attirer les foudres des représailles qui allaient faire de son arrestation puis de sa chute la plus triviale des finalités. Mais c’était sans compter les ressources de l’homme. Ni sa résilience. 

On ne saura sans doute jamais si les chefs d’accusation dont il est encore chargé sont intégralement réels, en partie réels, exagérés ou fabriqués. Ce qui est sûr en revanche, c’est que cette arrestation suivie d’un limogeage de fait et d’un remplacement, arrangeait les autorités Nipponnes à plus d’un niveau, et servait plus d’un objectif dont le divorce de Nissan et Renault – tant pour des raisons économiques que culturelles – n’est pas des moindres.

Mais en même temps que cette arrestation devait servir les intérêts Nippons, la notoriété internationale de l’accusé, ses performances et ses multiples succès, ainsi que sa triple nationalité, ont largement participé à médiatiser les conditions de sa détention. Très certainement plus que ne l’aurait souhaité le gouvernement Nippon constitué partie civile dans cette affaire. En effet, les réseaux sociaux aidant, la garde à vue puis la détention de Carlos Ghosn allait révéler au reste du monde un visage du Japon, archaïque, barbare, voire violent, que l’opinion mondiale était loin de soupçonner qu’elle pût encore exister en dehors des mangas et des histoires de samouraï, au coeur des systèmes judiciaire de l’archipel et à fortiori pénitentiaire. 

Avant cette arrestation, il était globalement convenu que la grandeur économique des nations industrielles et les normes humaines des conditions de détention sont corrélées. La première craquelure que cette arrestation aurait infligée à l’image du Japon au regard de l’opinion publique mondiale, c’est la remise en question de cette corrélation. Ainsi, la notoriété de l’accusé, la médiatisation résultante de son cas, et la mobilisation des défenseurs des Droits de l’Homme, en embarrassant ses détracteurs, auront été ses premiers grands secours. 

Par ailleurs, l’enquête préliminaire révélait que les faits reprochés au détenu remontent à plusieurs années précédant l’arrestation. Ce délai longtemps passé sous silence permet de déduire que les fraudes et les malversations devaient être pratiquées à l’échelle de plus d’un dirigeant au sein du Conseil, tous oeuvrant sous le régime de la connivence selon laquelle chacun consent plus ou moins tacitement à fermer les yeux sur les agissements de l’autre, en échange du silence de l’autre sur ses propres agissements. Et ce régime aurait pu encore durer aussi longtemps que les performances de Nissan retrouvaient leurs couleurs, n’était-ce l’urgence de faire barrage au nouveau partage du groupe qui devait se faire au profit du partenaire Français, Renault. 

A mesure que le procès de «l’homme qui en savait donc trop» prévu pour le mois d’Avril 2020 approchait, la partie civile n’ayant pas trouvé le moyen de gérer, d’assumer, ou d’esquiver les informations que ce procès allait révéler sur les proches collaborateurs de l’accusé, eux Nippons de souche, et dont le nouveau PDG du groupe ne serait sans doute pas épargné, des craquelures de plus en plus embarrassantes allaient ternir l’image d’un gouvernement qui prenait dès lors conscience d’avoir déclenché contre lui-même les feux d’un enfer qu’il valait mieux – tout compte fait – éteindre au mieux et au plus vite, plutôt que d’assumer les dégâts de sa propagation. Ainsi, la carte des informations que l’accusé tenait encore dans sa poche allait constituer sa défense et son moyen de chantage mais surtout, son deuxième grand secours. 

Enfin, la résilience insoupçonnée de l’accusé aura réussi à mettre en échec toutes les tentatives de la partie civile de briser ses nerfs pour obtenir des aveux de culpabilité sans les inconvénients des révélations qui iraient avec. Le temps de l’enquête et de la procédure judiciaire jouant en sa faveur, la résistance du détenu aux traitements qui lui ont été infligés aura fini par avoir raison de ces monstrueuses tentatives de plus en plus décriées, et aura ainsi été le troisième et plus grand de ses secours. Au final, ce procès dont nul ne voulait plus (mais face auquel on ne pouvait plus reculer) approchant irrémédiablement, il est bien possible que le transfert du détenu de l’isolement d’une prison hautement sécurisée à une résidence simplement surveillée, ait été décidé dans le cadre d’une facilitation de ces deux escapades simultanées: celle d’un détenu devenu trop encombrant, et celle de la partie civile soucieuse de sauver encore ce qui reste de sa face et de celle de l’un de ses constructeurs légendaires. On aurait donc sciemment allégé la surveillance du détenu et ainsi, permis que cette double escapade se fasse, l’accusé ayant retrouvé sa liberté, et le gouvernement Nippon, la délivrance. 

Sary Tadros, le 31 Dec. 2019

Sary Tadros
Cet économiste de formation, titulaire d’un DES de 3ème cycle ès Finances Internationales, poursuit son activité professionnelle de chef d’entreprise à Beyrouth d’où il est originaire et où il vit. Ses loisirs de prédilection sont la musique baroque, le jazz et la chanson à texte, ainsi que l’art pictural Libanais pour la promotion duquel il s’investit depuis 30 ans. Co-auteur de la monographie «Hanibal Srouji, Peindre le Feu... » aux éditions l’Orient-le Jour, l’écriture est pour lui un acte militant par lequel il défend les valeurs démocratiques et notamment laïques auxquelles il croit.

2 COMMENTAIRES

  1. Beaucoup de journalistes principalement des TV Francaises devraient profiter de cet admirable analyse pour apprendre le metier de journaliste au lieu de vider leur fiel sur un des meilleurs dirigeants mondiaux en oubliant deliberement ce qu’il a acheve la ou personne n’a reussi avec en prime les coups bas de politiciens
    l’aurait on laisse achever son oeuvre avec la fusion Fiat-Chrisler il aurait fait de l’industrie auto francaise le fleuron mondial…….. il en faudrait quelques uns comme lui en France monsieur le president…!

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