Patrimoine: Entretien avec Joumana Chahal Timery, Président de l’ASPT

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Le samedi 13 février 2016, à Paris, chez Ly Balzac, a eu lieu le dîner annuel de l’Association pour la Sauvegarde de Tripoli (ASPT). Plus d’une centaine de personnes étaient au rendez-vous.  Ce fut pour moi l’occasion d’interroger sa présidente, Madame Joumana Chahal Timery autour de trois thèmes principaux qui suscitent l’intéret de chaque citoyen soucieux de son patrimoine et de sa sauvegarde : L’inventaire général du patrimoine au Liban, la sensibilisation de la population et sa valorisation

«  L’Association pour la Sauvegarde de Tripoli » (ASPT) créée en avril 2009 à Paris, est une association culturelle, loi 1901, à but non lucratif dont les objectifs sont de « sauvegarder, promouvoir et faire connaître le patrimoine libanais en l’occurrence celui de Tripoli, 1ère ville sur la côte est de la méditerranée en nombre de vestiges et 2e après le Caire en patrimoine mamelouk ».

Sur la question de l’Inventaire général du patrimoine, il s’agit selon elle, de« faire connaître le patrimoine pour le reconnaître. C’est une étude typologique, artistique et historique du patrimoine. En France, et dans tous les pays qui ont à coeur de préserver leurs patrimoines, il existe un service, comme celui où je travaille, qui grâce à un travail scientifique assure la connaissance et la documentation du patrimoine dans des bases de données nationales afin de garantir leur pérennité et leurs mémoires en cas de démolitions. A cet effet, nous avons déposé un projet  d’Inventaire général du patrimoine libanais au ministère de la culture au Liban resté jusqu’à aujourd’hui irrecevable. N’ayant pas l’habitude de baisser les bars, nous travaillons sur un nouveau dossier afin de le faire passer ». Cette demande émane de plusieurs années de travail et d’études, et de recommandations actées suite aux colloques organisés à l’hémicycle du Conseil régional d’Ile De France et en partenariat avec lui.

Quant à la sensibilisation, Mme Timery constate que les libanais ne connaissent pas leur patrimoine. Il faut donc les sensibiliser. Mais quoi de mieux que de le faire sur les bancs d’écoles.  Un projet a donc été mis sur papier et écrit de A à Z afin de montrer à l’élève qu’il vit dans un pays très hautement patrimonial et que ce patrimoine pourrait être une richesse extraordinaire personnelle ou même collective, que le patrimoine est désormais le pétrole des pays pauvres. Notre ville est la plus pauvre du Liban. Il faut donc sensibiliser la population à la valeur et aux possibilités qu’offre le patrimoine à un pays sur le plan du tourisme et de l’économie sans parler de l’aspect culturel.

Ce projet a été élaboré à l’initiative et en  collaboration avec l’association Patrimoine sans frontières et est une marque déposée. Il a été adapté aux programmes libanais. Il est enseigné dans les écoles publiques à hauteur de deux heures hebdomadaires sur trois niveaux.( élémentaire, collèges et lycée). Nous suivons le projet pas à pas. Pour cela nous avons nommer une référante qui gère tous les problèmes et qui en réfère à notre équipe parisienne.

Il vient à point nommé combler un manque dans les programmes libanais, celui de  la matière de l’éducation civique,  nouvellement supprimée, puisqu’il traite de civisme, d’environnement et de patriotisme.

“Il s’agit d’un programme ludique qui consiste à faire découvrir à l’élève son environnement patrimonial personnel pour qu’il se sente plus riche, riche d’une culture et d’une histoire qui font qu’il commence à apprécier les belles choses. Ensuite dans la phase II, il passe du patrimoine personnel ou familial au patrimoine commun de sa classe, de son école, de sa ville de son pays”…

“A la fin de l’année on évalue et on fait un projet classe (expo, livre film etc…. au choix de l’école).”

Nous avons pu obtenir l’aval moral du Ministère de l’Education nationale et de son Directeur général Monsieur Fady Yarak que nous remercions et qui a été séduit par le projet. Aucune aide financière ne nous a été attribuée,  bien sur, nous savons tous que  le ministère ne dispose d’aucun budget pour ce genre d’initiatives.

Sur la question de la réalisation du projet, Madame Joumana Timery et son équipe, essayent d’impliquer des spécialistes :

“Nous avons aussi constitué un comité scientifique sur place formé par des universitaires, directeurs généraux d’éducation, directeurs d’écoles, documentalistes, conseillers municipaux chargé du patrimoine etc.;; et nous mêmes pour valider les connaissances. C’est vraiment un projet d’équipe. “

“Nous avons emmené une équipe de professeurs formateurs français  pour former les enseignants car jusqu’à aujourd’hui le mot patrimoine « tourath » en arabe est une notion vague. “

“Nous mêmes nous allons de temps en temps au Liban pour rencontrer les équipes et voir l’avancement. “

“Il faut que cette année pilote soit probante pour qu’on puisse poursuivre le projet dans toutes les écoles et même l ‘étendre à tout le Liban; Ce sera une lourde tâche pour nous mais qui mérite qu’on sacrifie tout pour sa réussite car nous serions en train de former de nouvelles générations de libanais sensibles à la culture en leur inculquant aussi un sentiment de patriotisme basé sur la reconnaissance de la libanité. Le projet a aussi beaucoup d’autres avantages. Il est capable de régler d’énormes problèmes d’identité et de conflits inter religieux, inter générations et de régler peut-être même l’intégration des réfugiés.”

Pour le moment le projet séduit beaucoup. En espérant qu’il réussisse.

Sur la question de la valorisation:

L’ASPT a à coeur de faire connaître par tous les moyens ce précieux patrimoine libanais et pourtant si peu mis en évidence dans le tourisme culturel.

Pour cela l’ASPT joue le rôle de passeurs, en organisant des événements de toute nature. Mais elle rend hommage à ce patrimoine aussi dans des publications d’actes et d’ouvrages touristiques, en effectuant des visites culturelles guidées sur les lieux, ( vieille ville, foire internationale chef-d’oeuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, gare terminus de l’Orient express etc….) Mais aussi sur les réseaux sociaux et dans les alertes lors des saccages, vols ou démolitions. Elle n’ a de cesse d’attirer l’attention sur les dangers que subit ce patrimoine peu entretenu et qui n’est pas considéré par l’état libanais comme une richesse à préserver.

“L’ASPT achemine de temps en temps aussi des fonds de bibliothèques et je pense que bientôt nous allons être en mesure d’ouvrir une bibliothèque publique à Tripoli.”

Nous organisons des conférences sur place  pour sensibiliser.

Nous  luttons contre les spéculations immobilières , nous militons pour empêcher les démolitions.

Le travail le plus importants que nous faisons est celui de la pression que nous exerçons sur le gouvernement pour créer des projets de lois pour le patrimoine. La dernière loi libanaise date de 1933!!

Un travail est donc commencé avec le ministère de la culture pour cela. Il a promis un comité de réflexion sur un projet de loi. On attend de voir.

« La conservation des monuments du passé n’est pas une simple question de convenance ou de sentiment. Nous n’avons pas le droit d’y toucher. Ils ne nous appartiennent pas. » John Ruskin (1819-1900)

Biographie :

Joumana Chahal Timery est Docteur ès-Lettres à la Sorbonne.

Son domaine de recherche, sa première passion fut ” La poésie lyrique de langue d’Oc et la poésie arabo-andalouse du XIe -XIIe siècle”. 28 ans de travail et de combat pour faire valoir ces influences mutuelles à travers des traductions et des rapprochements de poètes inédits. Elle avait 20 ans quand elle a débuté ses recherches dans ce domaine.

Après une formation dans le domaine de la conservation du patrimoine, elle travaille dans le service Patrimoines et Inventaire, en parallèle de  l’ASPT elle exerce une fonction de conservateur du patrimoine et mène  un ouvrage intitulé “Elisabethville ou la plage de Paris sur Seine” aux Editions SOMOGY publié par le Conseil régional d’Ile de France paru en 2015.

Elle est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées de langue d’OC la France Latine et autres mais aussi dans des revues spécialisées dans le patrimoine patrimoine et de nombreux journaux et magazines libanais.

A son actif, plusieurs activités culturelles dont l’organisation de conférences au Sénat, à l’Institut du monde arabe, et des concerts, des expositions, mais aussi deux colloques internationaux à l’hémicycle du Conseil régional d’Ile de France

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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