Dans une déclaration marquante qui trace les contours d’une politique sécuritaire ambitieuse pour le Liban, le président Joseph Aoun a affirmé que l’année 2025 marquera le début d’un processus de limitation des armes aux seules mains de l’État. Cette annonce intervient dans un contexte politique et militaire particulièrement tendu, où les équilibres internes sont sensibles, notamment face à la présence armée du Hezbollah.
À la veille de sa visite à Doha, le président Aoun a exposé les grandes lignes de sa vision sécuritaire et institutionnelle, insistant sur l’importance du dialogue, de l’intégration progressive, et du respect de l’unité nationale. Il a également réaffirmé son refus de toute approche conflictuelle susceptible de menacer la paix civile.
L’État comme seul détenteur légitime des armes
Le président Aoun a rappelé que la décision politique était désormais prise : l’État sera l’unique détenteur de la légitimité armée sur le territoire libanais. Cette orientation vise à renforcer la souveraineté de l’armée nationale et à encadrer toute forme de force armée non étatique. L’annonce marque une étape cruciale dans le débat ancien sur la question des armes du Hezbollah.
La formule choisie — « limiter les armes aux mains de l’État » — renvoie à une politique graduelle, structurée autour d’un cadre légal et institutionnel, en opposition aux approches brutales ou imposées de l’extérieur. Le président a insisté sur la nécessité de préserver la stabilité intérieure et de ne pas reproduire les erreurs d’autres pays de la région.
Intégration contrôlée : pas d’unité indépendante du Hezbollah
Concernant le Hezbollah, dont la branche militaire est restée active en parallèle de l’armée libanaise, le président Aoun a posé des limites nettes à l’intégration. Il a clairement indiqué que le Liban n’adoptera pas le modèle des Forces de mobilisation populaire irakiennes (al-Hashed al-Shaabi), évitant ainsi toute officialisation d’unités militaires parallèles.
Selon lui, l’intégration éventuelle des combattants du Hezbollah se fera de manière individuelle et encadrée. Seuls les membres disposant de qualifications spécifiques, de certificats académiques reconnus, et capables de réussir les concours d’admission militaires pourront être recrutés. Il s’agit là d’une volonté d’éviter l’infiltration structurelle d’une force partisane dans l’appareil militaire étatique.
Le processus repose donc sur une logique de professionnalisation, fidèle aux standards de recrutement habituels de l’armée libanaise. Cette méthode garantit à la fois la compétence des nouvelles recrues et leur intégration dans une hiérarchie unifiée, sans distinction d’origine politique ou communautaire.
Une opposition claire à la pression extérieure
Face aux pressions exercées par les États-Unis, notamment en ce qui concerne le désarmement du Hezbollah, le président Aoun a réaffirmé sa priorité à la paix civile. Il a indiqué avoir transmis à la représentante américaine Morgan Ortagus que toute tentative de désarmement forcé ou précipité risquait de déclencher un conflit interne, voire une guerre civile.
Le chef de l’État insiste donc sur l’importance d’un processus souverain de résolution, piloté exclusivement par les institutions libanaises. Pour cela, il en appelle à un dialogue national ouvert, qui tiendrait compte des équilibres internes et de la sensibilité du dossier.
Dans la même logique, le président Aoun a exhorté les autorités américaines à faire pression sur Israël pour qu’il cesse ses attaques contre le Liban. Il considère que la cessation des agressions extérieures est une condition préalable indispensable à toute avancée sur le dossier des armes du Hezbollah.
Dialogue plutôt que confrontation
Le président libanais a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le désarmement ne se fera pas par la force, mais par le dialogue. Selon lui, c’est par la concertation, l’engagement politique et la recherche d’un consensus national que le Liban pourra progresser vers une armée unique et unifiée.
Ce choix stratégique s’inscrit dans une vision de long terme, fondée sur la préservation de l’unité nationale et la réduction des tensions communautaires. Il s’oppose frontalement aux modèles militaires où l’intégration se fait par absorption forcée ou élimination physique des autres forces armées.
Contexte régional : les facteurs de déblocage
Pour illustrer son optimisme, le président Aoun a évoqué plusieurs éléments régionaux qui, selon lui, pourraient faciliter le dialogue avec le Hezbollah. Il a cité notamment la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie comme une éventualité susceptible de redistribuer les équilibres politiques dans la région.
Il a également mentionné les avancées iraniennes en matière de positionnement diplomatique vis-à-vis des Houthis du Yémen et des milices irakiennes. Ces changements, perçus comme des signes d’assouplissement stratégique, pourraient ouvrir de nouvelles perspectives pour une évolution progressive du Hezbollah au Liban.
En d’autres termes, la politique libanaise de limitation des armes ne se fera pas en vase clos, mais s’inscrira dans un environnement géopolitique en mutation, qui peut favoriser un repositionnement du Hezbollah dans le champ politique national.
Préserver la paix civile, une priorité nationale
Au cœur du discours présidentiel se trouve une constante : la paix civile ne doit en aucun cas être compromise. Pour Aoun, le spectre d’un retour à la guerre civile, comme celle qui a ensanglanté le pays entre 1975 et 1990, constitue une ligne rouge absolue.
L’équilibre communautaire libanais repose sur des mécanismes délicats, et toute initiative brusque ou extérieure dans le domaine militaire pourrait provoquer une réaction en chaîne incontrôlable. Le président plaide donc pour une transition douce, réfléchie et institutionnelle, avec le soutien du peuple libanais dans sa diversité.
Vers une armée plus forte, unifiée et inclusive
En filigrane de ce discours présidentiel, se dessine la volonté de renforcer le rôle et la légitimité de l’armée libanaise comme seule garante de la sécurité nationale. Le projet d’intégration sélective de certains éléments qualifiés issus du Hezbollah vise à consolider les rangs de l’institution militaire, tout en maintenant son caractère national et républicain.
L’armée libanaise pourrait ainsi s’enrichir de profils compétents issus de milieux variés, à condition que ceux-ci respectent les critères stricts imposés par l’institution. Ce processus renforcerait l’idée d’une armée du peuple, pour le peuple, débarrassée de toute allégeance communautaire ou partisane.