La tournée présidentielle de Joseph Aoun dans le Golfe, une relance diplomatique affichée
Le président de la République libanaise Joseph Aoun a entamé une visite officielle de deux jours au Koweït le 11 mai 2025, marquant ainsi sa quatrième étape dans une série de visites régionales après l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Reçu avec les honneurs à l’aéroport par l’émir du Koweït, Sheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, et plusieurs hauts responsables de l’État, Aoun a profité de cette occasion pour exprimer la gratitude du Liban envers l’aide continue du Koweït dans les domaines politique, économique et humanitaire, en particulier durant les périodes de crise.
À travers ses différentes interventions, le chef de l’État a mis en avant la nécessité de renforcer la coopération bilatérale, soulignant l’importance des investissements pour relancer l’économie libanaise. Il a notamment évoqué les priorités nationales telles que les infrastructures énergétiques, les ports, les aéroports et le secteur de l’électricité. Il a réaffirmé que le Liban n’attendait pas des aides, mais bien des investissements concrets.
Aoun a aussi insisté sur la décision ferme de l’État de centraliser les armes sous son autorité, rappelant que le dialogue restait la voie privilégiée pour éviter tout affrontement militaire, y compris avec les factions palestiniennes présentes sur le territoire libanais. Ce message, réitéré lors de son entretien avec la télévision koweïtienne, visait à rassurer tant la communauté internationale que les pays arabes partenaires sur la stabilité intérieure du Liban.
Trump au Moyen-Orient : un nouveau cycle diplomatique
En parallèle de cette visite, le président américain Donald Trump poursuit sa tournée dans le Golfe, qui inclut également le Koweït. Cette coïncidence diplomatique n’est pas anodine : les entretiens du président libanais avec son homologue koweïtien ont aussi abordé les attentes vis-à-vis des États-Unis, notamment dans leur rôle de médiateur dans plusieurs dossiers régionaux comme Gaza, le Liban-Syrie, et l’accord nucléaire avec l’Iran.
Le Koweït s’est montré, selon les déclarations officielles, désireux de continuer à soutenir la stabilité libanaise. Le conseiller politique à l’ambassade koweïtienne à Beyrouth, Yassine Al-Majed, a rappelé les projets d’aide passés — tels que les silos à grain de Beyrouth reconstruits après l’explosion de 2020, ou encore les réseaux d’assainissement à Marjayoun — comme gages d’un partenariat structurel durable.
Le climat politique libanais sous tension électorale
Cette séquence internationale intervient dans un contexte local marqué par le déroulement des élections municipales, notamment dans les régions du Nord et du Akkar. Les taux de participation ont été jugés faibles à moyens, avec des incidents rapportés par plusieurs journaux à Tripoli, Zgharta et Bécharré. Le Premier ministre Nawaf Salam a réagi en dénonçant fermement les tentatives de fraude, affirmant que les responsables seraient poursuivis. Il a salué l’intervention rapide des forces de sécurité pour maintenir l’ordre électoral.
Des figures politiques telles que Gibran Bassil, Samir Geagea, et Tony Frangieh se sont rendues aux urnes, projetant ces municipales comme une répétition générale avant les législatives. Les dynamiques d’alliance locales révèlent de nouveaux rapports de force, notamment entre les partis chrétiens du Nord, alimentant le débat sur la représentativité et la légitimité des élites traditionnelles.
Le Liban au cœur des tensions régionales
Sur le plan sécuritaire, l’attention se porte également sur la situation à la frontière sud. Israël poursuit ses raids sporadiques au nord du Litani, malgré l’instauration d’un cessez-le-feu. Des voix au sein de la société civile et de l’armée plaident pour un renforcement du rôle de l’armée libanaise sur toutes les zones sensibles du territoire, dans le cadre de la stratégie de « centralisation du monopole de la force ».
Le chef de l’État a également rappelé que « le Liban est de retour dans son giron arabe », appelant les pays frères à « revenir vers lui », dans un message implicite destiné à encourager les investissements et à revitaliser les relations diplomatiques traditionnelles.
Politique locale : Élections municipales sous tension et recompositions silencieuses
Un scrutin aux multiples lectures dans le Nord
Le 12 mai 2025, les électeurs des gouvernorats du Nord et du Akkar ont été appelés aux urnes pour la deuxième vague des élections municipales et des mokhtars. Le scrutin a été marqué par une participation moyenne à faible, notamment à Tripoli, où seulement 25,04 % des inscrits ont voté selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. En comparaison, la participation a été plus élevée dans des zones comme Zgharta (38,77 %), le Koura (38,92 %) ou la Minieh-Dinnieh (49,96 %).
Le président Joseph Aoun a suivi le déroulement du scrutin depuis la salle d’opérations du ministère de l’Intérieur, saluant le rôle des forces de sécurité et appelant les citoyens à voter « pour des projets et non pour des personnes », insistant sur le caractère « fondamentalement développemental et non politique » des élections locales.
Des alliances éclatées et des enjeux locaux
À Tripoli, malgré la présence de six listes en lice, le scrutin s’est déroulé sans grands rassemblements partisans. Les anciens pôles sunnites comme le courant du Futur étaient absents, et les choix des électeurs se sont portés sur des candidats indépendants ou liés à des figures locales, dans un climat d’attente sociale aiguë. Des initiatives comme les listes « Nassij Tripoli », soutenues par le député Ihab Matar, ont concurrencé les coalitions de figures établies comme les députés Karamé, Rifi, Najib Mikati et Kabara sous la bannière « Roya Tripoli ».
Dans le même temps, les localités de la Minieh et de la Dinnieh ont connu des duels politiques virulents, où se sont affrontés des candidats liés à l’ancien député Kassem Hachem et aux forces issues du mouvement de protestation de 2019, ce qui préfigure des recompositions à venir dans la représentation parlementaire de ces régions.
La mobilisation communautaire, un moteur essentiel
Dans les zones chrétiennes du Nord, les élections ont davantage pris un tour politique. À Bcharré, la liste de Samir Geagea menée par Joe Kairouz a remporté l’ensemble des sièges, confirmant la mainmise des Forces libanaises sur ce bastion. À Batroun, c’est l’alliance du Courant patriotique libre avec les Kataëb, les Marada et les Forces libanaises, autour de Marcelino Harak, qui a été victorieuse. Dans les villages du Koura, le Parti syrien national social a renforcé ses positions, remportant plusieurs municipalités comme Kfarhatta ou Kfifton.
À noter également la percée inattendue de listes indépendantes dans plusieurs localités du Akkar, reflet de la lassitude des citoyens vis-à-vis des formations traditionnelles.
Une gouvernance locale fragilisée
Les élections municipales ont aussi mis en lumière l’état dégradé de la gouvernance locale, en particulier à Beyrouth. Dans un article virulent publié par Al Sharq, l’auteur fustige la paralysie du conseil municipal, qualifié de « mutilé » et soumis à l’humeur du gouverneur nommé par le gouvernement. Il y dénonce le clientélisme politique persistant et le transfert massif d’électeurs vers certaines zones pour des raisons communautaires, illustrant la persistance des logiques confessionnelles dans la répartition du pouvoir local.
Réactions officielles et climat post-électoral
Le Premier ministre Nawaf Salam a félicité le ministre de l’Intérieur pour le bon déroulement de cette phase électorale, insistant sur la régularité du calendrier électoral comme gage de légitimité démocratique. Il a souligné que le taux de participation, s’il reste inférieur aux attentes dans certaines zones, était comparable à celui de 2016 et témoignait d’une certaine stabilité institutionnelle malgré les crises successives.
La tenue des élections à leur échéance constitue en effet un signal important envoyé à la communauté internationale, en particulier alors que le Liban cherche à restaurer sa crédibilité auprès des bailleurs arabes et occidentaux.
Diplomatie : Offensive de reconquête régionale du Liban et réalignements stratégiques
La visite de Joseph Aoun au Koweït, pilier d’un repositionnement arabe
Le président de la République Joseph Aoun a effectué une visite officielle au Koweït les 11 et 12 mai 2025, répondant à l’invitation de l’émir Sheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah. Cette visite s’inscrit dans une tournée plus large dans le Golfe visant à relancer les relations bilatérales et à repositionner le Liban dans son environnement arabe traditionnel.
Dans ses déclarations à la presse koweïtienne, Aoun a insisté sur le caractère stratégique de cette relation : « Le Liban n’a pas besoin de dons mais d’investissements », citant notamment les secteurs de l’énergie, des ports, des aéroports et de l’électricité comme prioritaires. Il a également souligné l’importance de la diaspora libanaise au Koweït, qualifiant cette dernière de « deuxième plus ancienne communauté arabe installée dans l’émirat ».
Aoun a réaffirmé l’engagement de l’État libanais à recentrer le monopole de la violence légitime entre les mains de l’armée, évoquant explicitement la nécessité d’un dialogue, même avec les factions palestiniennes, pour éviter les dérives sécuritaires internes.
Le Koweït, un soutien constant du Liban
Du côté koweïtien, les responsables ont réitéré leur attachement à la stabilité du Liban. Le conseiller politique de l’ambassade du Koweït à Beyrouth, Yassine Al-Majed, a rappelé les nombreuses initiatives de soutien humanitaire, économique et infrastructurel de l’émirat. Il a notamment cité la reconstruction des silos à grains de Beyrouth et l’extension des réseaux sanitaires au Sud-Liban comme exemples de projets concrets financés par le Koweït.
L’Emir du Koweït a affirmé que cette visite était d’autant plus significative qu’elle intervenait peu après la formation d’un nouveau gouvernement libanais, créant ainsi une opportunité politique pour relancer les relations entre les deux pays sur des bases solides et durables.
Trump et la recomposition géopolitique du Golfe
Parallèlement, le président américain Donald Trump a entamé une tournée stratégique dans le Golfe, qui comprend l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Ce déplacement s’inscrit dans une volonté de restaurer l’influence des États-Unis dans la région, de conclure des accords commerciaux et de renforcer les axes diplomatiques sur les dossiers iraniens, palestiniens et énergétiques.
Trump cherche ainsi à construire une nouvelle plateforme d’alliances autour de Washington, tout en se gardant d’intervenir directement dans le conflit à Gaza. Il a, selon des sources proches, gelé toute tentative de médiation directe, préférant laisser l’initiative à ses partenaires régionaux, notamment le Qatar et l’Égypte.
La diplomatie américaine a insisté sur l’importance de cette tournée pour assurer la continuité de la stratégie de « stabilisation par l’investissement », visant à faire des États du Golfe les vecteurs économiques d’un nouvel ordre régional favorable aux intérêts américains.
Vers une diplomatie arabe redéfinie ?
La coïncidence entre les initiatives de Trump et la tournée arabe de Joseph Aoun illustre un changement d’approche dans la diplomatie libanaise. À travers ces visites, Aoun tente d’imposer l’image d’un Liban souverain, prêt à assumer ses responsabilités internes en matière de sécurité, et désireux de rétablir des partenariats économiques sérieux avec les États arabes.
Selon des sources diplomatiques citées par Al Joumhouriyat, ce repositionnement vise également à obtenir un « parapluie politique arabe » susceptible de renforcer la position du Liban dans les négociations internationales en cours sur le dossier des réfugiés, le redressement économique et la réforme des institutions publiques.
Politique internationale : reconfigurations diplomatiques, tensions régionales et perspectives de négociation
Gaza : un accord Hamas-Washington en cours de négociation directe
Le 12 mai 2025, les médias israéliens et arabes ont rapporté une avancée significative dans les négociations entre les États-Unis et le mouvement Hamas. Selon la chaîne israélienne Channel 12, relayée par Al Quds, l’administration Trump, via son émissaire spécial Steve Witkoff, aurait mené des pourparlers directs avec des responsables du Hamas afin de parvenir à un accord de cessez-le-feu à Gaza. Dans le cadre de ce dialogue, le Hamas se serait dit prêt à libérer le prisonnier américano-israélien Idan Alexander comme geste de bonne volonté.
La nature directe de ces négociations marque un tournant diplomatique : pour la première fois depuis plus d’une décennie, Washington traite avec le Hamas en dehors du filtre égyptien ou qatari. La motivation de l’administration américaine serait double : assurer la sécurité des ressortissants américains et consolider son rôle de médiateur principal au Moyen-Orient, en marge de la tournée de Trump dans le Golfe.
Du côté israélien, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exprimé des réserves, mais a déclaré qu’il soutenait « le processus d’entente pour le retour des captifs » sous conditions strictes. Le porte-parole de l’armée israélienne a confirmé que des préparatifs militaires se poursuivaient néanmoins, avec la mobilisation d’unités de réserve vers la frontière sud.
Iran-États-Unis : une quatrième ronde de négociations délicate mais prometteuse
En parallèle, la quatrième session des pourparlers nucléaires entre les États-Unis et l’Iran s’est tenue à Muscat. Selon Al Quds, les négociations ont été qualifiées par les deux parties de « difficiles mais utiles ». Steve Witkoff a conduit la délégation américaine tandis qu’Abbas Araqchi représentait l’Iran. Les discussions ont porté principalement sur le niveau d’enrichissement de l’uranium, point de friction persistant entre les deux puissances.
Téhéran a maintenu sa position en affirmant que le droit au développement nucléaire civil est inaliénable, mais a montré une ouverture à la limitation du taux d’enrichissement en dessous de 3,67 %, en contrepartie d’une levée graduelle des sanctions. Witkoff a indiqué que cette position constituait « une base de travail raisonnable pour progresser ».
Ces avancées sont perçues comme un signe que les deux pays, bien qu’en opposition sur de nombreux dossiers, pourraient parvenir à un nouvel accord-cadre dans les semaines à venir.
Russie et Ukraine : vers une rencontre décisive à Istanbul
Sur un autre front, le président russe Vladimir Poutine a proposé une rencontre directe avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à Istanbul, prévue pour le 15 mai. Selon les informations rapportées par Al Akhbar, cette rencontre pourrait ouvrir la voie à un cessez-le-feu prolongé, conditionné à la reconnaissance de certaines zones tampons sous contrôle international.
Zelensky a accepté le principe d’une réunion sans conditions préalables, mais a exigé que tout accord soit précédé d’un retrait partiel des troupes russes de la ligne de contact. L’Union européenne, absente de ces négociations, s’est contentée d’un soutien diplomatique discret, misant sur la médiation turque et américaine pour éviter une escalade armée.
Multiplication des axes géopolitiques concurrents
La juxtaposition de ces dynamiques montre un monde multipolaire en recomposition. Tandis que les États-Unis cherchent à reprendre la main dans le Golfe et à influer sur Gaza et l’Iran, la Russie tente d’imposer une désescalade dans l’Est de l’Europe. La Chine, bien qu’absente des discussions formelles sur l’Iran, suit de près ces évolutions car elles conditionnent l’équilibre énergétique régional dont elle dépend.
Selon Al Binaa, les négociations croisées entre Washington et ses adversaires traditionnels témoignent d’un « changement structurel dans l’usage de la diplomatie coercitive », avec un glissement vers des tactiques de « neutralisation partielle » plutôt qu’une domination directe des théâtres de crise.
Économie : entre dépendance stratégique et nouvelles promesses de relance
Le redémarrage conditionnel du pipeline irakien
L’un des dossiers économiques les plus sensibles du moment concerne le pipeline reliant l’Irak au port pétrolier de Tripoli. Selon les informations rapportées par le quotidien Nahar, la réactivation de cette infrastructure reste suspendue à la stabilité politique et sécuritaire en Syrie, territoire de transit clé. Cette perspective pourrait, si elle se concrétise, fournir un levier économique important pour le Liban et renforcer la position stratégique de Tripoli sur la carte énergétique régionale.
Cependant, des experts cités estiment que sans garanties internationales solides sur la sécurisation de la traversée syrienne, ni l’Irak ni les investisseurs potentiels ne s’engageront concrètement. Le sujet reste donc en suspens, malgré son potentiel économique évident.
Des investissements arabes attendus mais conditionnés
Lors de sa visite au Koweït, le président Joseph Aoun a insisté sur la nécessité pour le Liban de passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement. Il a sollicité des capitaux pour des projets structurants dans les domaines de l’énergie, du transport et de la modernisation administrative. L’émir du Koweït a répondu favorablement à cette demande sur le principe, tout en appelant à une stabilisation des institutions libanaises avant toute libération de fonds importants.
Parallèlement, les discussions se poursuivent avec les fonds saoudiens et émiratis, notamment autour de projets dans les télécommunications, l’éducation et la santé. L’activation de ces flux dépendra en grande partie de la capacité du Liban à mettre en œuvre des réformes structurelles attendues par le FMI et les partenaires bilatéraux.
Le secteur bancaire toujours à l’épreuve
Les institutions financières libanaises restent fragilisées. La société SGBL Leasing SAL, par exemple, a convoqué ses actionnaires pour une assemblée générale en juin, afin de voter sur l’approbation des comptes de l’exercice 2024, la distribution éventuelle des bénéfices et l’autorisation d’opérations sensibles relevant des articles 158 et 159 du code du commerce libanais. Cette annonce reflète un certain retour à la normalité administrative, mais souligne aussi le besoin de transparence et de gouvernance dans un secteur en mal de crédibilité depuis 2019.
Les indicateurs publics toujours dégradés
Sur le plan macroéconomique, la situation demeure alarmante. La société publique de distribution d’eau de Beyrouth et du Mont-Liban (EBML) a publié un communiqué détaillant l’état de ses finances : elle est contrainte d’accorder des facilités de paiement allant jusqu’à 2027 pour les arriérés accumulés sur les abonnements. Elle propose également des remises importantes sur les intérêts de retard et les frais de transfert de contrat.
Cette initiative illustre la profondeur de la crise de liquidité qui frappe les institutions publiques. Le niveau d’impayés est jugé critique et nécessite des solutions de refinancement urgentes.
Réformes et perspectives
Enfin, le gouvernement libanais s’efforce de maintenir un dialogue avec le FMI autour de la finalisation d’un programme de réformes, en particulier sur la restructuration du secteur bancaire et la modernisation fiscale. Toutefois, les avancées restent timides en l’absence de majorité parlementaire claire et de résistance politique aux mesures d’austérité envisagées.
Justice : paralysie judiciaire persistante et intensification des contentieux économiques
L’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth toujours bloquée
Quatre ans après la catastrophe du 4 août 2020, l’enquête judiciaire sur l’explosion du port de Beyrouth reste dans une impasse totale. Aucun progrès n’a été enregistré au 12 mai 2025. Le juge d’instruction Tarek Bitar, dont la reprise de l’enquête en janvier 2023 avait été brutalement interrompue par une série de recours déposés par des responsables politiques mis en cause, demeure écarté de toute décision active. Aucun nouveau juge n’a été désigné pour relancer la procédure, en raison d’un désaccord politique sur la compétence juridictionnelle et la portée des poursuites.
Cette paralysie judiciaire est devenue un symbole de l’impunité au Liban. Aucune audition de ministre, directeur de sécurité ou douanier n’a été menée depuis des mois. Des avocats des familles des victimes ont dénoncé dans la presse le « blocage méthodique de la justice par les partis au pouvoir », mettant en cause l’instrumentalisation des procédures de récusation et de dessaisissement. À ce jour, plus de 25 mandats d’arrêt sont gelés, dont certains à l’encontre de figures de premier plan de l’administration portuaire et des services de sécurité.
Dans ce climat d’inertie, seule une initiative récente est à signaler : le directeur du port, Omar Itani, a annoncé une opération de démantèlement des constructions illégales dans l’enceinte portuaire, appuyée par la Sûreté de l’État. L’objectif affiché est la remise en conformité des installations et l’augmentation des recettes d’exploitation. Toutefois, cette action administrative ne touche en rien le fond de l’enquête sur la catastrophe elle-même.
L’effondrement économique se répercute sur le système judiciaire
La crise bancaire et monétaire continue de saturer les tribunaux libanais. Les juges civils sont confrontés à un volume inédit de contentieux relatifs aux faillites, aux impayés commerciaux et aux litiges locatifs. Devant la cour d’appel de Jounieh, une procédure collective de faillite a été ouverte contre la société Karina International, illustrant la multiplication des cas d’insolvabilité dans le secteur de l’import-export.
Dans un autre exemple, la juge Rola Abdallah a ordonné la comparution d’un officier de l’armée dans une affaire de dette privée, soulignant que la gravité de la crise n’épargne plus aucun statut professionnel. Le recours au gel des comptes, aux interdictions de sortie du territoire et aux saisies conservatoires est désormais fréquent dans le traitement des affaires civiles.
Tentatives institutionnelles de reprise en main
La Cour des comptes tente de restaurer un minimum de contrôle sur la gestion des deniers publics. Selon Al Sharq, un audit a été lancé sur l’utilisation des fonds municipaux alloués aux projets d’assainissement dans plusieurs districts, notamment le Metn et le Sud. Les premiers constats font état d’irrégularités administratives, de surfacturations et de projets non réalisés. Le rapport final attendu en juin pourrait entraîner des sanctions administratives à l’encontre de plusieurs maires et fonctionnaires.
Le débat sur la réforme judiciaire relancé, sans issue législative
Dans ce contexte de défiance généralisée, les appels à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature se multiplient. Les Forces libanaises ont réintroduit à la Chambre un projet de loi visant à garantir l’indépendance des magistrats par une nomination déconnectée de l’exécutif. Un autre texte propose la création d’un parquet financier national, chargé des affaires de corruption, de blanchiment et de détournement de fonds publics. Mais en l’absence d’un consensus parlementaire, aucune de ces propositions n’a été soumise à l’ordre du jour des commissions législatives.
Société : vulnérabilités accrues et adaptations forcées face à la crise sociale
La dégradation des services publics, reflet de l’effondrement économique
Au 12 mai 2025, le quotidien des citoyens libanais reste marqué par une précarité généralisée. Les services publics essentiels, notamment la distribution de l’eau, continuent d’illustrer l’ampleur du malaise. La régie des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban (EBML) a publié un communiqué urgent informant ses usagers qu’elle devait procéder à un étalement des paiements sur huit mois pour les abonnements de l’année 2025. Le plan inclut une remise allant jusqu’à 85 % sur les pénalités de retard et 90 % sur certains frais techniques comme les changements de nom ou de compteur.
Ce dispositif reflète la crise de liquidité à laquelle fait face la population, incapable de faire face à ses obligations de base. Il témoigne aussi de l’effort des institutions à maintenir une forme de relation contractuelle minimale avec les citoyens, malgré l’effondrement du pouvoir d’achat.
Santé : réponse minimale et accès inégal
Le secteur de la santé ne fait pas l’objet de réformes structurelles récentes selon les sources consultées, mais les articles publiés dans la presse montrent que l’accès aux soins reste profondément inégal. Aucune nouvelle politique publique d’envergure n’a été annoncée, et le secteur repose en grande partie sur des initiatives privées ou des aides internationales ponctuelles.
Dans les zones rurales, les centres de soins primaires subissent des coupures de courant prolongées, un manque chronique de médicaments et une fuite des personnels qualifiés. Ce désengagement de l’État renforce la dépendance des patients aux cliniques communautaires financées par des ONG ou des partis politiques.
L’éducation en mutation forcée
Aucune réforme majeure du système éducatif public n’a été signalée, mais des mouvements sont perceptibles sur le terrain. Des écoles privées de taille modeste ont été contraintes de fermer ou de fusionner avec d’autres établissements par manque de trésorerie. Dans plusieurs cas, les enseignants n’ont pas été payés depuis plus de trois mois, ce qui pousse nombre d’entre eux à se reconvertir ou à émigrer.
L’enseignement public, déjà affaibli, tente de maintenir un minimum de fonctionnement grâce à des dons ponctuels en matériel et à des campagnes de soutien menées par les parents d’élèves eux-mêmes. Des syndicats appellent à une grève nationale des enseignants pour la rentrée 2025–2026 si aucune mesure de revalorisation salariale n’est prise.
L’adaptation des comportements sociaux
Face à ces crises croisées, les Libanais développent des stratégies de survie locales. L’économie informelle connaît un essor rapide. Les petits commerces de quartier, les ventes en ligne entre particuliers, les échanges de biens et services sans monnaie deviennent des pratiques courantes. À Tripoli comme à Beyrouth, les réseaux de solidarité communautaire pallient les carences de l’État en distribuant de la nourriture, des vêtements, des fournitures scolaires ou du carburant.
Dans ce contexte, les tensions sociales s’accentuent. Le fossé entre les populations urbaines encore relativement connectées à l’économie globale et les zones périphériques isolées se creuse. Les inégalités se manifestent de plus en plus par une ségrégation spatiale visible, dans les infrastructures, l’accès aux services et les modes de vie.
Culture : hommage à Edmond Rizk, entre mémoire nationale et transmission intellectuelle
Un hommage universitaire à une figure de la République
Le 11 mai 2025, l’Université de l’Esprit Saint – Kaslik (USEK) a organisé une cérémonie en hommage à Edmond Rizk, ancien ministre, député, avocat et écrivain, à l’occasion du dépôt officiel de son fonds d’archives personnelles à la bibliothèque centrale de l’établissement. L’événement a rassemblé de nombreuses personnalités du monde politique, juridique, universitaire et médiatique, parmi lesquelles l’ancien président de la République Michel Sleiman, la représentante du Premier ministre Nawaf Salam, Sahr Baassiri, ainsi que le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab.
L’université, par la voix de son président, le père Talal Hashem, a salué l’engagement d’Edmond Rizk pour la souveraineté, la culture du débat et la construction d’un Liban pluriel. L’initiative a été présentée comme un « acte de mémoire civique » destiné à transmettre aux générations futures les éléments constitutifs de la pensée libanaise contemporaine.
Parcours intellectuel et politique
Edmond Rizk, aujourd’hui âgé de 93 ans, a occupé plusieurs postes ministériels et siégé plus de vingt ans au Parlement. Dans son discours, il a retracé les grandes étapes de son engagement. Il a insisté sur l’importance de son identité libanaise chrétienne, vécue non pas comme un repli communautaire, mais comme une plateforme d’ouverture et de dialogue. Il a souligné : « Depuis 82 ans, mon engagement s’est forgé à l’intersection de ma foi chrétienne et de mon appartenance arabe, dans un État qui repose sur la reconnaissance de l’autre et sur le partenariat responsable ».
Le discours s’est accompagné de la projection d’un documentaire retraçant les principaux moments de sa carrière : son combat pour la liberté d’expression dans les années 1970, son rôle dans les négociations de Taëf, son opposition à la tutelle syrienne, et sa défense du droit à l’éducation et à la justice sociale.
Une mémoire archivistique d’exception
Le fonds remis à l’USEK comprend plus de 80 heures d’enregistrements sonores et vidéos, 200 manuscrits, ainsi qu’une vaste collection d’articles, de correspondances et de notes de discours. Il couvre six décennies de vie publique, incluant ses interventions parlementaires, ses textes publiés dans la presse et ses lettres diplomatiques échangées avec des figures comme Michel Chiha, Charles Malik et Ghassan Tuéni.
L’événement, qualifié par la presse de « moment de reconnaissance nationale », a été clôturé par une lecture de textes choisis de Rizk par des étudiants de l’université, qui ont salué la clarté de sa prose, sa rigueur morale et son attachement aux principes républicains.