
Yahvé Et Jésus-Christ Sont-Ils Le Même Dieu ? Une Exploration Historique, Théologique Et Symbolique
La question de l’identité entre Yahvé, le Dieu d’Israël révélé dans l’Ancien Testament, et Jésus-Christ, figure centrale du Nouveau Testament, demeure l’une des plus profondes et débattues de l’histoire religieuse. Cette interrogation ne relève pas uniquement d’un exercice académique, mais touche au cœur même de la foi juive, chrétienne et islamique. Pour y répondre avec justesse, il est indispensable de prendre en compte les différences de perspective entre les grandes traditions monothéistes, tout en mettant en lumière les continuités historiques et les symbolismes spirituels qui les relient.
Dans le Judaïsme, Yahvé (יהוה – YHWH) est le nom révélé à Moïse dans le Buisson Ardent. Il incarne l’Être éternel, tout-puissant, invisible et transcendant. Pour la tradition juive, Jésus de Nazareth n’est pas reconnu comme divin. Il ne saurait être assimilé à Yahvé, car il ne correspond pas aux critères attendus du Messie. Le monothéisme juif rejette toute division de l’unicité divine. Yahvé et Jésus sont donc strictement séparés.
Dans l’Islam, Dieu (Allah) est également un, éternel et sans associé. Jésus (ʿĪsā) est respecté comme un grand prophète, né miraculeusement de Marie, mais il n’est ni Dieu ni Fils de Dieu. L’idée chrétienne d’un Dieu incarné est incompatible avec la théologie islamique. Ainsi, pour l’Islam comme pour le Judaïsme, Yahvé et Jésus ne sont pas la même personne divine.
En revanche, le Christianisme repose précisément sur cette identification. Il affirme que Jésus-Christ est l’incarnation du Dieu unique, révélé autrefois comme Yahvé. Selon l’Évangile de Jean, « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… Et la Parole s’est faite chair, et elle a habité parmi nous » (Jean 1:1,14). Jésus déclare lui-même : « Avant qu’Abraham fût, Je suis » (Jean 8:58), reprenant les termes du Dieu de l’Exode. Pour les chrétiens, Jésus n’est donc pas un autre Dieu que Yahvé : il est Yahvé incarné dans la personne du Fils.
Religion | Yahvé = Jésus ? |
Judaïsme | ❌ Non – Jésus n’est pas Dieu |
Christianisme | ✅ Oui – Jésus est Dieu fait homme |
Islam | ❌ Non – Jésus est un prophète |
Pour approfondir cette relation complexe entre Yahvé et Jésus-Christ, il est utile de comparer leurs rôles, styles et symboles dans les Écritures, tant dans leur dimension historique que théologique.
Thèmes | Yahvé (Ancien Testament) | Jésus-Christ (Nouveau Testament) |
Nom / Révélation | YHWH (« Je suis celui qui suis » – Exode 3:14) | Jésus (« Dieu sauve » – Matthieu 1:21) – aussi appelé Emmanuel, « Dieu avec nous » |
Rôle dans le salut | Sauve Israël de l’esclavage, guide par l’alliance et la loi | Sauve l’humanité du péché par le sacrifice sur la croix |
Médiation | Par des prophètes, des anges, la Loi, Moïse, les juges | Est lui-même le médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tim. 2:5) |
Style de parole | Parole solennelle, oraculaire, souvent dans la crainte | Parole incarnée, paraboles, douceur et autorité mêlées |
Révélation de Dieu | Voix, feu, tonnerre, buisson ardent, nuée, tabernacle | Corps humain, proximité, compassion, miracles |
Relation à l’humanité | Peuple élu (Israël) – relation collective et conditionnelle | Relation personnelle, universelle et inconditionnelle |
Justice | Justice distributive : bénédictions et malédictions selon l’obéissance (Deut. 28) | Miséricorde au centre – mais avec exigence de vérité et de repentance |
Loi / Commandements | Donne la Torah, 613 commandements – Loi extérieure | Accomplit la Loi et l’écrit dans les cœurs (Matthieu 5:17, Jérémie 31:33) |
Lieu sacré | Temple de Jérusalem, l’Arche, le Saint des Saints | Son propre corps est le Temple (Jean 2:21), Dieu habitant parmi nous |
Jugement | Juge les nations – destruction de Sodome, Exil, etc. | Jugera à la fin des temps (Matthieu 25), mais est aussi l’Avocat (1 Jean 2:1) |
Pardon / Miséricorde | Pardon conditionné à des sacrifices rituels | Pardon offert par grâce, à travers son propre sacrifice |
Alliance | Ancienne Alliance : Moïse, sang des animaux | Nouvelle Alliance : Jésus, sang de la croix |
Symbole principal | Feu, nuée, tonnerre, montagne, tables de pierre | Croix, pain et vin, serviette du lavement des pieds |
Manifestation divine | Théophanie (apparition visible de Dieu sans incarnation) | Incarnation (Dieu devenu homme) |
Dieu au ciel | Transcendant, séparé | Immanent, incarné |
Voix ou Verbe ? | Voix puissante, créatrice | Le Verbe fait chair (Jean 1:14) |
Don de vie | Crée Adam à partir de la poussière | Redonne la vie par la résurrection |
Punition du péché | Exil, Déluge, Loi dure | Porte le péché lui-même, sauve par amour |
Symbole du salut | L’agneau pascal – sang sur les portes | Lui-même, l’Agneau de Dieu (Jean 1:29) |
Ces correspondances montrent que dans la vision chrétienne, Jésus est l’accomplissement de ce que Yahvé a annoncé. Il est la Parole créatrice devenue chair, la Loi rendue vivante, la Justice de Dieu unie à sa Miséricorde. Le Dieu de la montagne et de la nuée devient le Dieu des chemins et des maisons. Il passe de l’extérieur redoutable à l’intérieur accessible, sans cesser d’être le même. Le Dieu qui disait à Moïse « Je suis » dira désormais à ses disciples : « Je suis le pain de vie, la lumière du monde, le bon berger. »
Yahvé et Jésus ne sont donc pas deux dieux, mais deux manières d’un même Dieu d’entrer en relation avec l’humanité, selon des temps, des formes et des alliances différentes. C’est dans cette dynamique de révélation progressive que se déploie toute la richesse de la foi biblique.
La question de Gaza et le schisme théologique qui apparaît
Les massacres perpétrés à Gaza ne sont pas une simple guerre. Ils sont un miroir dramatique de conceptions divergentes du divin. Certains courants juifs extrémistes ou messianistes, qui se réclament d’une lecture littérale de la Torah, justifient ces violences au nom de la défense du peuple élu, voire d’un droit sacré sur la terre. On y retrouve parfois une résurgence de la théologie de la conquête : exterminer l’Amalécite, réduire l’ennemi au silence, établir une domination sur le territoire promis.
À l’inverse, la vision chrétienne, héritée de Jésus, voit dans chaque innocent une image du Christ lui-même. “Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Matthieu 25,40). La doctrine chrétienne est claire : jamais la violence, même en état de guerre, ne peut être justifiée pour atteindre des civils. Le Dieu de Jésus n’est pas celui qui extermine au nom d’un plan divin, mais celui qui meurt avec les crucifiés de l’histoire.
Ce qui se passe à Gaza devient alors une balise morale : si Dieu cautionne cela, alors Il n’est pas Dieu. Ou plutôt, ce n’est pas le vrai Dieu, le Père de Jésus-Christ, qui se révèle dans la tendresse, la justice, et la compassion.
Deux conceptions irréconciliables de Dieu et de l’histoire
Voici un second tableau qui synthétise cette fracture fondamentale :
Conception divine | Judaïsme (lecture nationaliste) | Christianisme (enseignement de Jésus) |
Dieu protège un peuple élu | Oui, souvent au détriment des autres | Oui, mais le salut est ouvert à tous |
Dieu ordonne la guerre | Oui, dans certains récits bibliques | Non, jamais. Jésus interdit l’usage de l’épée |
Dieu punit collectivement | Oui (ex. Sodome, peuples ennemis) | Non. Jésus refuse la punition collective |
Le salut passe par la Loi | Oui, par la fidélité à l’alliance | Non, par la foi, la grâce, et l’amour |
Dieu souffre avec l’homme | Non (généralementtranscendant) | Oui, en Jésus crucifié |
Dieu est amour inconditionnel | Parfois, mais dépend de l’obéissance | Oui, inconditionnel, même pour les ennemis |
Le Dieu des ruines : conclusion théologique
Gaza n’est pas seulement un scandale humanitaire. C’est un test spirituel. Une épreuve de vérité sur les représentations religieuses. Si Dieu est amour, Il ne peut pas tolérer cela. Si Dieu est vie, Il ne peut pas bénir la mort. Si Dieu est justice, Il ne peut pas laisser les puissants broyer les enfants. Le Dieu de Jésus pleure aujourd’hui à Gaza. Il pleure aussi à Jérusalem, à Tel Aviv, à Damas, à Beyrouth, à Kiev et à Moscou. Mais il ne se réjouit jamais du sang versé.
Entre Yahvé guerrier et Jésus crucifié, entre le feu du ciel et la croix du pardon, une frontière morale et théologique est tracée. Elle ne passe pas entre les peuples, mais entre deux manières de concevoir Dieu : comme puissance ou comme amour, comme domination ou comme don, comme conquête ou comme communion.
L’histoire jugera les hommes. Mais la conscience juge déjà les dieux. Et elle reconnaît le vrai Dieu à ceci : il ne tue pas, il se laisse tuer.
Bernard Raymond Jabre