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Le soutien financier conditionné à des réformes profondes – Les exigences de Riyad

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Une relation historique bouleversée par la crise

Pendant des décennies, l’Arabie saoudite a été un pilier financier pour le Liban, injectant des milliards de dollars pour soutenir son économie et ses institutions. Entre 2000 et 2015, Riyad a versé plus de 15 milliards en aides directes et investissements, notamment via des dépôts à la Banque du Liban (BDL) – 3 milliards en 2011 pour stabiliser la livre – et des projets comme la reconstruction post-guerre de 2006 (Chambre de commerce de Beyrouth). Ce soutien, souvent sans conditions strictes, reflétait une alliance stratégique avec les élites sunnites libanaises, comme la famille Hariri, et une volonté de contrer l’influence iranienne via le Hezbollah.

Mais depuis 2017, les relations se sont refroidies. L’incident diplomatique où Saad Hariri a été retenu à Riyad, suivi de l’effondrement économique de 2019, a marqué un tournant. L’Arabie saoudite, lassée par la corruption et la mainmise du Hezbollah sur le pouvoir, a suspendu son aide. En 2021, elle a banni les importations libanaises – 240 millions de dollars par an – après la découverte de drogue dans des cargaisons (Reuters, 2021). Aujourd’hui, alors que le Liban traverse une crise sans précédent – PIB réduit de 55 à 31 milliards de dollars (Banque mondiale, 2024) – Riyad adopte une prudence extrême, conditionnant tout soutien à des réformes radicales.

Une crise économique qui force la prudence saoudienne

Le Liban est au bord du gouffre. La livre, dévaluée de 98 % à 120 000 LBP pour 1 dollar (Banque du Liban, 2023), et une inflation à 200 % (UNDP, 2024) ont plongé 82 % de la population sous le seuil de pauvreté (UNICEF, 2024). Les réserves de la BDL, à 8 milliards en 2024 contre 35 milliards en 2019, risquent l’épuisement d’ici 2026. Les services publics s’effondrent : 22 heures de coupures d’électricité par jour (Électricité du Liban), hôpitaux à 60 % de capacité (Ordre des médecins), et écoles fermées en cascade.

Face à ce chaos, l’Arabie saoudite refuse de jouer les pompiers sans garanties. « On ne jettera plus d’argent dans un puits sans fond », a déclaré un diplomate saoudien anonyme en 2024, reflétant la méfiance de Riyad envers une classe politique libanaise gangrénée par la corruption – 40 % des fonds publics détournés (Transparency International, 2023). Cette prudence s’aligne sur celle d’autres bailleurs, comme le FMI, dont les négociations ont échoué en 2022 sous la pression du lobby bancaire (Reuters, 2022).

Les exigences strictes de Riyad : un ultimatum clair

Contrairement à ses largesses passées, l’Arabie saoudite impose désormais des conditions draconiennes, visant à sécuriser ses fonds et forcer un changement systémique au Liban.

La transparence sur l’usage des fonds est non négociable. Riyad exige des mécanismes de contrôle indépendants – audits externes, suivi en temps réel – pour éviter que l’aide ne soit siphonnée par les élites, comme les 1,5 milliard de dollars post-explosion de 2020 (Banque mondiale, 2023). Un audit des institutions financières, réclamé par Riyad, vise à exposer les pertes bancaires – 70-100 milliards selon le FMI – mais se heurte au secret bancaire, bouclier des grandes familles (Audi, SGBL) qui ont bloqué des audits similaires en 2020 sous l’égide du lobby de l’Association des banques libanaises (ABL).

Les réformes économiques et institutionnelles sont au cœur des attentes saoudiennes. La restructuration du secteur bancaire, un gouffre financier, est cruciale : Riyad veut un haircut sur les gros dépôts (50 % au-delà de 500 000 dollars) et une recapitalisation, mais les banquiers, influençant des partis comme le Courant du Futur, ont torpillé ces mesures par le passé, protégeant leurs 40 milliards offshore (Global Financial Integrity, 2023). Une réforme des dépenses publiques, avec un déficit à 10 % du PIB en 2019 (ministère des Finances), exige de couper les subventions inutiles (1 milliard pour le mazout en 2021), mais les politiciens, liés aux réseaux clientélistes, résistent férocement.

La lutte contre la corruption est un autre impératif. Riyad demande des enquêtes sérieuses – pas les simulacres habituels – et des sanctions contre les responsables, comme ceux impliqués dans le scandale de la BDL sous Riad Salamé (60 trillions de LBP imprimés depuis 2019). Des institutions indépendantes pour superviser les aides sont proposées, mais leur création bute sur les factions confessionnelles – Hezbollah, Amal – qui voient là une menace à leur pouvoir.

Enfin, un repositionnement politique implicite pèse dans la balance. Bien que non formulé officiellement, Riyad attend une rupture nette avec le Hezbollah, dont l’influence a refroidi les relations depuis 2017. Cette condition, un casse-tête pour Nawaf Salam, risque de fracturer un gouvernement déjà fragile, tiraillé entre sunnites, chiites et chrétiens.

Le Liban dans une impasse financière et politique

Ces exigences placent Beyrouth dans une impasse. Les réserves de la BDL, à peine suffisantes pour importer du blé et du carburant, fondent rapidement. Le déficit budgétaire, creusé par une chute des recettes fiscales (de 10 à 2 milliards de dollars en cinq ans) et des dépenses incontrôlées, est un gouffre. Les négociations avec le FMI, relancées en 2025, patinent pour les mêmes raisons : le lobby bancaire, via l’ABL, et les politiciens inféodés ont sabuté l’accord de 2022, refusant audits et réformes (Reuters, 2022). « Mes 50 000 dollars sont bloqués, et ils veulent encore de l’aide sans rien changer », s’indigne Mona, 38 ans, à Beyrouth.

Salam doit naviguer entre deux feux : accepter les conditions de Riyad risque de provoquer des tensions avec le Hezbollah, dont les alliés au Parlement bloquent toute concession ; les refuser condamne le Liban à un isolement financier total. Les manifestations de janvier 2025, avec des pneus brûlés à Tripoli, montrent une population à bout, prête à exploser si l’aide n’arrive pas.

Des alternatives limitées pour sortir du gouffre

Face au refus saoudien, Beyrouth cherche d’autres sauveteurs, mais les options sont maigres. L’Union européenne, via des accords comme celui de 2006 (EU External Action), exige des réformes similaires – audits bancaires, transparence – et conditionne ses 1 milliard d’euros promis en 2024 à des avancées concrètes. La Chine, intéressée par le port de Tripoli dans son initiative « Belt and Road », parle de 2 milliards (ministry of Public Works), mais demande des garanties politiques que le Liban, divisé, ne peut offrir. La Russie, en retrait, reste muette.

La diaspora, qui envoyait 7 milliards par an (Banque du Liban, 2023), réduit ses transferts – 30 % de moins en 2024 selon l’Université Saint-Joseph – faute de confiance. « Mon frère à Dubaï n’envoie plus rien, il dit que ça disparaît », raconte Ali, 45 ans, à Saïda. Ces alternatives, fragiles, ne remplacent pas le poids historique de Riyad ou du FMI.

Vers une sortie de crise ou un enlisement prolongé ?

Les discussions avec Riyad, au stade préliminaire en mars 2025, avancent à pas de tortue. L’Arabie saoudite, ouverte au dialogue, refuse de céder sans preuves tangibles : « Pas un riyal sans réformes », martèle un officiel anonyme. Les prochains mois seront cruciaux. Si Salam impose un audit bancaire et un plan anti-corruption, il pourrait débloquer 2 milliards de Riyad et 4 milliards du FMI, relançant l’économie. Mais si les blocages persistent – lobby bancaire sabotant les audits, Hezbollah freinant toute distanciation – le Liban s’enfoncera dans un isolement fatal, avec une inflation à 500 % d’ici 2026 (Banque mondiale, 2024).

Pour une population exsangue – pouvoir d’achat réduit de 90 %, services publics en ruine – ce soutien est une bouée de sauvetage. Mais sans volonté politique pour briser les chaînes de la corruption et des influences bancaires, le Liban risque de rater cette dernière chance, sombrant dans un déclin irréversible.

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Newsdesk Libnanews
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