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La Diplomatie Transactionnelle : Du canon à la négociation, une leçon d’Histoire et d’avenir

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Imaginez un marché où les nations se comportent comme des marchands, chacun serrant jalousement son panier rempli de ressources, d’influence ou de puissance militaire. Pas de grandes embrassades ni de discours sur la paix universelle, mais des échanges directs : « Je te donne ceci, tu me donnes cela. » C’est l’essence de la diplomatie transactionnelle. Cette approche, pragmatique et parfois brutale, réduit les relations internationales à des négociations simples, où les idéaux élevés et les alliances durables passent au second plan. Elle n’est pas née d’hier – ses racines s’enfoncent dans le passé, des guerres de l’opium au XIXe siècle aux luttes pour le charbon, le fer ou le pétrole qui ont marqué le XXe siècle.

Aujourd’hui, elle refait surface, portée par une figure comme Donald Trump, devenu le 47e président des États-Unis en janvier 2025. En plongeant dans cette histoire, on découvre un fil rouge qui relie les affrontements d’autrefois aux marchandages d’aujourd’hui, souvent appuyés par une force qui rappelle les heures coloniales. Chemin faisant, on se demande ce que cela dit des valeurs qu’on attribue à l’Occident, surtout quand des problèmes profonds, comme la question palestinienne, restent en suspens malgré les accords signés. Mon but ? Vous emmener dans ce récit comme si nous devisions autour d’un café, avec la lucidité de celui qui a longtemps scruté les rouages du pouvoir.

Les racines historiques : Quand les canons dictaient les traités

Pour saisir la diplomatie transactionnelle, faisons un saut dans le passé. Prenons le XIXe siècle, une période où les empires européens étendaient leurs tentacules à travers le globe. Les guerres de l’opium, entre 1839-1842 puis 1856-1860, offrent une illustration parfaite. À cette époque, la Grande-Bretagne, moteur de la révolution industrielle, se heurtait à un déséquilibre : elle importait du thé, de la soie et de la porcelaine de Chine, mais la Chine n’achetait presque rien en retour. Ses caisses se vidaient peu à peu. La réponse ? L’opium, cultivé en Inde sous contrôle britannique. Bien que cette drogue soit interdite en Chine, les marchands anglais l’infiltraient par des voies clandestines.

En 1839, lorsque l’empereur Daoguang ordonna la destruction des stocks à Canton, Londres refusa de céder cet avantage économique. La Royal Navy entra en scène, ses navires de guerre bombardant les ports chinois. Après deux conflits meurtriers, la Chine plia, signant des accords comme le traité de Nankin en 1842, qui ouvrait ses ports, cédait Hong Kong et légalisait l’opium. Voilà la diplomatie transactionnelle dans sa forme brute : pas de longs débats sur la morale ou la souveraineté, mais une négociation imposée par la force. Les Britanniques cherchaient le profit, leurs canonnières le leur ont garanti. Ce style, baptisé « gunboat diplomacy » ou politique de la canonnière, résonne encore aujourd’hui.

Ce n’était pas un cas unique. Tout au long du XIXe siècle, les puissances coloniales – France, Belgique, Allemagne – se partageaient l’Afrique, comme lors de la conférence de Berlin en 1884-1885, sans consulter les populations locales. Leur but ? S’emparer du caoutchouc, du cuivre, de l’or. Les principes universels brillaient par leur absence ; seules comptaient les transactions entre grandes puissances, souvent appuyées par des démonstrations militaires.

Le XXe siècle : Des ressources aux guerres globales

Avançons au XXe siècle. Les enjeux évoluent, mais le fond reste identique. Avec l’essor industriel, le charbon et le fer deviennent des trésors stratégiques. Avant la Première Guerre mondiale, de 1914 à 1918, la France et l’Allemagne se disputaient l’Alsace-Lorraine, une région gorgée de minerais. Posséder ces matières premières signifiait produire de l’acier pour les canons, les rails, les usines. Les discussions diplomatiques servaient souvent de préambule à la guerre plutôt que de solution. Quand elles coinçaient, les armées prenaient la relève. Puis vint le pétrole, carburant essentiel du siècle. Dès les années 1920, les grandes puissances réalisèrent qu’il était indispensable aux tanks, aux avions, à la victoire.

Au Moyen-Orient, après l’effondrement de l’Empire ottoman, Britanniques et Français redessinèrent la région avec les accords Sykes-Picot de 1916. L’Irak, riche en gisements, passa sous influence britannique. Pas de grande vision altruiste ici, mais une transaction claire : sécuriser le pétrole, installer des régimes favorables, et envoyer des troupes si nécessaire. Cette logique transactionnelle s’étendait aussi au contrôle des passages stratégiques.

Prenez le canal de Suez, vital pour le commerce entre l’Europe et l’Asie. En 1882, les Britanniques s’en emparèrent face à une révolte égyptienne, arguant de la nécessité de protéger leurs routes commerciales vers l’Inde. Plus tard, en 1956, la crise de Suez vit la France et le Royaume-Uni tenter de reprendre ce canal à Nasser, qui l’avait nationalisé. Chaque fois, il s’agissait d’un calcul : garantir l’accès à un point clé contre une démonstration de force ou un arrangement imposé.

La Seconde Guerre mondiale accentua cette dynamique. Hitler lança son invasion de l’URSS en 1941 en partie pour s’emparer du pétrole du Caucase. Le Japon frappa Pearl Harbor pour paralyser les États-Unis et mettre la main sur les champs pétrolifères d’Asie du Sud-Est. Les ressources et les passages guidaient les stratégies, la diplomatie devenant un levier pour les conquérir ou un voile avant l’attaque. Après 1945, avec la création de l’ONU, on aurait pu penser à un tournant vers la coopération mondiale. Pourtant, la guerre froide montra autre chose : États-Unis et URSS se disputaient des zones d’influence – Cuba, Vietnam, Afghanistan – comme des pièces sur un échiquier. Au Moyen-Orient, les interventions pétrolières persistaient.

En 1953, la CIA et les Britanniques orchestrèrent le renversement de Mohammad Mossadegh, le Premier ministre iranien qui avait nationalisé le pétrole au détriment des intérêts occidentaux. Ce coup d’État, baptisé Opération Ajax, visait à préserver leur mainmise sur le brut iranien, une transaction purement pragmatique. Ils réinstallèrent le Shah, Mohammad Reza Pahlavi, comme dirigeant docile, mais cette manoeuvre planta les graines d’un ressentiment profond. Mossadegh était populaire, vu comme un défenseur de la souveraineté face aux puissances étrangères. En le renversant, les Occidentaux alimentèrent une colère nationale qui couva pendant des décennies. Le Shah, perçu comme une marionnette de Washington et de Londres, s’appuya sur une répression brutale et une modernisation maladroite, creusant un fossé avec son peuple. Cette tension explosa en 1979 avec la Révolution islamique, menée par l’ayatollah Khomeini. La chute du Shah, chassé par une vague de révolte populaire, fut en partie le contrecoup de cette intervention de 1953 : un deal à court terme qui, en ignorant les aspirations locales, sema les germes d’un chaos durable.

Trump et le retour de la diplomatie transactionnelle

Nous voici en 2025. Donald Trump, réélu 47e président des États-Unis, redonne vie à cette logique. Exit les grandes alliances comme l’OTAN ou les appels à la démocratie universelle. Avec lui, la diplomatie se transforme en art du deal. « America First » n’est pas une simple phrase, c’est une philosophie : les États-Unis doivent tirer profit de chaque négociation, qu’il s’agisse du commerce avec la Chine, des tarifs avec l’Europe ou de l’immigration avec le Mexique. Prenons un cas précis.

En novembre 2024, durant sa campagne, Trump annonça des taxes de 25 % sur les importations mexicaines et canadiennes si ces pays ne freinaient pas les flux de drogues et de migrants vers les États-Unis. Une fois au pouvoir, il mit ses menaces à exécution, pressant ses voisins avec des sanctions économiques. Pas de dialogue multilatéral ni de recours à l’ONU, juste une injonction claire : « Obéis, ou ça te coûtera cher. » C’est l’essence du transactionnel : un échange où chacun doit y gagner, mais selon les termes dictés par Washington.

Face à la Chine, le scénario se répète. Trump ravive la guerre commerciale, imposant des droits de douane sur les technologies vertes – batteries, panneaux solaires – pour protéger l’industrie américaine, tout en offrant des exemptions si Pékin achète plus de soja ou de gaz made in USA.

Pas de vision pour apaiser l’Asie-Pacifique, mais un marchandage direct. Au Moyen-Orient, sa méthode n’est pas neuve. Sous son premier mandat, de 2017 à 2021, les accords d’Abraham entre Israël et certains pays arabes reposaient sur des échanges pragmatiques – normalisation contre investissements ou appui militaire – plutôt que sur une paix régionale globale.

En 2025, il semble décidé à amplifier cette approche, usant de la puissance américaine pour imposer des accords, même si cela signifie fermer les yeux sur des tensions avec la Palestine ou l’Iran.

Cette obsession du deal immédiat tranche avec la vision stratégique de penseurs comme Zbigniew Brzezinski, qui, dans son « Grand Échiquier », insistait sur la nécessité de dominer l’Eurasie pour assurer la suprématie américaine à long terme. Pour Brzezinski, la diplomatie devait être un jeu patient, tissant des alliances et contrôlant les pivots géopolitiques – Ukraine, Moyen-Orient, Asie centrale – pour contenir Russie et Chine. Trump, lui, préfère les coups rapides, sacrifiant cette logique d’échiquier global au profit de victoires ponctuelles.

Un parfum de politique canonnière ?

Ce virage transactionnel évoque des souvenirs. Il rappelle l’époque coloniale du XIXe siècle, où les puissances imposaient leur volonté par la force ou l’intimidation. Trump ne fait pas tonner les canons – du moins pas encore – mais ses leviers, comme les sanctions, les tarifs ou les menaces militaires, sont les équivalents modernes des canonnières. Sa pression sur le Mexique fait écho aux assauts britanniques contre la Chine. Ses tractations avec l’Arabie saoudite pour le pétrole renvoient aux luttes pour le caoutchouc en Afrique. Ce qui surprend, c’est la distance prise avec ce qu’on appelle les valeurs occidentales.

Depuis 1945, l’Occident, porté par les États-Unis, a défendu un ordre bâti sur la coopération, le droit international, la prévention des conflits. Des structures comme l’OTAN, l’UE ou l’ONU visaient à conjurer le spectre des guerres passées. Avec Trump, cette ambition s’estompe. La diplomatie ne cherche plus à éviter les affrontements, mais à maximiser les bénéfices à court terme. Si les tensions montent – avec la Chine ou la Russie, par exemple – peu importe, du moment que l’Amérique l’emporte.

Est-ce une régression ? Pas vraiment. Le monde de 2025 n’est pas celui de 1850. Les interdépendances économiques, les avancées technologiques et les pressions de l’opinion publique complexifient la donne. Mais l’esprit reste le même : la puissance l’emporte sur les principes. Alors, où cela nous mène-t-il ? Peut-être vers un monde où les deals d’aujourd’hui dessinent les crises de demain, un jeu de poker où chaque joueur mise gros, sans savoir si la table tiendra le choc.

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François El Bacha
François El Bachahttp://el-bacha.com
Expert économique, François el Bacha est l'un des membres fondateurs de Libnanews.com. Il a notamment travaillé pour des projets multiples, allant du secteur bancaire aux problèmes socio-économiques et plus spécifiquement en terme de diversité au sein des entreprises.

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