Le ministère des Finances libanais a publié un communiqué suite à une réunion conclusive avec des représentants de la Banque mondiale, détaillant les progrès et la restructuration du projet de gestion financière publique (FMP), destiné à renforcer la transparence et la gestion des ressources publiques. Si ce texte met en avant des objectifs ambitieux – systèmes intégrés, réformes fiscales, formation numérique –, il révèle aussi des limites criantes : ressources insuffisantes, ambitions bridées et absence de garanties face aux résistances internes. Alors que Yassine Jaber, probable ministre en charge, et un secteur bancaire rétif aux réformes planent sur ce projet, le communiqué soulève autant d’espoirs que de doutes sur sa capacité à transformer un système financier en ruines.
Une restructuration sous contrainte
Le communiqué annonce que la réunion a permis d’examiner la restructuration de certains volets du FMP pour les adapter au « réalité actuelle et aux besoins du ministère ». Ce projet inclut un système intégré de gestion financière couvrant le budget, les dépenses, la comptabilité et la trésorerie, ainsi qu’un nouveau système fiscal pour remplacer les outils obsolètes, visant à améliorer la collecte des impôts et l’efficacité. Le texte insiste sur la nécessité de maintenir la stabilité des systèmes actuels jusqu’à la transition, une précaution qui trahit une prudence excessive. Pourquoi s’encombrer de structures dépassées si l’objectif est une vraie modernisation ? Cette approche risque de diluer l’impact des réformes, laissant les vieilles inefficacités intactes trop longtemps.
L’absence de calendrier précis ou de mesures coercitives dans le communiqué renforce ce scepticisme. Si l’intention est louable, elle manque de clarté sur les étapes concrètes pour passer de la théorie à la pratique, un défaut récurrent dans les initiatives libanaises où les annonces ambitieuses s’évanouissent souvent dans l’inaction.
Des objectifs techniques ambitieux
Le FMP, tel que décrit, repose sur plusieurs piliers : un système intégré pour centraliser la gestion financière, un système fiscal moderne pour augmenter les recettes, et des réformes comme un compte unique du Trésor et une gestion optimisée de la dette publique. Un système d’apprentissage en ligne et une assistance technique sont également prévus pour renforcer les compétences du personnel. Ces éléments, sur le papier, répondent à des besoins criants dans un pays où la transparence financière est un mirage et où la dette publique, mal gérée depuis des décennies, a précipité l’effondrement économique.
Pourtant, le communiqué reste vague sur les moyens d’y parvenir. La « restructuration des processus » et la « gestion de la dette » sont des termes séduisants, mais sans détails sur leur mise en œuvre ou leur financement, ils sonnent comme des vœux pieux. Dans un Liban où la livre s’échange à près de 89 000 par dollar au marché parallèle, ces lacunes laissent penser que le projet pourrait buter sur des réalités pratiques que le texte préfère esquiver.
Ressources limitées : un aveu d’impuissance
Le communiqué reconnaît des « défis » majeurs : un manque de ressources humaines et de compétences techniques. Il propose de redistribuer le personnel et de recruter de nouveaux cadres pour assurer l’efficacité du projet, mais cette solution soulève des questions critiques. Comment un ministère aux moyens exsangues financera-t-il ces embauches dans un pays où les salaires publics sont souvent payés en retard ? Cette pénurie, bien réelle, reflète des années de négligence dans la formation et le recrutement, mais le texte n’offre aucune piste concrète pour y remédier à court terme, se contentant d’un vœu d’amélioration.
Pire, le financement limité exclut des projets jugés « urgents » comme le registre foncier ou l’identité numérique. Le communiqué admet cette contrainte sans proposer d’alternatives, un aveu d’impuissance qui limite l’ambition du FMP à un cadre étroit. Ces exclusions trahissent une incapacité à voir au-delà des priorités immédiates, alors que des réformes plus larges pourraient débloquer des secteurs clés de l’économie.
Coordination vantée, mais fragile
Le texte met en avant l’absence de « chevauchement ou de duplication » avec les projets GovTech en cours, promettant une intégration efficace des initiatives numériques. Cette coordination est présentée comme une force, mais elle pourrait masquer une faiblesse. Dans un gouvernement où les ministères fonctionnent souvent en silos, l’absence de conflits peut aussi signifier un manque d’ambition ou de concurrence pour pousser les réformes plus loin. Le communiqué ne dit rien sur les mécanismes qui garantiront cette synergie, laissant planer un doute sur sa solidité face aux rivalités politiques habituelles.
Engagement et transparence : des mots en l’air ?
Le ministre – présumé être Yassine Jaber, figure influente liée à Nabih Berri – exprime un « engagement » à collaborer avec la Banque mondiale pour assurer le succès du FMP, avec un accent sur la « transparence financière » et la « durabilité économique ». Ces termes résonnent bien dans un pays désespéré par la corruption et la crise, mais leur portée reste floue. La transparence exige plus que des systèmes intégrés : elle nécessite une rupture avec les pratiques opaques qui ont permis à l’élite de siphonner les fonds publics. Le communiqué reste silencieux sur les audits ou les sanctions contre les responsables des dérives passées, limitant sa promesse à une façade technique.
Jaber, s’il est bien le ministre en charge, incarne un paradoxe. Proche de Berri – un architecte du statu quo – et des milieux bancaires, il a été lié à des initiatives qui, par le passé, ont freiné les réformes, comme la commission financière de 2020 qui a saboté un accord avec le FMI pour protéger les puissants. Son engagement à ne pas bloquer le gouvernement est louable, mais son historique invite à la méfiance : peut-il vraiment défier les intérêts qu’il a longtemps servis ?
Les banques : un obstacle sous-jacent
Le refus des banques libanaises de se réformer plane comme une ombre sur le FMP. Depuis 2019, elles ont bloqué les dépôts des citoyens, refusant les restructurations qui les forceraient à assumer leurs pertes. Leur lobby défend une ligne où l’État doit payer la facture, une position qui paralyse les efforts de redressement. Le FMP, avec son système fiscal intégré, dépend d’un secteur bancaire fonctionnel pour réussir, mais le communiqué ne mentionne aucune stratégie pour briser cette résistance. Dans un pays où les banques ont prospéré sous la protection de figures comme Berri – et potentiellement Jaber –, cette omission est révélatrice d’une incapacité ou d’une réticence à affronter un pilier de la crise.
Une réforme dans un système vicié
Le communiqué présente le FMP comme « partie des réformes urgentes » promises par le gouvernement Salam pour stabiliser les finances et répondre aux attentes internationales. Mais dans un système où les blocages sont la norme, cette ambition semble fragile. Les ressources limitées, l’exclusion de projets connexes et l’absence de mesures coercitives contre les résistances internes – notamment des banques – suggèrent que le FMP pourrait se limiter à des ajustements techniques plutôt qu’à une transformation profonde. Le passé de Jaber, s’il est le ministre, renforce ce doute : un homme du système peut-il vraiment le réformer ?
Une ambition en demi-teinte
En conclusion, le communiqué sur le FMP dresse le portrait d’un projet aux objectifs louables – transparence, efficacité, modernité – mais entravé par des failles structurelles et un manque de mordant. La restructuration sous contrainte, les ressources insuffisantes et l’absence de stratégie face aux résistances, comme celle des banques, ternissent son éclat. Avec Yassine Jaber, possiblement à la tête de cette initiative, et un secteur bancaire rétif au changement, le FMP risque de rester une réforme en demi-teinte, incapable de briser les chaînes d’un système qui a conduit le Liban à l’abîme.