160 000 personnes licenciées dernièrement sur près de deux millions de salariés et un taux de chômage dépassant les 10 %, alors que Le pays compte sept milliardaires, qui possèdent 58 % de la richesse nationale.

Et pourtant, le Premier ministre, à l’essai, Hathane Diab soutient néanmoins lors de ses déclarations à la presse au palais présidentiel de Baabda, l’air épuisé, que « Tout va bien ». Il s’affirme toujours capable de former un gouvernement en mesure de répondre aux problèmes économiques, financiers et sociaux que connaît le Liban.

« Lorsque nous formerons un gouvernement qui emportera le vote de confiance du Parlement, nous nous tournerons vers la mise en œuvre de projets qui sont dans l’intérêt du peuple libanais sur les plans économique, financier et social ». Une équipe spécialisée qui compte également sur le soutien du peuple libanais.

Le décor est un peu surréaliste : un gigantesque arbre de Noël clignotant derrière lui, un garde présidentiel très sceptique et des rois Mages en plâtre autour d’une crèche, dans une attitude très pensive.

La soixantaine, il est diplômé d’universités anglaises, professeur en génie électrique, ancien vice-président de l’Université américaine, ex-ministre de l’Éducation.  Il a mené diverses missions universitaires à l’étranger. Un curriculum vitae plus qu’honorable au regard des trois autres candidats écartés : un fils d’ancien Premier ministre, son cousin et un magistrat, ancien ministre de la Justice et une moyenne d’âge de 70 ans.

Peu connu du public, en guise de communication institutionnelle il a diffusé son curriculum vitae : cent trente-six pages, dont quarante de préface. Il y étale sa vision et son histoire en versant dans une légère autosatisfaction sur ses récompenses, son travail académique, ses choix pertinents et sans oublier l’inévitable sagesse dont l’aurait dotée mère nature. Le tout édité aux frais du ministère de l’Éducation nationale. Il va sans dire que l’ouvrage est devenu la risée des manifestants.

En désaccord avec cette désignation, son prédécesseur, Saad Hariri fait donner ses partisans. Des scènes d’émeute bien orchestrées avec des manifestants irrités par «une communauté sunnite négligée» et un gouvernement désigné comme celui de Gebran Bassil. Genre du président Michel Aoun et allié du Hezbollah cela devient une histoire interne qui s’amalgame aux intérêts régionaux des États-Unis et de l’Iran.

Prudents, nos émeutiers ne se sont pas aventurés au centre-ville. Saad Hariri, moins vaillant que Samy Gemayel des Kataebs, est resté chez lui. Depuis, il demande plus de retenue à ses «followers». Sa rencontre avec le numéro trois de la diplomatie américaine, David Halle, en visite dans la région, lui donne sans doute à réfléchir sur sa stratégie.

Des alliés peu commodes se sont adjoints à eux. La neige bloque trois gros axes routiers du pays ; inondations et boue sont de la partie aussi.

Plus festif, le patriarche maronite Béchara Ra’i souhaite ses vœux, bénit ses ouailles et veut croire au gouvernement des «technocrates» pour le début de l’année. L’indulgence du bon berger personnifiée. Le pape n’a-t-il pas parlé d’ «harmonieuse existence dans» son message ?

Ali Hassan Khalil est fâché avec la Banque du Liban. Ministre des finances par intérim, il est scandalisé par le blocage «des salaires des employés (de l’État) qui sont versés par le ministère des Finances chaque mois». «Un droit sacré» rajoute-t-il « qu’il n’est pas permis de violer». Le ministre ne précisait pas si son salaire lui avait été versé. En livres libanaises ou en dollars ?

Des scènes d’émeute intermittentes devant des banques pour retirer son salaire et ses avoirs et la paupérisation massive liés à l’inflation et le chômage donnent quelques frissons à Monsieur Walid Joumblatt. La faim pourrait provoquer des troubles dont parlait déjà le chef d’état-major de l’armée. Ses troupes ne seraient pas capables de les réprimer, affirme-t-il.

Le Petit journal.com, expression en ligne des expatriés francophones, sous le titre : Les indispensables de Noël décrit ainsi la situation en cette fin d’année : « Les fêtes de Noël au Liban sont à l’image du pays. Profondément empreint des cultures chrétienne et occidentale, le pays du Cèdre est également attaché à ses traditions arabes. Expressions, coutumes, chants…tout savoir sur Noël au Liban. »

En prime aux erreurs d’accord, il s’attelle à l’apprentissage de la langue arabe à l’attention de ses lecteurs. Cela donne : Crèche se dit مغارة (se prononçant mrara) qui signifie, dans le langage courant, grotte. 

Une interprétation historique et linguistique qui en dit long sur la connaissance de l’histoire et des mœurs libanaises des rédacteurs de cet organe. Heureusement que la crèche se dit Hadänat (حضانة) et que les mœurs troglodytes avaient disparu au Liban bien avant l’apparition de la civilisation urbaine en France.

Cette crise a démarré avec la formation du gouvernement Saad Hariri, taillé sur mesure pour appliquer le plan CEDRE. Il devait répondre à la situation catastrophique de l’économie libanaise et son endettement abyssal. Une aide de onze milliards de dollars des instances internationales, sans oublier l’appui des pays «amis». La contrepartie : un plan d’austérité et la paupérisation accrue de la population libanaise.

Le gouvernement, par le biais de son ministre du travail, Kamil Abu Sleiman, a eu l’audacieuse idée de vouloir l’appliquer d’abord aux retraités de l’armée : 3 % de moins sur leurs pensions. Les premières émeutes ne tardèrent pas. Tous les partis politiques, clans et religions confondus avaient pourtant accepté ces conditions drastiques.

Les différends actuels portent sur la nouvelle combinaison gouvernementale, mais ne remettent pas en cause l’unanimité autour de CEDRE. Ils reflètent la guerre d’influence des uns et des autres. On lorgne vers les puissances américaines et européennes et leurs représentants dans la région ou l’on mate les puissances régionales comme l’Iran et la Syrie.

Des orientations de moins en moins appréciées par la population libanaise touchée de plein fouet par les soucis économiques. Elle veut mettre à bas ce système gangrené par la corruption et le confessionnalisme et trouver solution à ses malheurs.

Le Hezbollah n’échappe pas à la vindicte. Après la guerre de 2006, et son lot de destructions à grande échelle menées par l’armée et l’aviation israélienne, ce parti avait, indéniablement, fait preuve d’une grande habileté politique et médiatique en offrant une compensation financière aux personnes ayant subi des pertes et la destruction de leur domicile. La popularité s’est érodée par sa participation gouvernementale, par son intervention en Syrie, au Yémen et l’acceptation du plan CEDRE sans oublier l’envoi de nervis contre les manifestants. Le Hezbollah se distingue de moins en moins du reste du monde politique libanais tout en restant le parti le plus puissant et le plus influent.

Le volet social de cette crise offre des revendications politiques et économiques. En d’autres temps, ces dernières furent portées par des partis socialistes ou des organisations communistes et syndicales. Elles sont invisibles. Leur accointance avec les partis et les clans en place y est-elle pour quelque chose ?

À l’inverse, une certaine démagogie politicienne veut détourner les manifestants de leurs objectifs en s’appuyant sur ce type de revendications ou alors s’appuie sur le répertoire communautariste.

Ces tendances sont inscrites dans la désintégration de la vie économique et sociale. Ces effets sont dénoncés au quotidien par les témoignages de la presse et des médias. Le suicide public étant l’un des signes les plus dramatiques.

La tribune d’un collectif de chercheurs et d’universitaires dans le Monde accusait récemment le gouvernement français de « faire preuve de frilosité » au Liban. Emmanuel Macron manquerait d’audace face aux événements !

Son audace est d’accompagner le « Vieux Monde », au détriment du « Nouveau Monde » mobilisé dans la rue. Tout comme en France, pour les retraites présentes et futures, la jeunesse libanaise se bat pour son avenir. Cet avenir n’est pas celui de la classe politique actuelle.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

La main-d’œuvre étrangère, entre 200 000 à 250 000 personnes, employées de maison pour l’essentiel, quitte le pays sous la double pression de la dévaluation de la livre libanaise et la perte d’un tiers de leurs revenus. À cela, s’ajoutent de plus en plus d’employeurs, eux-mêmes vulnérables à la crise, qui ne peuvent plus payer des salaires mensuels entre 200 et 400 dollars. Le gouvernement philippin s’est senti obligé de mettre en place un pont aérien.

Le pays compte sept milliardaires, qui possèdent 58 % de la richesse nationale. La dette de 80 milliards de dollars, soit 150 % du PIB, est détenue majoritairement par des Libanais, banques et particuliers. Un patriotisme lucratif basé sur un rendement élevé et le jeu de parité entre le dollar et la livre libanaise.

Le plan CEDRE est là pour satisfaire les propriétaires de la dette. Des manifestations se tiendront-elles un jour sous leurs fenêtres ?

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