Le premier ministre désigné Saad Hariri à l'issue des consultations parlementaires du 23 octobre 2020. Crédit Photo: Parlement Libanais
Le premier ministre désigné Saad Hariri à l'issue des consultations parlementaires du 23 octobre 2020. Crédit Photo: Parlement Libanais

S’exprimant à l’issue des consultations parlementaires, le premier ministre désigné Saad Hariri a appelé à la formation d’un gouvernement d’experts oeuvrant selon les mesures stipulées par la feuille de route française. Il s’agirait de réformes qui auraient dû être mises en oeuvre depuis fort longtemps, souligne Saad Hariri, appelant à les voir immédiatement appliquées.

Il y a une panne dans le pays. Nous devons faire face à cette opportunité de manière à mettre la différence de côté et à être positifs afin de restaurer la confiance, que ce soit entre le citoyen et l’État, ou entre l’État et la communauté internationale

Indiquant que l’amélioration de la situation économique nécessitera du temps, Saad Hariri a ainsi estimé que le seul moyen à accélérer le processus de recouvrement consiste en l’accélération du processus de formation du prochain gouvernement et l’adoption du programme du Fonds Monétaire International.

À l’issue de cette journée, si le premier ministre désigné espère la formation d’un gouvernement restreint composé de spécialistes non partisans, les blocs parlementaires rappellent à ce dernier qu’il s’agit également d’obtenir la confiance du parlement, même s’il y a un consensus sur le rôle que devra tenir le cabinet à constituer et notamment dans les réformes et la mise en place de la feuille de route française.

Ainsi, le président du bloc parlementaire du Hezbollah Mohammed Raad a conseillé à ce dernier de chercher un accord avec tous les blocs parlementaires. Ont été abordés différents dossiers comme la lutte contre le coronavirus, mais également les réformes judiciaires, administratives et la situation monétaire. Des actions devraient être entreprises dans le cadre de l’initiative française, a souligné le représentant du Hezbollah avant de se prononcer en faveur d’un gouvernement de 24 membres avec un ministre par portefeuille, écartant la constitution d’un cabinet restreint.

Le Président du Courant Patriotique Libre Gébran Bassil s’est également entretenu avec Saad Hariri, décrivant la discussion contre franche, honnête et responsable à son issue. Il n’y a aucun problème personnel, indique Gébran Bassil en réponse à des questions sur des rumeurs qui annonçaient son possible boycott hier.
Le dirigeant du CPL a indiqué être extrêmement positif quant à la formation du prochain gouvernement qui doit mettre en place le programme de réformes stipulé par la feuille de route française. Celui-ci devrait commencer par un accord avec le FMI, mais également garantir une distribution 24h sur 24 de l’électricité à la population.

Nous avons le droit d’avoir des inquiétudes et notre priorité ultime est de mettre un terme à l’effondrement et d’aider le peuple. Nous n’avons proposé aucune demande ou condition autre que de suivre des normes unifiées pour tous les composants

Autre point d’achoppement, Gébran Bassil s’est également prononcé pour l’avènement d’un gouvernement non pas seulement composé par des technocrates mais également par des politiciens afin qu’il puisse obtenir la confiance de la chambre.

Cela signifie qu’il doit bénéficier d’un soutien politique et, ce qui est le plus important, c’est d’avoir des ministres qui ont une spécialité et une expertise

Le bloc Forces Libanaises République Forte a, quant à lui, appelé à la formation d’un gouvernement de spécialistes indépendants des forces politiques sans inclusion de quotas religieux ou de conditions. S’exprimant au nom du bloc, le député Georges Adwan a ainsi appelé le Premier Ministre Désigné à ne pas “entrer dans le labyrinthe de la distribution de portefeuilles”, rappelant par ailleurs la position des FL à ce que puissent être organisées des élections législatives anticipées.

Et des conflits d’intérêts à venir

Tout comme son prédécesseur, le prochain premier ministre fera l’objet d’immenses pressions tant en interne en raison de la crise social économique que traverse le pays des cèdres mais également externes, avec le refus de la communauté internationale de débloquer une aide tant que les réformes économiques, monétaires ou encore financières ne sont pas mises en place, en raison des obstacles posés par une classe politique économique qui refuse ainsi de toucher à ses propres intérêts.

La principale mission sera en effet de débloquer les négociations avec le fonds monétaire international, des négociations jugées nécessaires à l’obtention de l’aide financière visant à relancer l’économie locale. Cependant, le déblocage de ces négociations est jugé difficile en raison du refus de certains intérêts, notamment à reconnaitre l’ampleur des pertes du secteur financier.

Son action sera aussi contradictoire avec la nécessaire restructuration du secteur bancaire qui doit être menée au détriment de ses intérêts même avec 10% des actions appartenant à sa famille. Il déclarait, il y a quelques mois à peine, que la mise en état de défaut de paiement n’était pas nécessaire, ce que réfutent de nombreux spécialistes financiers et même la communauté internationale, soulignant l’épuisement prochain des réserves monétaires disponibles servant à financer l’achat à l’étranger des produits de première nécessité.

L’association des banques du Liban ou encore le gouverneur de la Banque du Liban lui-même Riad Salamé, qui bénéficiait de la protection de Saad Hariri soulignant “son immunité” sortent ainsi définitivement renforcés par cette nomination alors même que la communauté internationale s’interroge sur la capacité de réformer un système financier par les personnes qui l’ont construit jusqu’à le mener à sa perte.

Sur le plan politique, la formation du prochain gouvernement pourrait s’avérer bien plus compliquée que ce qu’estime le nouveau premier ministre même s’il a déjà fait des concessions reconnaissant par exemple devoir nommer une personnalité chiite comme prochain ministre des finances.

L’impasse politique pourrait à nouveau mener à une paralysie institutionnelle. Dès aujourd’hui, certains partis politiques exigent ainsi la rotation de l’appartenance des ministères régaliens, une chose sur laquelle Mustapha Adib avait rapidement buté avant de se retirer et contredisant donc les engagements pris par lui devant le tandem chiite.

De nombreux dirigeants politiques mais également analystes s’interrogent ainsi sur sa capacité à former un gouvernement non partisan pour reprendre ses propres mots et obtenir la confiance de la chambre alors que beaucoup de personnalités politiques possèdent des intérêts contradictoires avec les réformes à mener, tout comme lui-même.

La situation économique toujours plus chancelante

Même en cas de formation rapide du gouvernement, Saad Hariri fera face à une situation économique désastreuse dont il est en partie responsable au final par l’incapacité de ses précédents gouvernements à avoir mis en oeuvre les réformes nécessaires.

La situation économique reste justement critique, avec un Liban à la croisée des chemins. Où le système politique évolue pour finalement prendre des décisions où le système politique ne peut évoluer, tout comme le système économique, avec le risque de voir le Liban être mis à l’écart du système financier global et devenir le havre de toutes les mafias afin de pouvoir continuer à se financer.

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