lundi, mai 12, 2025

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Réformes exigées : pression multilatérale sur le Liban

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Le Liban se trouve une nouvelle fois confronté à la nécessité de mettre en œuvre des réformes structurelles attendues de longue date, condition préalable au déblocage de toute aide internationale. La visite de la coordinatrice spéciale des Nations Unies, J.H. Plasschaert, à Beyrouth en mai 2025, a ravivé ces exigences. Selon le quotidien Nahar daté du 9 mai, elle a tenu une réunion stratégique avec Ibrahim Kanaan, président de la commission parlementaire des finances. Cette entrevue a cristallisé l’ampleur de la pression exercée par les institutions internationales sur les autorités libanaises.

La restructuration du secteur bancaire : condition incontournable

Parmi les réformes prioritaires évoquées, la restructuration du système bancaire libanais figure en tête de liste. Ce secteur, autrefois considéré comme pilier de la stabilité nationale, est aujourd’hui discrédité. Depuis la crise financière de 2019, les banques libanaises opèrent dans un vide juridique, sans législation sur les dépôts, ni mécanisme de garantie, ni plan clair de remboursement aux déposants.

J.H. Plasschaert a souligné que sans un audit complet, indépendant et validé par les organismes internationaux, aucune ligne de crédit sérieuse ne pourrait être envisagée. Le Fonds monétaire international (FMI), tout comme la Banque mondiale, attend que les autorités adoptent une loi de restructuration bancaire intégrée, incluant la classification des banques selon leur viabilité, la fusion ou liquidation des établissements insolvables, et la création d’un fonds de garantie des dépôts.

Lors de son entretien avec Ibrahim Kanaan, Plasschaert a insisté sur le fait que la commission des finances devait jouer un rôle moteur en produisant un calendrier législatif contraignant. Cette approche heurte néanmoins de front les intérêts d’une partie du secteur bancaire, encore très influent au Parlement. Plusieurs députés, notamment ceux affiliés à des groupes bancaires, freinent l’adoption de toute mesure pouvant entraîner la révélation de pertes massives ou la nationalisation partielle du secteur.

Contrôle des capitaux : une lacune stratégique persistante

Autre point central de la pression multilatérale : l’adoption d’une loi sur le contrôle des capitaux. Depuis le déclenchement de la crise, les transferts d’argent vers l’étranger ont été régis par des circulaires temporaires de la Banque du Liban, sans base légale. Cette absence de cadre juridique a favorisé des transferts discriminatoires, au bénéfice de certains privilégiés, au détriment du reste des déposants.

L’ONU considère que l’instauration d’un contrôle légal et transparent est indispensable à la reconstruction de la confiance dans le système économique libanais. J.H. Plasschaert a demandé que cette loi soit non seulement adoptée mais accompagnée de mécanismes de surveillance et de recours, incluant des audits périodiques et l’implication d’une autorité de régulation indépendante.

La commission des finances, dirigée par Kanaan, a déjà entamé la rédaction d’un projet de loi, selon Al Akhbar. Toutefois, des divergences subsistent sur le périmètre d’application, la rétroactivité, et la durée des restrictions. Certaines formations politiques exigent que le contrôle des capitaux ne s’applique pas aux transferts liés à l’éducation ou à la santé, tandis que d’autres souhaitent l’inclure dans une loi cadre plus large sur la réforme monétaire.

Aides multilatérales et conditionnalités : entre soutien et chantage perçu

La visite de J.H. Plasschaert a également ravivé le débat sur la nature des conditionnalités imposées au Liban par les bailleurs internationaux. Si certains acteurs politiques, comme le président Joseph Aoun, considèrent ces exigences comme des leviers légitimes de modernisation, d’autres y voient une forme de tutelle déguisée.

Dans les colonnes de Al Joumhouriyat, plusieurs députés expriment leurs inquiétudes face à ce qu’ils qualifient de « diktats économiques ». Selon eux, le Liban devrait pouvoir négocier des délais et priorités avec ses partenaires, plutôt que de se voir imposer un calendrier extérieur. Ces positions sont notamment portées par des groupes souverainistes, inquiets des ingérences dans les choix économiques nationaux.

Pour autant, les institutions internationales restent fermes. La Banque mondiale, l’Union européenne et le FMI ont tous rappelé, dans divers rapports et communiqués, que les fonds promis à CEDRE en 2018 (près de 11 milliards de dollars) ne seront débloqués qu’après l’adoption des principales réformes. Le Liban, plongé dans une crise multidimensionnelle, n’a pas réellement d’alternative viable.

Le rôle pivot de la commission des finances

Dans ce contexte, le rôle de la commission parlementaire des finances apparaît crucial. Ibrahim Kanaan, avocat de formation et député depuis 2005, s’est progressivement imposé comme l’un des techniciens les plus actifs du Parlement. Sous sa présidence, la commission a tenté de structurer le débat budgétaire, d’initier des audits, et de proposer des textes consensuels.

Cependant, ses marges de manœuvre restent limitées par la complexité des rapports de force au sein du Parlement et par la lenteur du processus législatif. Kanaan lui-même reconnaît, dans un entretien publié par Al Sharq, que « la réforme bancaire ne peut être imposée sans alignement politique large et sans couverture populaire ». Il propose, à cet effet, la tenue d’une conférence nationale sur les priorités économiques, incluant les syndicats, les banques, les partis politiques et les organisations internationales.

Cette démarche vise à dépasser les clivages habituels en établissant un socle minimum de consensus autour de la nécessité de réforme. Mais sa mise en œuvre reste incertaine. Certains analystes évoquent la peur, chez les décideurs, de devoir renoncer à des rentes anciennes ou à des arrangements politiques fragiles.

Résistances internes et verrouillages croisés

La mise en œuvre des réformes évoquées par J.H. Plasschaert se heurte aussi à des logiques d’obstruction croisées. Le ministère des Finances, dirigé par un ministre issu du Courant du Futur, freine certains textes par souci de cohérence macroéconomique. Le gouverneur de la Banque du Liban, bien qu’en fin de mandat, exerce encore un pouvoir réglementaire bloquant.

En parallèle, les divisions entre les formations politiques sur la répartition des responsabilités dans l’effondrement économique entravent toute dynamique constructive. Chacun accuse l’autre de sabotage, tandis que la population souffre de la persistance d’un système bancaire en faillite de confiance.

La société civile, via des plateformes comme Kulluna Irada ou Legal Agenda, tente de documenter et de dénoncer les blocages, mais leurs recommandations peinent à pénétrer les circuits décisionnels. Le dialogue entre Parlement, gouvernement, Banque centrale et partenaires étrangers reste morcelé, sans plateforme de coordination formelle.

Conclusion provisoire : une pression qui s’accroît

L’intervention de la coordinatrice de l’ONU marque une étape supplémentaire dans la pression exercée sur le Liban. Elle met en lumière l’écart entre les promesses de réforme et leur exécution. Elle révèle aussi les limites du système institutionnel libanais, incapable, pour l’heure, de s’auto-réformer sans contrainte extérieure.

La réforme du secteur bancaire et l’instauration d’un contrôle des capitaux constituent les deux piliers incontournables d’un éventuel redressement. Tant que ces chantiers resteront bloqués, le Liban ne pourra prétendre ni à une relance économique durable, ni à une reprise de la confiance des citoyens et des investisseurs. Le défi n’est plus seulement technique : il est fondamentalement politique et existentiel.

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Newsdesk Libnanews
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