Le cœur du blocage : confessionnalisme et rivalités partisanes
Plusieurs ambassades libanaises stratégiques sont toujours sans titulaires, reflétant une paralysie administrative enracinée dans les jeux d’équilibre confessionnels. Les désaccords entre le gouvernement, la présidence et les partis parlementaires sur les profils à nommer alimentent une crise institutionnelle qui dépasse la seule question du personnel diplomatique. Chaque nomination devient un prétexte à marchandages politiques, au détriment de l’efficacité du réseau diplomatique.
Selon Ad Diyar (30 avril 2025), les frictions entre Nawaf Salam et les représentants de certaines formations parlementaires, notamment le Courant patriotique libre, les Forces libanaises et le parti Marada, portent sur la désignation d’ambassadeurs sunnites à Riyad, Le Caire et Paris. Ces postes, hautement symboliques et politiquement sensibles, cristallisent les tensions sur la représentation extérieure du Liban.
L’initiative présidentielle confrontée aux résistances
Le président Joseph Aoun a exprimé sa volonté de « restaurer l’image du Liban à l’étranger », insistant sur la nécessité de nommer des diplomates selon des critères de compétence et non d’allégeance. Toujours selon Ad Diyar, il a proposé une liste consensuelle de candidats de carrière. Si ce geste a été salué par certains diplomates, il a été accueilli avec réserve par plusieurs blocs parlementaires, qui y voient une centralisation du processus au profit de la présidence.
En réaction, les partis concernés ont exigé une approche globale incluant toutes les nominations à venir. Nahar (30 avril 2025) souligne que les Forces libanaises conditionnent leur feu vert à une discussion parallèle sur les postes judiciaires et les directions générales.
L’enjeu diplomatique de Riyad à Paris
Le blocage concerne notamment les ambassades de Riyad, Paris et Le Caire, toutes dirigées actuellement par des chargés d’affaires. Cette situation complique les relations bilatérales, à un moment où le Liban cherche à sécuriser des aides et des investissements. À Riyad, l’absence d’un ambassadeur ralentit les négociations sur plusieurs dossiers économiques et humanitaires. L’Arabie saoudite n’a pas encore officiellement exprimé de mécontentement, mais plusieurs diplomates ont évoqué une frustration croissante.
Le ministère des Affaires étrangères a, selon Ad Diyar, soumis un rapport soulignant l’impact du vide diplomatique sur les relations multilatérales. Le Liban est aujourd’hui sous-représenté dans de nombreux forums, y compris à l’UNESCO et à l’ONU. Le rapport précise que 15 ambassades sont concernées par des situations d’irrégularité administrative.
Une tentative gouvernementale sans effet
Pour répondre à l’urgence, Nawaf Salam a proposé, selon Al Sharq (30 avril 2025), la désignation provisoire de diplomates de carrière en l’attente d’un accord politique. Cette solution transitoire a été rejetée par les blocs politiques, qui refusent toute nomination échappant à leur approbation. Certains y voient une violation de l’équilibre des prérogatives, d’autres une tentative d’éviction déguisée des poids lourds parlementaires.
Le Conseil des ministres n’a pas inscrit ce sujet à l’ordre du jour des dernières sessions. La présidence du Conseil évoque une volonté d’éviter une confrontation directe, préférant temporiser jusqu’à l’après-scrutin municipal.
La diplomatie libanaise affaiblie dans son rayonnement
Ce blocage prolongé mine la capacité du Liban à défendre ses positions. Le cas de l’ambassade du Liban au Caire illustre cette fragilité : elle est absente des discussions régionales sur la Syrie, alors même que l’Égypte joue un rôle actif dans les médiations arabes. Des plaintes ont été transmises par des diplomates égyptiens aux autorités libanaises.
De manière plus générale, le pays souffre d’un effacement dans les enceintes internationales. Nahar rapporte que plusieurs chancelleries européennes n’ont plus de contacts réguliers avec leurs homologues libanais, en raison de l’absence d’interlocuteurs formels. Le Liban, déjà affaibli par sa crise interne, perd du terrain dans la compétition diplomatique régionale.
Vers une réforme des modalités de nomination ?
Cette situation relance un débat ancien : faut-il réformer le mode de désignation des diplomates ? Le député Farid Khazen a proposé, dans des propos rapportés par Nahar, la création d’une commission indépendante d’évaluation des candidats. Ce dispositif viserait à restaurer l’équité et la compétence dans la gestion du corps diplomatique.
Cette proposition rejoint les doléances exprimées en interne au ministère des Affaires étrangères. Al Akhbar (30 avril 2025) révèle que plusieurs diplomates critiquent une dégradation du niveau des nominations récentes. Certains parlent d’un effondrement de la méritocratie au profit de réseaux politiques fermés.
Pour l’heure, aucune de ces réformes n’est à l’ordre du jour au Parlement. La commission des Affaires étrangères n’a pas été convoquée sur ce sujet. Le gouvernement préfère temporiser, en espérant une accalmie post-électorale pour relancer le dialogue sur les nominations.
Une paralysie révélatrice du dysfonctionnement institutionnel
Ce dossier illustre un blocage structurel du modèle de gouvernance. Le système politique libanais, basé sur le compromis communautaire, transforme chaque décision administrative en enjeu stratégique. La logique des quotas confessionnels, loin d’assurer l’équilibre, alimente l’immobilisme.
Plusieurs observateurs soulignent que ce type de crise fragilise non seulement la diplomatie, mais aussi la crédibilité de l’État libanais dans son ensemble. À mesure que les postes restent vacants, les partenaires étrangers perçoivent le Liban comme un pays ingouvernable, incapable de gérer ses intérêts de manière autonome.