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EDITO: Élections municipales au Liban, champagne sur Instagram, factures en dollars, et démocratie de quartier

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On ne sait pas vraiment ce qui coûte le plus cher aujourd’hui au Liban : refaire la façade de sa maison, remplir son réservoir d’essence, ou s’offrir une campagne électorale municipale digne d’une finale de Coupe du monde. Depuis quelques semaines, les réseaux sociaux libanais sont devenus une fresque baroque d’affiches virtuelles, de slogans lyriques et de vidéos de candidats filmées comme des pubs pour shampooing. On croirait presque que Netflix a lancé un casting sauvage pour une série intitulée : « Municipales : Sang, Larmes et Sponsoring ».

Tout y passe : photoshoots ultra-léchés, vidéos dignes de clips de mariage, drones survolant des rues défoncées (qu’on promet de réparer depuis 1997), slogans promettant le changement, l’honnêteté, la transparence et la distribution gratuite de pots de Nutella. À croire que pour certains candidats, la mairie n’est qu’un prétexte pour décrocher un partenariat avec Red Bull, Rolex ou Givenchy.

Le contraste est saisissant : pendant que les caisses publiques sont aussi vides qu’une station-service en août 2021, les dépenses de campagne sur Facebook, Instagram, TikTok et parfois même LinkedIn explosent. Certains villages, pourtant sans budget communal depuis des années, voient soudain leurs candidats sponsoriser des stories pour annoncer… la réparation d’un banc public. D’autres distribuent des casquettes, des T-shirts, et même des stylos personnalisés. Dans un pays où l’électricité publique est un souvenir lointain, le vrai luxe aujourd’hui, c’est un briquet de campagne qui s’allume du premier coup.

L’illusion dorée de la « nouvelle municipalité »

Mais derrière les paillettes digitales, la réalité frappe plus durement qu’une coupure de courant en pleine canicule : les élections municipales au Liban, prévues avec difficulté au gré des moyens, des financements internationaux et des alliances communautaires, ne sont pas qu’une kermesse de village. Elles sont, au fond, un des rares moments où la démocratie libanaise donne des signes de vie.

Contrairement aux élections législatives, verrouillées par les grandes machines communautaires, les municipales permettent une expression locale – certes biaisée, mais beaucoup plus incarnée. Ici, on ne vote pas tant pour un projet ou une idée que par loyauté à un nom, à une famille, à un voisinage. On vote « pour les nôtres », presque par réflexe.

Mais au moins, on les connaît : on a grandi ensemble, on les a vus aider aux enterrements, organiser les fêtes du village, gérer les crises d’eau ou d’électricité. Ce n’est pas la démocratie idéalisée — c’est la démocratie vécue, rustique, immédiate.

Un scrutin pas si anodin

Dans un Liban en décomposition institutionnelle avancée, les enjeux municipaux sont désormais stratégiques. Il ne s’agit plus seulement de savoir qui organisera les festivités de l’Assomption ou distribuera les certificats de propriété. Les municipalités sont devenues de fait : des acteurs humanitaires, des garants de services publics de base, des régulateurs de l’urbanisme sauvage, des relais essentiels pour l’accès aux fonds d’aide internationale.

En clair : un maire aujourd’hui n’est plus seulement un notable à moustache qui inaugure une nouvelle route en coupant un ruban. C’est un gestionnaire de crise, un médiateur social, parfois même un substitut à l’État.

La crise économique, sociale et politique qui ravage le Liban depuis 2019 a redonné aux communes un rôle crucial : sans elles, pas d’eau potable, pas d’enlèvement des déchets, pas d’autorisation de construction, pas d’appui humanitaire pour les familles écrasées par la misère.

Les élections municipales de 2025 doivent donc être lues comme un moment clé dans la réorganisation des pouvoirs locaux. Elles posent de vraies questions : Qui gère quoi, et pour qui ? Quels fonds seront captés par les communes ? Les élus locaux seront-ils au service de l’intérêt public ou simplement de leur propre clientèle ?

L’argent, nerf de la guerre… et de l’affichage

Dans ce contexte dramatique, l’argent investi dans les campagnes municipales interpelle. Qui finance toutes ces publicités Facebook, ces spots vidéos, ces banderoles géantes où les candidats sourient comme s’ils venaient d’acheter la moitié du Mont-Liban ?

Certains financements sont assumés : des familles influentes, des partis politiques traditionnels, ou des associations locales. Mais d’autres sources sont plus opaques : entreprises du BTP à la recherche de futurs marchés, ONG politisées, même parfois des financements extérieurs, intéressés par le contrôle stratégique de certains territoires.

Car au Liban, le local est souvent l’ombre portée du global. Un village de 300 habitants peut cacher un enjeu régional, communautaire ou financier bien plus large qu’il n’y paraît.

Une opportunité historique… ou un nouveau rendez-vous manqué ?

Dans ce contexte, les élections municipales représentent une opportunité réelle : celle de renouveler un minimum la classe politique locale, de faire émerger des profils compétents, indépendants, capables de comprendre les défis techniques, environnementaux et sociaux du pays.

Mais ce sera aussi un test cruel : si l’argent, la corruption et les appartenances confessionnelles l’emportent encore une fois, alors le cycle d’effondrement se poursuivra, en plus petit, mais tout aussi inexorablement.

Les électeurs libanais, même dans les plus petits villages, auront donc un choix à faire : voter pour ceux qui sponsorisent leurs photos de mariage sur Instagram, ou voter pour ceux qui savent vraiment réparer une conduite d’eau percée.

L’avenir, comme toujours, dépendra de la lucidité collective. Pas celle des réseaux sociaux. Pas celle des grandes phrases creuses. Mais celle du bulletin discret, glissé dans l’urne, au bout d’une file d’attente poussiéreuse, sous un soleil de plomb.

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