Le Triomphe du discours radical

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Nous assistons, de plus en plus Ă  travers la planĂšte, au retour tonitruant du discours radical. Certes l’homme politique doit savoir haranguer, mobiliser, mener ses troupes Ă  la bataille. Mais la vĂ©hĂ©mence s’est accentuĂ©e. Et souvent les solutions proposĂ©es semblent extrĂȘmes et catĂ©goriques. Jamais l’exercice du pouvoir n’a Ă©tĂ© aussi brutal.

Sans aucun souci d’autocritique, tous les leaders politiques se sont transformĂ©s en parangons de vertu. C’est Ă  croire qui irait plus loin, dans la surenchĂšre morale. L’intĂ©grisme fait aujourd’hui partie intĂ©grante, du discours politique. Et pourtant il Ă©mane souvent d’individus, qui doivent assumer leur part de responsabilitĂ© mais plutĂŽt que de se remettre, eux-mĂȘmes en question, ils se lancent dans des diatribes incendiaires, des accusations fulminantes et des condamnations intempestives.

En un mois, nous avons eu tant au Liban, aux Etats-Unis, qu’en France, des discours d’une violence verbale inouĂŻe, qui se sont heureusement momentanĂ©ment apaisĂ©s, avec les issues Ă©lectorales. De plus en plus ceux qui sur rĂ©agissent, finissent par s’imposer car ils donnent des gages potentiels de leur surpuissance apparente. Face Ă  l’insĂ©curitĂ© ambiante, due au dysfonctionnement du systĂšme, il faudrait donner l’impression, de maĂźtriser les nouvelles donnĂ©es. Notre ancien monde a bien changĂ©.

AprĂšs la chute du mur de Berlin (1989) et la fin de la guerre froide, nous avons entretenu de grands espoirs, de vivre dans un monde ouvert et pacifiĂ©. HĂ©las rapidement, la perte des frontiĂšres et des repĂšres, nous a plongĂ©s Ă  nouveau dans la confusion, dans des angoisses sourdes et des peurs archaĂŻques. Et un retour en force, des prioritĂ©s sĂ©curitaires, que nous pensions rĂ©volues. Nous voilĂ  rattrapĂ©s, par nos dĂ©mons millĂ©naires, acculĂ©s Ă  nous replier sur nous-mĂȘmes et Ă  dĂ©fendre nos identitĂ©s (linguistiques, religieuses, raciales et de mƓurs).

La diversitĂ© culturelle que nous avions attendue comme un enrichissement, s’est transformĂ©e en menace de fragmentation. Et l’universalisme abstrait des droits de l’homme n’est plus capable de l’endiguer. Nos identitĂ©s collectives ont ressurgi de la nuit des temps. 5000 ans de culture humaine (l’histoire proprement dite dĂ©bute 3000 ans av J.C) dĂ©filent soudainement, devant nos yeux et nous dĂ©couvrons, que les choses structurellement n’ont pas changĂ© et qu’il suffit, de traverser des pĂ©riodes de crise intense, pour se rĂ©fugier Ă  nouveau, dans des attitudes primaires oĂč nous ne sommes guidĂ©s, que par la sĂ©lection naturelle, le dĂ©sir de domination et l’instinct de survie.

 Finalement, nos prĂ©jugĂ©s et nos conditionnements anthropologiques sont toujours les mĂȘmes. Pour nous construire et nous structurer, nous avons des paramĂštres identitaires, qui Ă  la fois nous enrichissent et peuvent nous dresser fĂ©rocement, les uns contre les autres.

Claude LĂ©vi-Strauss l’avait bien illustrĂ©, en passant du structuralisme, aprĂšs la deuxiĂšme guerre mondiale (Race et histoire 1952-Unesco), au seuil biologique de prĂ©servation des cultures, dĂ» Ă  l’accroissement dĂ©mographique et aux premiĂšres crises migratoires (Race et culture 1971 –Unesco). VoilĂ  comment nous sommes en train de glisser, de l’humanisme devenu non opĂ©rationnel, Ă  des identitĂ©s idĂ©ologisĂ©es.

Pendant que les organisations internationales (dont l’Unesco), prĂŽnent imperturbablement le nouvel humanisme, l’humanitĂ© nouvelle, la citoyennetĂ© globale ou mondiale et d’autres concepts abstraits, les conflits culturels irrĂ©mĂ©diablement s’intensifient.

Il faudrait redĂ©finir les espaces nationaux, autrement dit les paramĂštres identitaires et culturels, qu’on intĂ©riorise et qui nous font adhĂ©rer Ă  une sociĂ©tĂ© et Ă  ses valeurs, en nous procurant un sentiment de fiertĂ© et d’appartenance. Au-delĂ  de son contenu spĂ©cifique, un paramĂštre identitaire (langue, religion, race et mƓurs) peut, soit renforcer notre engagement, soit nous isoler, nous inclure ou nous exclure.

Appartenir Ă  une nation est en mĂȘme temps, une grĂące et une menace. On a besoin de se fondre dans une multitude, une communautĂ© mais le groupe peut vite devenir, tyrannique et totalitaire. RĂ©actualiser les paramĂštres identitaires, dans une grille globale de compensation, constante depuis HĂ©rodote, le pĂšre de l’Histoire (484 ans av J.C), c’est se redonner une chance, de les relativiser, de les rationaliser, d’empĂȘcher leur idĂ©ologisation.

Sinon c’est la guerre assurĂ©e entre nations ou la guerre civile, avec des cycles de violence, Ă  l’infini. C’est soit le compromis identitaire, soit l’idĂ©ologie totalitaire en pĂ©riode de crise, qui procure ponctuellement, des sentiments de toute puissance, finissant par entraĂźner inĂ©luctablement, la chute et le dĂ©clin. Nous ne voulons pas faire partie de sociĂ©tĂ©s clonĂ©es, ni non plus de sociĂ©tĂ©s Ă©clatĂ©es ou atomisĂ©es. Nous ne voudrions pas faire partie d’une humanitĂ© abstraite et dĂ©sincarnĂ©e, ni ĂȘtre enfermĂ©s dans des espaces Ă©triquĂ©s et fortifiĂ©s.

Comment concilier l’ouverture au monde et l’enracinement, la mixitĂ©, le brassage et la transmission des valeurs et des traditions ?

Une religion, une langue, une race, des mƓurs sont des patrimoines culturels, qu’il faut savoir chĂ©rir et prĂ©server, dans ce qu’ils ont de meilleur et d’idĂ©al, les respecter, les reconnaitre comme des parties constitutives, de notre commune humanitĂ© et non les instrumentaliser subjectivement et uniquement, Ă  des fins de surenchĂšre ou de domination.

Bahjat Rizk
Avocat Ă  la cour, Ă©crivain libanais, professeur universitaire, attachĂ© culturel Ă  la dĂ©lĂ©gation du Liban auprĂšs de l’UNESCO (depuis 1990) a reprĂ©sentĂ© le Liban Ă  de multiples confĂ©rences de l’UNESCO (dĂ©cennie mondiale du dĂ©veloppement culturel-patrimoine mondial

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