Israël – Liban : un nouveau paradigme d’intervention préventive

- Advertisement -

Le 5 juin 2025, Israël a lancé une série de frappes aériennes massives sur la banlieue sud de Beyrouth, marquant une nouvelle étape dans l’escalade militaire entre les deux pays. Cette offensive, d’une intensité inédite depuis la guerre de 2006, ne constitue pas un simple épisode de représailles ponctuelles. Elle semble annoncer un basculement stratégique : l’entrée dans une doctrine d’intervention préventive visant à neutraliser les capacités supposées du Hezbollah avant toute attaque effective. Ce tournant révèle une transformation profonde des équilibres militaires, diplomatiques et sécuritaires au Levant.

De la riposte à l’initiative : rupture doctrinale dans l’action israélienne

Les frappes du 5 juin, qui ont ciblé des zones résidentielles comme Haret Hreik, Bourj el-Barajneh ou encore Hadath, ne sont pas intervenues en réaction à une attaque directe. L’armée israélienne affirme avoir visé des infrastructures utilisées par le Hezbollah pour la fabrication de drones. Cette justification, relayée par les médias israéliens et partiellement reprise dans la presse libanaise (Al AkhbarAd DiyarAl Joumhouriyat), marque un changement significatif : il ne s’agit plus de répondre, mais d’anticiper.

Ce glissement d’une posture défensive à une logique proactive avait déjà été esquissé en 2023, lors des opérations à Jabal Amel, mais n’avait jamais atteint une telle ampleur. Cette évolution s’aligne avec la doctrine dite de « la guerre entre les guerres » (mabam), conçue par l’armée israélienne pour détruire les capacités militaires ennemies sans entrer dans une guerre conventionnelle totale.

Réactions officielles libanaises : discours d’unité face à l’agression

Joseph Aoun, président de la République, a immédiatement condamné « une violation flagrante de la souveraineté nationale », dénonçant une action « couverte par l’administration américaine » (Al Joumhouriyat, 6 juin 2025). Nawaf Salam, Premier ministre, a parlé d’un « sabotage diplomatique et économique » du Liban, évoquant une « volonté manifeste de le déstabiliser à l’aube d’une saison touristique cruciale ».

Le président du Parlement Nabih Berri a pour sa part dénoncé une attaque contre « l’intégralité de la nation », reprenant une rhétorique d’unité nationale qui transcende les appartenances politiques. Dans ce contexte, la parole politique a fonctionné comme un outil de cohésion, bien que la réalité du terrain révèle de profondes divergences sur la manière de réagir.

Entre soutien tacite et pression diplomatique : le rôle ambivalent des États-Unis

Les déclarations d’Avichay Adraee, porte-parole de l’armée israélienne, à la chaîne 14 israélienne, mentionnent une coordination explicite avec les États-Unis. Cette admission soulève la question de l’aval diplomatique donné par Washington à des frappes sur un pays souverain, sans mandat du Conseil de sécurité.

Le président Trump, récemment revenu à la Maison-Blanche, n’a pas officiellement commenté l’opération, mais son entourage politique a justifié l’action israélienne dans le cadre du « droit légitime à l’auto-défense face aux menaces asymétriques ». En pratique, cela revient à valider une extension de la doctrine préventive au Levant, ouvrant potentiellement la voie à d’autres interventions similaires.

Perception régionale : inquiétudes chez les alliés et rivalités ravivées

L’Iran, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, a dénoncé une « provocation destinée à tester la patience de la Résistance », tandis que la Syrie a évoqué une possible réponse « coordonnée ». L’axe Téhéran-Beyrouth-Damas semble se resserrer dans une logique de dissuasion collective, même si le Hezbollah, par la voix de Naim Kassem, n’a pour l’instant pas annoncé de riposte.

Du côté des puissances arabes, l’Égypte, la Jordanie et le Qatar ont émis des condamnations mesurées, appelant à une désescalade. L’Arabie Saoudite, engagée dans un repositionnement diplomatique régional, observe une prudente réserve.

Le Hezbollah entre silence stratégique et calcul de riposte

Le silence de Naim Kassem, depuis la nuit du 5 juin, a alimenté les spéculations. L’absence de réaction immédiate n’est pas une faiblesse, mais une posture stratégique. Elle permet au Hezbollah d’évaluer la situation, de sonder les intentions de Tel-Aviv et de calibrer une éventuelle réponse dans le cadre d’une stratégie d’érosion lente plutôt que de confrontation frontale.

Le parti chiite pourrait opter pour une escalade graduée dans le Sud, via des tirs de roquettes non revendiqués, ou choisir une action symbolique à la frontière sans effet létal, afin de préserver la ligne rouge tracée par la résolution 1701 sans abandonner la rhétorique de résistance.

Enjeux juridiques : frappes et droit international humanitaire

Les ONG internationales, dont Human Rights Watch et Amnesty International, ont commencé à collecter des témoignages sur les frappes à Hadath et Bourj el-Barajneh. Le bombardement de zones résidentielles sans avertissement préalable pourrait constituer une violation des Conventions de Genève, notamment dans l’usage de munitions incendiaires.

Le gouvernement libanais a annoncé avoir saisi le Conseil de sécurité des Nations unies, mais sans garantie d’un traitement rapide du dossier. L’absence de consensus au sein du Conseil rend improbable toute résolution contraignante, ce qui alimente le sentiment d’impunité.

Conséquences internes : effet catalyseur ou paralysie politique ?

La classe politique libanaise a momentanément suspendu ses querelles pour afficher un front commun. Mais cette unité est fragile. Les débats sur la stratégie de défense nationale sont relancés : faut-il intégrer le Hezbollah dans une architecture militaire nationale ? Peut-on parler de politique étrangère souveraine sans une armée unifiée ?

Cette crise pourrait aussi être un facteur de recomposition politique, accélérant la cristallisation de nouvelles alliances parlementaires autour de la question sécuritaire.

L’opinion publique : entre peur, résignation et mobilisation

Dans les quartiers touchés, les habitants expriment leur colère face à l’abandon perçu de l’État. Les scènes de panique, les déplacements massifs et les coupures d’électricité accentuent un sentiment de vulnérabilité. Toutefois, des élans de solidarité se manifestent, notamment autour des centres d’accueil improvisés dans les écoles.

Sur les réseaux sociaux, la rhétorique patriotique côtoie des critiques virulentes contre la classe dirigeante, accusée de ne pas avoir anticipé une telle attaque.

Vers un nouveau cycle de confrontation ?

L’opération israélienne du 5 juin ne saurait être analysée comme une simple offensive ponctuelle. Elle s’inscrit dans un nouveau paradigme stratégique, où la prévention prend le pas sur la réaction. Cette transformation modifie les équilibres militaires, mais aussi les cadres diplomatiques et juridiques.

Pour le Liban, la question cruciale reste : comment défendre sa souveraineté sans tomber dans le piège d’une guerre totale ? Et surtout, comment restaurer une architecture sécuritaire qui garantisse à la fois la dissuasion et la stabilité ?

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.