Pour la première fois depuis le début de la crise financière de 2019, la Banque centrale du Liban envisage de publier un rapport complet sur l’état du secteur bancaire. L’information, rapportée par Al Sharq dans son édition du 25 avril 2025, suscite déjà une forte attente au sein du public, des milieux financiers et des partenaires internationaux. Ce rapport devrait inclure une cartographie des établissements encore viables, une estimation actualisée des pertes cumulées et des recommandations pour la gestion future des dépôts. Si elle est confirmée et menée à bien, cette initiative marquerait un tournant dans la transparence bancaire libanaise, longtemps critiquée pour son opacité.
Une première depuis le gel des dépôts
Depuis 2019, aucune évaluation publique officielle de la situation du système bancaire n’a été produite par la Banque centrale. Les bilans des banques commerciales ont cessé d’être publiés de manière régulière, et les états financiers disponibles sont souvent incomplets ou non certifiés. Cette opacité, dénoncée à plusieurs reprises par le Fonds monétaire international, a contribué à l’érosion totale de la confiance dans le système bancaire.
Selon Al Sharq (25 avril 2025), ce nouveau rapport serait en préparation depuis plusieurs mois, à l’initiative du nouveau gouverneur adjoint, récemment nommé pour piloter la réforme structurelle du secteur. L’objectif serait de dresser un diagnostic précis des actifs et passifs des principales institutions bancaires, d’évaluer les pertes subies depuis le déclenchement de la crise, et d’identifier les établissements jugés restructurables à moyen terme.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre plus large d’un processus de restructuration du secteur bancaire, réclamé depuis longtemps par les partenaires internationaux mais constamment repoussé en raison de la résistance des banques, des divisions politiques et de l’absence de cadre légal clair pour la gestion des pertes.
Ce que le rapport devrait contenir
Le rapport annoncé par Al Sharq devrait inclure plusieurs volets :
- Une cartographie des banques selon leur niveau de solvabilité et de liquidité, avec des indicateurs de capitalisation.
- Un inventaire des pertes totales estimées, notamment les pertes sur eurobonds, les prêts non recouvrables et les positions en devises.
- Une classification des banques selon leur potentiel de recapitalisation : viables, à fusionner, ou à liquider.
- Des propositions de mécanismes pour gérer les dépôts, avec des seuils de compensation, des délais de remboursement et des modalités d’accès à l’épargne bloquée.
- Un état des lieux des ressources de la Banque centrale, y compris les actifs nets, les réserves en devises, et les passifs vis-à-vis du système bancaire.
Ce type de rapport, s’il est mené de façon indépendante et rigoureuse, pourrait servir de base pour relancer les négociations avec le FMI, mais aussi pour restaurer un minimum de confiance dans le secteur.
Enjeux politiques et institutionnels
La publication d’un tel rapport ne sera pas sans conséquences. Elle pourrait révéler l’ampleur réelle des pertes, estimées officieusement entre 60 et 80 milliards de dollars, et mettre en lumière la faillite de certains établissements encore en activité. Cela poserait la question de la responsabilité des anciens dirigeants, des auditeurs, mais aussi des responsables politiques ayant couvert ou toléré cette dérive.
Selon plusieurs observateurs, cités dans Al Akhbar (25 avril 2025), certains groupes politiques et bancaires tenteraient d’empêcher la publication du rapport ou de limiter sa diffusion. Ils redoutent que des révélations sur la gestion passée ne déclenchent des procédures judiciaires ou des demandes de reddition de comptes, notamment de la part de la société civile et des déposants.
Le gouvernement de Nawaf Salam, quant à lui, semble soutenir l’initiative, y voyant un levier pour prouver aux bailleurs internationaux que le Liban est enfin prêt à faire face à la réalité. Cette posture s’inscrit dans une logique de diplomatie économique, déjà visible lors des récentes réunions à Washington, où la délégation libanaise a présenté la réforme du secret bancaire comme un geste de bonne foi.
Déposants, FMI, opinion publique : une pression croissante
L’un des éléments les plus attendus du rapport concerne la gestion future des dépôts. Depuis l’instauration informelle des contrôles de capitaux en 2019, les clients des banques libanaises ne peuvent plus accéder librement à leurs comptes, et les retraits sont strictement encadrés. Cette situation a plongé des milliers de familles dans la précarité et paralysé le tissu économique.
La société civile réclame depuis plusieurs années la transparence sur les responsabilités, mais aussi des mécanismes de compensation justes. Le FMI, de son côté, a conditionné toute aide à une restructuration bancaire basée sur des données vérifiées et partagées. Le rapport pourrait donc servir d’élément déclencheur pour la reprise des discussions techniques.
Al Bina’ (25 avril 2025) indique que des ONG économiques ont d’ores et déjà demandé à ce que le rapport soit publié dans son intégralité, et non sous forme de synthèse. Elles réclament également que sa validation soit confiée à une instance indépendante, voire à une mission d’experts internationaux.
Une opportunité à ne pas rater
Si la Banque centrale mène à bien ce projet, elle pourra affirmer un rôle de reconstruction institutionnelle après des années de décrédibilisation. Mais cela suppose une méthode transparente, une communication rigoureuse, et l’acceptation politique d’un audit sans filtres.
L’enjeu dépasse le seul secteur bancaire : il s’agit de poser les bases d’une justice économique, de restaurer la confiance des citoyens et des investisseurs, et de montrer que l’État est encore capable de produire des instruments d’analyse au service de l’intérêt général.
L’audit bancaire national pourrait devenir le socle d’une nouvelle étape dans la sortie de crise. Mais son succès dépendra de sa capacité à produire des vérités incontestables, à résister aux pressions, et à ouvrir la voie à des décisions courageuses, y compris en matière de responsabilité et de réparation.