L’armée libanaise a annoncé ce mercredi la fermeture de plusieurs passages frontaliers illégaux avec la Syrie, une mesure visant à renforcer le contrôle des frontières dans un contexte de tensions régionales accrues. Selon un communiqué officiel publié par la Direction de l’orientation du commandement de l’armée, une unité militaire a bouclé les passages d’Al-Matlabé dans la région de Qasr-Hermel, ainsi que ceux d’Al-Fatha, Al-Maaraouiyé et Chahite Al-Hajjari dans la région de Macharih Al-Qaa à Baalbek. Cette opération, décrite comme une réponse aux « conditions actuelles », cherche à empêcher les infiltrations et les activités de contrebande le long de la frontière nord-est du Liban, une zone où des combats sporadiques entre forces syriennes et groupes armés libanais ont été signalés ces derniers mois.
Alors que le Liban fait face à une crise économique sans précédent et à des pressions internationales pour stabiliser son territoire, cette décision intervient dans un climat marqué par l’instabilité en Syrie voisine et les répercussions du conflit passé avec Israël. Bien que le communiqué ne mentionne pas explicitement des affrontements en cours, la fermeture des passages illégaux dans des zones sensibles suggère une volonté de prévenir une escalade liée aux troubles à la frontière syro-libanaise.
Une fermeture stratégique dans des zones clés
Le communiqué de l’armée libanaise, daté du 19 mars 2025, précise les emplacements des passages fermés : Al-Matlabé, situé dans la région de Qasr-Hermel, et Al-Fatha, Al-Maaraouiyé et Chahite Al-Hajjari, dans la région de Macharih Al-Qaa près de Baalbek. Qasr-Hermel, dans le nord-est du Liban, est une zone montagneuse de la vallée de la Bekaa, à proximité de la frontière syrienne, couvrant environ 723 kilomètres carrés avec une population estimée à 70 000 habitants selon des données officielles de 2020. Macharih Al-Qaa, également dans la Bekaa, est une plaine agricole proche de Baalbek, une ville de 400 000 habitants située à une trentaine de kilomètres de la Syrie.
Ces passages illégaux, situés hors des postes frontaliers officiels comme Masnaa, sont des points de passage informels souvent utilisés pour la contrebande de carburant, de marchandises et parfois d’armes, en raison de la porosité de la frontière de 375 kilomètres entre le Liban et la Syrie. L’opération, menée par une unité de l’armée libanaise, vise à « surveiller et contrôler les frontières » pour empêcher les « infiltrations et la contrebande », selon le texte du communiqué. Aucun détail n’est fourni sur les effectifs déployés ou les moyens techniques employés, mais cette mesure indique une réponse ciblée à des activités transfrontalières jugées préoccupantes.
Les « conditions actuelles » : un contexte de combats potentiels
Le communiqué mentionne que cette fermeture s’inscrit dans le cadre des « conditions actuelles », une formule vague qui reflète un climat d’instabilité régionale. Bien que l’armée ne fasse pas référence à des combats spécifiques dans son annonce du 19 mars, des incidents récents à la frontière syro-libanaise permettent de contextualiser cette décision. Depuis la chute du régime de Bachar el-Assad en décembre 2024, la Syrie est entrée dans une phase de transition chaotique, marquée par des affrontements entre factions rivales, notamment des groupes islamistes comme Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et des milices chiites liées au Hezbollah libanais.
Des rapports antérieurs ont signalé des combats dans des zones proches de la frontière, notamment dans la région de Qousseir, en Syrie, face à Hermel et Baalbek. Ces affrontements opposent souvent les nouvelles forces syriennes, issues de HTC, à des groupes chiites libanais ou à des clans locaux soupçonnés de liens avec le Hezbollah. Bien que le communiqué du 19 mars ne lie pas directement la fermeture des passages à ces incidents, la localisation des sites bouclés – Qasr-Hermel et Macharih Al-Qaa – correspond à des zones où de tels heurts ont été observés par le passé, notamment en février 2025, lorsque des tirs transfrontaliers avaient blessé plusieurs personnes côté libanais.
Une frontière sous tension depuis des mois
La frontière entre le Liban et la Syrie a été un point de friction majeur depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, qui a vu environ 1,5 million de réfugiés syriens s’installer au Liban, selon des estimations officielles de 2024. Cependant, depuis la fin 2024, la situation s’est complexifiée avec la chute d’Assad et l’émergence de nouvelles dynamiques de pouvoir en Syrie. Les régions de Hermel et de Baalbek, proches des passages fermés, sont des zones d’influence du Hezbollah, qui a longtemps soutenu le régime syrien avant sa chute. Cette influence a parfois conduit à des accrochages avec les forces syriennes actuelles, qui cherchent à consolider leur contrôle sur les zones frontalières.
Le communiqué de l’armée ne mentionne pas le Hezbollah, mais la fermeture des passages illégaux dans des zones où le mouvement est actif pourrait être interprétée comme une mesure pour limiter les flux d’armes ou de combattants. Cette hypothèse est renforcée par des déclarations internationales récentes. Un rapport du 18 mars 2025 indique que Steve Witkoff, envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, a exigé que le Hezbollah soit interdit de conserver ses armes dans toutes ses zones d’implantation, y compris la Bekaa, dans le cadre de négociations proposées avec Israël. La fermeture des passages par l’armée libanaise pourrait ainsi répondre à une pression pour sécuriser la frontière et réduire l’influence du Hezbollah dans cette région.
Une réponse à des pressions internes et externes
L’opération de l’armée libanaise intervient dans un contexte de défis multiples pour le pays. Économiquement, le Liban est en crise depuis 2019, avec un PIB cumulé en baisse de près de 40 % et une inflation dépassant les 200 % en 2024, selon des données officielles. Cette situation a favorisé la contrebande à travers la frontière syrienne, où des produits comme le carburant sont souvent moins chers. La fermeture des passages illégaux vise à freiner ces activités, qui privent l’État de recettes douanières cruciales.
Sur le plan international, le Liban est sous surveillance étroite. Le rapport du 18 mars 2025 relayant les propos de Witkoff indique que les États-Unis souhaitent que le Liban entame des négociations directes avec Israël, représenté par Ron Dermer, ministre des Affaires stratégiques. Witkoff a précisé qu’aucune reconstruction des zones dévastées par la guerre de 2024 – le sud, la Bekaa et les banlieues sud de Beyrouth – ne serait autorisée avant ces discussions, et que les habitants des villes frontalières ne pourraient pas rentrer chez eux. Par ailleurs, un second rapport du même jour note que les États-Unis, des pays occidentaux et la plupart des nations arabes conditionnent une aide de 11 milliards de dollars pour la reconstruction à l’élimination des armes du Hezbollah, qualifiées d’« hors du contrôle de l’État ».
Une frontière stratégique et volatile
Les passages fermés – Al-Matlabé, Al-Fatha, Al-Maaraouiyé et Chahite Al-Hajjari – se trouvent dans des zones stratégiques de la Bekaa, une région qui a été touchée par le conflit entre Israël et le Hezbollah, conclu par un cessez-le-feu le 27 novembre 2024. Ce conflit a coûté 14 milliards de dollars au Liban, dont 6,8 milliards de dommages matériels et 7,2 milliards de pertes économiques, selon un rapport officiel de 2025. La Bekaa, avec ses plaines agricoles et ses routes reliant le Liban à la Syrie, est un carrefour vital, mais aussi une zone de tension en raison de sa proximité avec des régions syriennes instables.
La fermeture des passages illégaux pourrait prévenir une escalade des combats à la frontière, notamment si des groupes armés tentaient de s’infiltrer depuis la Syrie ou si des milices locales, liées ou non au Hezbollah, cherchaient à maintenir leurs activités transfrontalières. Bien que le communiqué ne mentionne pas d’affrontements en cours au 19 mars, la référence aux « infiltrations » suggère une menace perçue, potentiellement liée aux récents troubles en Syrie.
Un effort pour affirmer l’autorité de l’État
L’armée libanaise, qui compte environ 80 000 soldats selon des chiffres de 2023, joue un rôle clé dans la tentative de restaurer l’autorité de l’État dans un pays fragmenté. La fermeture des passages illégaux dans la Bekaa peut être vue comme une réponse aux pressions internationales pour démontrer un contrôle effectif du territoire, notamment dans des zones où le Hezbollah a historiquement exercé une influence. Le président Joseph Aoun, récemment élu après deux ans de vide politique, fait face à un défi majeur : répondre aux attentes des États-Unis et de leurs alliés tout en maintenant une stabilité interne fragile.
Le coût de la reconstruction, estimé à 11 milliards de dollars, reste hors de portée sans aide extérieure, et les conditions imposées – désarmement du Hezbollah et négociations avec Israël – placent l’armée au centre des efforts pour répondre à ces exigences. La fermeture des passages illégaux, bien que limitée dans son champ d’action, est un signal de cette volonté de reprendre le contrôle des frontières, un enjeu crucial dans les discussions internationales.
Une situation en suspens
En ce 19 mars 2025, la fermeture des passages illégaux à Qasr-Hermel et Macharih Al-Qaa par l’armée libanaise marque une étape dans la sécurisation de la frontière syrienne, mais elle ne résout pas les tensions sous-jacentes. Les « conditions actuelles » évoquées dans le communiqué – instabilité en Syrie, pressions internationales et fragilité interne – maintiennent le Liban dans une position précaire. Les combats potentiels à la frontière, bien que non explicitement mentionnés, restent une menace latente, dans une région où les enjeux sécuritaires et humanitaires continuent de s’entrelacer.