Au Moyen-Orient, la France retrouve la 3ème voie – Fadi Assaf

397

La France n’avait plus de politique arabe crédible depuis longtemps, faute d’interlocuteurs recherchant le soutien français. Elle pensait avoir une politique pour l’ensemble géopolitique qu’est le Moyen-Orient incluant les pays périphériques au monde arabe c’est à dire la Turquie, Israël et l’Iran. Mais cette politique moyen-orientale globale de la France était occultée par l’hyperpuissance offensive et agressive des Etats-Unis qui ne laissaient aucune marge de manœuvre à Paris pour faire valoir ses spécificités et mettre en valeur ses points forts.

Deux évènements géopolitiques majeurs sont venus bouleverser la donne :

  • l’effacement américain résultant d’une politique irako-afghane désastreuse place désormais l’Iran en véritable pôle de stabilité dans la région face à des régimes sunnites gangrénés par un islamisme radical hors de tout contrôle (de la nébuleuse al-Qaïda à celle de l’Etat Islamique) et
  •  la redoutable partie d’échec syrienne du Président Vladimir Poutine qui a su habilement faire opérer un renversement d’alliance à la Turquie.

Cela a permis à la France de se positionner comme le seul interlocuteur stable pour de nombreux pays arabes qui se retrouvent durablement déçus de la politique américaine et qui redoutent le prisme historique de Moscou pour les pays chiites et pour les régimes laïcs. Ces pays se tournent donc naturellement vers Paris.

Ainsi la France retrouve une place singulière, dont elle a su, elle et ses industriels, largement profiter du temps de la confrontation Est-Ouest : celle de « la troisième voie ».

En effet, les Etats-Unis, dépassés par le double langage sunnite fait de fausse allégeance à l’hyperpuissance et de haine enracinée pour le « grand Satan », poursuivent leur pivot vers l’Asie, et assurent un service minimal sur les questions du Moyen-Orient. D’autant que leurs principaux partenaires de la région perdent leur attractivité énergétique…

Certes, ils y maintiennent une présence forte, diplomatique, militaire, économique, mais, en même temps, cette présence perd, à l’évidence, de son indispensable dimension stratégique.

Ainsi, les Etats-Unis s’arrangent, trop vite au goût de certains, avec leurs rivaux, au détriment parfois de leurs partenaires fidèles. Le deal nucléaire avec l’Iran est vécu comme une trahison par les Saoudiens et leur camp, tout comme l’arrangement en cours entre Washington et Moscou qui limiterait l’influence saoudo-sunnite au Levant. Il est d’ailleurs certains observateurs à se demander si Washington ne verrait pas d’un bon œil Moscou jouer les régulateurs de la situation syrienne et peut-être même de celle, tout aussi complexe, qui prévaut en Irak.

Le quotidien des relations saoudo-américaines subit le poids des susceptibilités grandissantes, des deux côtés : les Saoudiens commencent à se sentir lâchés au Yémen, après un an de soutien intéressé, et sentent aussi qu’ils perdent la main au Liban même, là où Américains et Iraniens entament une cohabitation pragmatique. Ils doivent batailler sans le soutien de Washington pour préserver leurs positions au sein de l’Opec, alors qu’ils se retrouvent engagés, directement, dans des situations pour le moins risquées sur l’ensemble de la région (Egypte, etc.).

Pire, l’historique de leurs relations avec Washington, les budgets affectés au lobbying, et surtout, les contrats accordés aux lobbies les plus puissants (défense, énergie), n’ont rien pu faire pour empêcher le vote par le Congrès américain d’une résolution autorisant les victimes du 11 Septembre à poursuivre en justice l’Arabie saoudite… Pourtant, et en dépit de tous ces changements, celui qui se voit déjà à la tête du royaume, l’actuel vice-prince héritier et fils du roi Salman Ben Abdulaziz, Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, aura tout tenté pour faire miroiter des opportunités nouvelles pour l’avenir des relations bilatérales, par la voie de sa « Vision 2030 »…

Alea Jacta Est. Avec Donald Trump ou Hillary Clinton, il est impossible que les relations saoudo-américaines retrouvent leur niveau des 70 dernières années. Après une période de déni, les Saoudiens l’admettent désormais.

Donald Trump, l’homme d’affaires et candidat des Républicains à la présidence américaine, doit encore retravailler son discours anti-Islam avant de gagner le soutien, officiel, de partenaires arabes. Hillary Clinton, ex-première dame et surtout ex-secrétaire d’Etat et candidate des Démocrates, doit encore revoir son discours de politique étrangère, dans son volet moyen-oriental, pour convaincre les alliés arabes de Washington qu’elle fera autre chose qu’Obama qui fut vu du Monde arabe le pire Président des Etats-Unis de l’après-guerre…

Comme c’est le cas, semble-t-il, de l’Américain moyen, les leaders des pays arabes, alliés proches ou moins proches des Etats-Unis, sont devant un choix crucial, entre deux possibles présidents tous deux partageant le profil de « second best ».

En France, qui aura son élection présidentielle aussi, tous les candidats possibles ne semblent pas, eux non plus, un « premier choix », pour les dirigeants arabes. Ce n’est pas tant la stigmatisation de l’islam et de l’immigration anarchique, par les candidats qui suivent la tendance des électeurs à des degrés divers, qui rabaisse l’un ou l’autre dans le classement des présidentiables établis par les dirigeants saoudiens, émiratis, qataris, égyptiens etc. Leurs critères de choix sont bien différents, car ils savent ce qui est tolérable et ce qui ne l’est plus dans les sociétés américaine et française, et connaissent les limites de leur influence sur ces deux thèmes porteurs aujourd’hui :

  • (i) l’islam
  • et (ii) la crise des migrants.

Leurs critères ont rapport avec leurs priorités et leurs obsessions :

  • (iii) l’Iran,
  • (iv) la stabilité du régime,
  • (v) le terrorisme,
  • (vi) l’économie.

Leur candidat favori pour la Maison-Blanche est bien celui, ou celle, qui

  • (vii) empêchera une domination du Moyen-Orient par l’Iran (avec l’espoir, profond, de transformer ce candidat prédisposé en un Président franchement anti-iranien),
  • (viii) comprendra et appuiera la priorité absolue des régimes, aussi défaillants fussent-ils, de se maintenir et de traverser sans gros dégâts les tempêtes et autres printemps arabes et islamiques (un seuil de tolérance élevé à l’égard des dérives totalitaristes, une contribution directe à l’effort de guerre, etc.),
  • (iix) adhèrera à leur philosophie anti-terroriste, et sera d’un soutien utile et déterminé à agir avec eux pour contrer ce terrorisme, en fonction de leur philosophie donc et de leurs priorités internes et stratégiques,
  • (ix) intègrera les priorités économiques (énergétiques, etc.) des pays arabes dans sa politique arabe et moyen-orientale (ex : éviter une confrontation frontale et coûteuse dans le domaine énergétique ; traiter avec l’Arabie saoudite sous le prisme de « Vision 2030 »),
  • (x) aura su créer avec eux une relation directe et de confiance permettant de consolider la stabilité sunnite mise à mal par une somme hétérogène faite de printemps arabes, d’islamisme radical, de primat chiite, de chute des cours du pétrole et de désengagement américain.

A priori donc, et pour rester pragmatique, les dirigeants arabes n’ont pas de préférences accentuées pour l’un ou l’autre des candidats présidentiels aux Etats-Unis ou en France. Surtout, encore une fois, les dirigeants arabes recherchent, dans le futur Président français, celui qui défendra leurs intérêts stratégiques : face à l’Iran, face aux ennemis de l’intérieur, dans le domaine économique, etc.

Un François Hollande, et indépendamment de son score politique interne, est, comme un Nicolas Sarkozy, beaucoup plus qu’Alain Juppé et son tropisme bien connu pour les Frères Musulmans (alliés du seul Qatar faut-il le rappeler), des Présidents fréquentables, acceptés, soutenus, tant qu’ils défendront les intérêts de leurs amis et alliés arabes.

En quelques mois, Nicolas Sarkozy est allé à Abou Dhabi voir son ami le prince héritier cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, avant de faire un saut cet été à Tanger en plein mois d’août, pour se rendre à la cour du Roi Salman Ben Abdulaziz afin de rencontrer ses proches collaborateurs, notamment le vice-Prince héritier, 2ème vice-Premier ministre, Ministre de la Défense Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz. Les deux hommes, MBS et NS, feraient d’ailleurs un bon couple franco-saoudien, si un montage « gagnant-gagnant » était bien conçu préalablement… Le Président François Hollande, au titre de sa fonction présidentielle, n’a jamais arrêté ses contacts, très soutenus d’ailleurs, avec tous les dirigeants du monde arabe. Le prochain Président profitera, certainement, des autoroutes qu’il a tracées avec les partenaires arabes de référence de la France, ou qu’il a empruntées et élargies. Le premier à pouvoir, normalement, en profiter, ce serait … lui-même, François Hollande s’il était réélu. Sarkozy aussi en profitera s’il était élu.

Pour mieux saisir cette idée, il convient de laisser de côté une dimension, essentielle sur le plan national mais qui compte moins au niveau des relations franco-arabes, la dimension politique et politicienne interne. Il convient aussi et surtout d’évaluer là où les choix politiques, stratégiques, militaires, sécuritaires, économiques, pris par Hollande ont, effectivement, servi les intérêts des pays arabes courtisés. Ainsi, nous comprendrons que, pour les Al Saoud, Al Thani, Al Nahyan, Al Sabah, pour le Roi de Jordanie, le maréchal Sissi, le Roi du Maroc, etc., quel que soit le prochain Président français, et malgré des nuances certaines, rien ne devrait changer au niveau des relations stratégiques bilatérales que la France a toujours voulu stables et pragmatiques.

Seule exception, les printemps arabes et la crise syrienne qui ont vu la France déroger à ces principes en se laissant entrainer par les Etats-Unis au nom d’un néo-conservatisme colonialiste empreint de valeurs démocratiques et de droits de l’homme qui ont fait le jeu des Frères Musulmans. Mais aussi par l’Arabie saoudite (et les Etats-Unis) en soutenant la déstabilisation des baathistes de Damas (indéfendables par ailleurs sur de nombreux plans), toujours en vertu des mêmes principes que les saoudiens n’appliquent d’ailleurs pas chez eux…

Mais, ce choix, stratégique, dépasse, largement, les personnes, et concerne, surtout, la politique régionale, arabe, et moyen-orientale de la France. Elle devrait rester inchangée avec les présidentielles surtout dans l’hypothèse Hollande ou Sarkozy, et cette convergence de vues avec la France des élites locales est pour elles essentielle. Elle leur permet d’éviter le face à face étouffant avec Moscou et de pallier pour partie le retrait partiel des États-Unis.

De là à penser que plus d’un régime arabe continuera de se sentir plus proche de la France qu’il ne l’est des Etats-Unis, indépendamment des prochains occupants de la Maison Blanche et de l’Elysée, il n’y a qu’un pas : plus flexible, plus sensible aux intérêts directs de ses partenaires stratégiques arabes, plus directement concernée par les enjeux régionaux, et surtout plus déterminée à préserver ses liens stratégiques avec ses alliés arabes de référence, la France est perçue aujourd’hui comme un partenaire plus fiable que les Etats-Unis. Son image de « 3ème voie » et de partenaire crédible capable et engagé, ne devrait pas être affectée par les échéances politiques internes. En tout cas, c’est ainsi que ses partenaires arabes la perçoivent, même s’ils resteront subjugués par les Etats-Unis et même s’ils ne cesseront d’être attirés par un nouveau venu sur leur zone d’influence : la Russie. Pour le moment, et pour les prochaines années, la France est et restera une valeur sure pour de nombreux Etats et gouvernements arabes. La « non-politique » française est et restera prisonnière de cette situation gagnante-gagnante, en attendant, peut-être, d’autres ouvertures stratégiques…

Fadi Assaf – http://www.mesp.me

Crédit Photo: Musée d’Orsay – Pélerins allant à la Mecque, Léon Belly, salon de 1861, huile sur toile, François el Bacha, tous droits réservés

Un commentaire?