Le Liban : un colosse économique aux pieds d’argile prêt à s’effondrer
Le modèle économique libanais, jadis vanté comme un miracle au Moyen-Orient – un PIB par habitant de 7 800 dollars en 2018 (Banque mondiale, 2024) – n’est plus qu’une coquille vide en mars 2025. Ce système, bâti sur un mélange instable de services bancaires, de tourisme et de dépendance aux transferts de la diaspora, s’est effondré sous le poids de ses propres contradictions. Aujourd’hui, le Liban est un champ de ruines économiques : une livre dévaluée de 98 % à 120 000 LBP pour 1 dollar (Banque du Liban, 2023), 82 % de la population sous le seuil de pauvreté (UNICEF, 2024), et un PIB réduit à 31 milliards de dollars.
Pourquoi ce naufrage ? Le modèle libanais, façonné par des décennies de clientélisme sectaire, de corruption endémique et d’une dépendance maladive à l’extérieur, est structurellement défaillant. Sans réformes profondes – une refonte totale des institutions, du système bancaire et de la gouvernance – il est condamné à l’échec, incapable de répondre aux crises qu’il a lui-même engendrées. Cet article plonge dans les dysfonctionnements qui gangrènent ce système et explique pourquoi le statu quo mène le Liban droit dans le mur.
Un système pourri par le sectarisme : l’économie otage des clans
Au cœur du modèle libanais trône un mal originel : le sectarisme. Depuis les accords de Taëf en 1989, qui ont mis fin à la guerre civile (1975-1990), le pouvoir est partagé entre 18 communautés confessionnelles – sunnites, chiites, maronites, druzes – via un système de quotas rigides. Cette structure, censée garantir la paix, a perverti l’économie en la transformant en une machine à distribuer des faveurs. Chaque communauté contrôle des pans de l’État – ports pour les sunnites, télécoms pour les chiites, énergie pour les chrétiens – et les exploite comme des fiefs privés.
Résultat : une économie clientéliste où les ressources sont pillées au profit des élites sectaires. En 2019, le secteur public employait 300 000 fonctionnaires – dont 30 % fictifs selon des audits internes – pour un PIB de 55 milliards, soit un ratio insoutenable de 1 emploi public pour 20 habitants (Banque mondiale, 2024). Ces postes, souvent attribués par piston, coûtent 10 % du PIB en salaires, un gouffre qui a creusé un déficit chronique. « Mon cousin a un job à l’EDL, il ne va jamais travailler », confie Samer, 35 ans, à Beyrouth en 2025. Sans une dépolitisation radicale, ce système paralyse toute tentative de rationalisation économique.
Dépendance fatale : un pays à la merci des dollars étrangers
Le modèle libanais repose sur une addiction aux flux externes, une faiblesse fatale révélée par la crise. Avant 2019, la diaspora – 14 millions de Libanais à l’étranger contre 6 millions au pays – injectait 7 milliards de dollars annuels, soit 13 % du PIB (UNICEF, 2024). Ces transferts, combinés à un tourisme florissant (2 millions de visiteurs en 2018) et à des investissements du Golfe, alimentaient une économie de services – 75 % du PIB – au détriment de l’industrie (5 %) et de l’agriculture (3 %).
Mais cette dépendance s’est retournée contre le Liban. Depuis 2019, les transferts ont chuté de 30 % – 5 milliards en 2024 – face à l’instabilité et à la méfiance envers les banques. Le tourisme s’est effondré – 200 000 visiteurs en 2024 – et les pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite, ont coupé les ponts après des tensions avec le Hezbollah (Arab Center Washington DC, 2021). Sans production interne – 80 % des biens sont importés – le Liban est un bateau sans moteur, à la merci des vents extérieurs. « On vit des dollars des autres, mais ils ne viennent plus », déplore Leila, 50 ans, commerçante à Saïda.
Corruption : le cancer qui dévore les entrailles du Liban
La corruption est le poison systémique du modèle libanais. Classé 154e sur 180 à l’indice de perception (Transparency International, 2023), le pays perd 40 % de ses fonds publics dans les poches des élites – 5 milliards annuels avant 2019. Les ports, comme celui de Beyrouth, sont des machines à détournements : 500 millions de dollars volatilisés entre 2015 et 2019 via des contrats fictifs. Les télécoms, monopole d’État, facturent des tarifs exorbitants – 100 dollars pour 10 Go – pour un service médiocre, enrichissant les clans au pouvoir.
L’exemple le plus criant est l’énergie. L’Électricité du Liban (EDL), qui coûte 2 milliards annuels en subventions, ne fournit que 2 heures de courant par jour en 2025, le reste étant couvert par des générateurs privés à 500 000 LBP le mois – un racket organisé par les élites. « On paie trois fois : l’État, les générateurs, et rien ne marche », fulmine Ali, 45 ans, à Tripoli. Sans une purge de ce système, l’économie reste une vache à lait pour quelques-uns, au détriment de tous.
Banques en ruine : le mirage financier qui s’effondre
Le secteur bancaire, jadis fleuron du modèle libanais, est un château de cartes écroulé. Avant 2019, les banques attiraient des dépôts massifs – 170 milliards de dollars – grâce à des taux d’intérêt mirobolants (8-10 %), finançant une dette publique de 100 milliards (Banque du Liban, 2023). Cette ponction sur les épargnants masquait un déficit structurel, mais la crise de 2019 a révélé la vérité : 70-100 milliards de pertes, soit 60 % des dépôts, volatilisés dans des prêts douteux et des placements offshore par les grandes familles (Audi, SGBL) (Arab Center Washington DC, 2023).
Aujourd’hui, les retraits sont limités à 100 dollars mensuels, et les petits épargnants – comme Mona, 38 ans, avec 20 000 dollars bloqués – sont ruinés, tandis que les élites ont exfiltré 40 milliards avant le crash. Le lobby bancaire, via l’Association des banques libanaises (ABL), bloque tout audit ou haircut, sabotant les réformes exigées par le FMI (Reuters, 2022). Sans refonte totale – recapitalisation, transparence – ce pilier économique reste une épave.
Économie informelle : le pansement qui cache la plaie béante
L’informalité est une béquille du modèle libanais, mais elle aggrave ses failles. En 2025, 40 % du PIB provient d’activités non déclarées – commerce parallèle, générateurs, marché noir des devises – une survie face à un État défaillant. Ce secteur emploie 60 % de la main-d’œuvre, mais sans taxes ni régulation, il prive l’État de recettes vitales – 2 milliards annuels perdus (Banque mondiale, 2024).
Le marché noir des dollars, qui traite 80 % des transactions à 120 000 LBP, illustre cette dérive : il échappe à tout contrôle, alimentant l’inflation (180 %) et les inégalités. « Je vends au noir pour manger, mais ça tue le pays », avoue un changeur à Beyrouth. Sans formalisation – taxation, intégration – cette économie parallèle reste un palliatif qui prolonge l’agonie sans la soigner.
Le Liban au bord du précipice : les fruits amers d’un modèle en faillite
Les dysfonctionnements ont enfanté une crise sans précédent. L’inflation à 180 % en 2025 rend un sac de riz (300 000 LBP) hors de portée pour des salaires de 40 dollars mensuels. Les services publics s’effondrent : hôpitaux à 40 % de capacité, écoles désertées par 50 % des enseignants, électricité à 2 heures par jour. Les réserves de la BDL, tombées à 8 milliards contre 35 en 2019, risquent l’épuisement d’ici 2026, stoppant les importations – 80 % des besoins.
La société craque : 82 % des Libanais sont pauvres, les manifestations de 2019 et 2025 – pneus brûlés à Beyrouth – traduisent une colère explosive. Sans dollars de la diaspora (5 milliards en 2024 contre 7 avant) ni investissements (1 milliard d’IDE contre 10), l’économie est un zombie. « On survit, on ne vit plus », soupire Leila. Ce modèle, incapable de produire ou de se financer, est à bout de souffle.
Réformes ou mort : le seul salut d’un système à l’agonie
Sans réformes profondes, le Liban est condamné. Dépolitiser l’économie exige de briser le sectarisme : supprimer les quotas, professionnaliser la fonction publique (réduction de 100 000 postes), et privatiser des secteurs comme l’EDL avec une supervision internationale. Réduire la dépendance externe impose de relancer l’industrie et l’agriculture – 10 % du PIB chacun d’ici 2030 – via des incitations fiscales et des infrastructures, un défi titanesque avec des caisses vides.
Éradiquer la corruption nécessite des audits indépendants – BDL, ports – et des poursuites contre les responsables, comme Riad Salamé, accusé d’avoir siphonné des milliards. Le système bancaire doit être purgé : haircut de 50 % sur les gros dépôts, recapitalisation de 20 milliards, et fin du secret bancaire. Formaliser l’économie informelle – taxer 20 % des activités – pourrait générer 3 milliards annuels, mais heurtera les réseaux clientélistes.
Ces réformes, exigées par le FMI pour un prêt de 4 milliards (Élysée, 2021), butent sur des résistances internes : Hezbollah protège ses finances, les banquiers leurs privilèges, les élites leur pouvoir. Sans un électrochoc politique – un gouvernement uni, une volonté de fer – le statu quo prévaut, et le Liban s’effondre.
Un futur en suspens : renaissance ou chute dans l’abîme ?
Sans changement, le Liban court à la catastrophe : inflation à 300 % d’ici fin 2025, services publics éteints, et une pauvreté touchant 90 % de la population. Les réserves s’épuisent en 2026, stoppant les importations de blé et de carburant – famine et chaos en vue. Les tensions sociales explosent, transformant les émeutes en insurrection.
Avec des réformes, un sursis est possible : 6 milliards d’aide (FMI, France, Golfe) relanceraient l’économie, stabilisant la livre à 50 000 LBP et dopant les réserves à 14 milliards. Mais le prix est lourd : affrontements avec le Hezbollah, sacrifices sociaux, et une rupture avec des décennies de gabegie. Nawaf Salam, en poste depuis 2025, peut-il imposer ce virage ? Le modèle libanais, bâti sur du sable, ne survivra pas sans une refonte totale – sinon, il sombrera dans l’oubli.