L’adoption le 24 avril 2025 par le Parlement libanais d’une loi assouplissant le secret bancaire marque une rupture importante avec un modèle longtemps considéré comme emblématique du système financier libanais. Cette réforme, survenue dans un contexte de pression intense du Fonds monétaire international et d’un besoin urgent de restaurer la crédibilité financière du pays, invite à une analyse comparée. Le Liban s’aligne-t-il désormais sur les standards internationaux ? Ou cette réforme demeure-t-elle en retrait des pratiques observées ailleurs ?
Le Liban et l’exception du secret bancaire absolu
Depuis la promulgation de la loi de 1956, le Liban s’est distingué par un secret bancaire particulièrement rigide. À l’instar de la Suisse durant une partie du XXe siècle, ce dispositif a permis d’attirer d’importants dépôts étrangers, notamment en provenance du Golfe et de certaines économies instables. Mais contrairement à la Suisse, qui a réformé son cadre légal sous la pression internationale à partir de 2009, le Liban a longtemps résisté à toute évolution, malgré les appels de l’OCDE, du Groupe d’action financière (GAFI) et du FMI.
Selon Al Bina’ (25 avril 2025), le système libanais protégeait les déposants non seulement contre les administrations fiscales étrangères, mais également contre les juridictions internes, y compris en cas de suspicion de blanchiment d’argent ou d’enrichissement illicite. Cette opacité a longtemps été tolérée, jusqu’à ce qu’elle apparaisse comme l’un des facteurs aggravants de la crise économique, en facilitant la fuite de capitaux et en entravant toute procédure judiciaire de transparence financière.
Un tournant juridique imposé par la crise
Avec l’adoption de la nouvelle loi le 24 avril 2025, le Liban commence à aligner son système sur les standards internationaux, du moins en apparence. La réforme, rapportée par Al Joumhouriyat (25 avril 2025), permet désormais la levée du secret bancaire à la demande de certaines institutions judiciaires et administratives, dans le cadre de procédures ciblées. Ce changement rompt avec la protection quasi absolue dont jouissaient les comptes bancaires libanais, et ouvre la voie à un usage judiciaire et fiscal plus actif des données bancaires.
Mais en droit comparé, ce n’est pas tant l’existence d’un secret bancaire qui pose problème que son degré de rigidité. En France, en Allemagne ou au Canada, le secret bancaire existe en tant que principe de confidentialité, mais il peut être levé dans plusieurs cas : fraude fiscale, financement du terrorisme, enquêtes judiciaires, ou encore coopération internationale. Ce modèle est fondé sur une hiérarchie des normes où la lutte contre la criminalité financière prime sur la confidentialité.
La réforme libanaise semble s’orienter dans cette direction, mais elle comporte encore plusieurs zones d’ombre. Al Sharq (25 avril 2025) signale que les mécanismes d’application ne sont pas encore définis avec précision. La nature exacte des autorités habilitées, les garanties procédurales, et le type d’informations accessibles restent à encadrer par des textes d’application.
Comparaison avec les juridictions régionales
Dans le monde arabe, plusieurs pays ont engagé des réformes similaires sous la pression de la communauté internationale. L’Égypte, la Jordanie et le Maroc ont tous adapté leur cadre juridique pour permettre la levée du secret bancaire dans des cas définis. Ces évolutions ont été soutenues par des mécanismes de coopération fiscale internationale, notamment via les conventions d’échange d’informations de l’OCDE.
Le Liban, en revanche, reste en retard sur cet aspect. Il n’est pas encore membre actif du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales, ce qui limite sa capacité à s’engager dans des échanges automatiques d’informations avec d’autres juridictions. Cela représente un handicap majeur pour l’intégration du Liban dans les réseaux internationaux de lutte contre l’évasion fiscale.
En comparaison, des pays comme la Suisse ou le Luxembourg ont signé des accords multilatéraux pour l’échange automatique d’informations, ce qui leur a permis de sortir des listes grises et noires des paradis fiscaux. Le Liban, en maintenant une posture défensive, risque de voir sa réforme perçue comme insuffisante ou incomplète.
Une crédibilité à construire
L’un des principaux défis de la réforme libanaise est donc celui de la crédibilité. La loi votée constitue une base légale, mais son efficacité dépendra de la mise en œuvre, de la qualité des institutions impliquées et de la volonté politique d’en faire un outil de justice financière. En cela, le Liban doit répondre à une double exigence : se doter d’un droit conforme aux standards, mais surtout démontrer sa capacité à l’appliquer sans ingérence.
Al Akhbar (25 avril 2025) met en garde contre les risques de blocage institutionnel ou de contournement. Si les banques refusent de coopérer, ou si les procédures de levée du secret sont trop bureaucratiques ou discrétionnaires, la réforme perdra sa valeur opérationnelle. L’exemple de pays comme l’Italie ou l’Espagne montre que même dans des systèmes démocratiques, la transparence bancaire n’est efficace que si elle est couplée à une réforme judiciaire en profondeur.
Le Liban devra donc accompagner sa réforme par des mesures complémentaires : renforcement des unités de lutte contre la corruption, indépendance du parquet financier, formation des juges à la fiscalité internationale, et modernisation des outils de contrôle. Sans cela, la loi votée restera un acte symbolique, sans portée réelle.
Vers une convergence possible
La réforme adoptée le 24 avril 2025 ouvre néanmoins une brèche dans un mur longtemps jugé infranchissable. Elle permet au Liban de signaler une volonté d’évolution, même si les garanties d’application font défaut. Dans une logique de convergence internationale, cette réforme peut constituer une première étape vers l’adoption de normes plus contraignantes, en particulier si le pays décide de rejoindre les mécanismes d’échange d’informations automatiques.
Elle peut également offrir un levier de négociation avec les institutions financières internationales. Comme le souligne Ad Diyar (25 avril 2025), cette loi a été valorisée à Washington lors des réunions de printemps comme une « preuve d’engagement ». Mais cette preuve devra être renouvelée par des actes : poursuites effectives, audits indépendants, publications de rapports d’activité.
Au final, le Liban reste à la croisée des chemins. Il peut choisir de faire du droit un outil de rétablissement de la confiance, ou continuer à produire des lois à faible impact. La convergence avec les standards internationaux est possible, mais elle exige une réforme en profondeur de l’écosystème judiciaire et bancaire.