Les giboulées d’automne ont brutalement interrompu l’été indien si favorable aux manifestations au Liban.

Avant ces dernières, les incendies montraient du doigt les responsables du manque des secours, aujourd’hui les inondations catastrophiques font de même. À chaque bout de la chaîne des responsabilités de la gabegie, de la corruption, des plans d’austérité et l’accaparement des richesses, toujours les mêmes noms, les mêmes clans et les mêmes partis. On ne parle plus de catastrophe naturelle.

Ceux-là mêmes cherchent un Premier ministre par l’intermédiaire de l’ex Premier ministre Saad Hariri. Ce dernier vient de lancer un appel au secours à la communauté internationale pour sauver le Liban étouffé par la crise économique et dont les réserves alimentaires fondent petit à petit par manque de capitaux et d’argent. Il n’est nulle part question de réquisitions, de mesures coercitives ou plan catastrophe. Les plus riches demandent une aide à d’autres riches. Quel chemin pourrait prendre cette aide ?

Les revendications en restent, pour le moment, à un gouvernement de transition, techno politique ou de salut public. À chaque candidat trouvé par la classe politique des manifestations, des blocages de routes voire un rassemblement sous les fenêtres du candidat pour lui signifier le veto de la population.

La complicité des sphères politiques et économiques présente un nœud inextricable de relations, de compromis, d’équilibre et de complicité difficiles à déchiffrer. Le point commun, et indéniable, restant l’accaparement de richesses sous des airs débonnaires et insoucieux.

Pour la voirie, les poubelles et les décharges se profilent Jihad al Arab, un ami à Saad Hariri et Dany Khoury, un proche du président Michel Aoun. Augmenter indûment les montants dus par les municipalités et jeter les déchets toxiques à la mer sont les mots les plus entendus.

Plus discrètement, progressiste et cultivé, Walid Jumblatt, s’occupe des bonnes œuvres de sa société Cogico. Elle est spécialisée dans l’importation de carburant, diesel pour l’essentiel, si prisé pour le fonctionnement des générateurs, relais d’une électricité étatique défaillante. Le siège est à quelques mètres de son domicile. S’agit-il d’une optimisation logistique ?

Walid Jumblatt a rencontré récemment une vieille connaissance, Nabih Berri, président du parlement. Ils ont discuté du nouveau candidat au poste de Premier ministre. Walid Jumblatt était pour sans être contre. Nabih Berri de même. On sentait, chez ces politiciens vieillissants, une certaine lassitude et irritation du mouvement populaire. La Banque Mondiale et d’autres donateurs de par le monde, tiennent à honorer le plan CEDRE avec ses 11 milliards de dollars à la clef. Pour cela, il faut un Liban doté d’un Premier ministre et un gouvernement. Nabi Berri est impatient, par la grâce de ses accointances au conseil d’administration du CDR (Comité de développement et de la reconstruction) il pourra bénéficier d’un retour d’investissements. Le CDR réceptionne et distribue les fonds collectés par le plan CEDRE.

Le général Michel Aoun, président de la République, a présidé récemment un sommet économique en son palais de Baabda. Parmi les présents, d’anciens ministres des finances, un ministre d’État, l’incontournable gouverneur de la Banque du Liban Riad Salameh, le président de l’association des banques du Liban Salim Sfeir, un président contrôleur des banques Sami Hamoud ainsi que le conseil économique du Premier ministre, Nadim Munla.

Les participants à ce sommet économique sont probablement payés en dollars américains. Incongru pour des serviteurs de l’État libanais. Un État crée de toutes pièces par les vainqueurs anglo-français de la Première Guerre mondiale et dont les stigmates coloniaux marquent la mentalité du personnel politique français et libanais jusqu’à nos jours. Le président français déclarait au journaliste d’origine libanaise Nicolian, qui lui demandait sa réaction aux événements libanais : « On fêtera l’année prochaine la proclamation du Grand Liban de 1920 ». Au journaliste qui lui rétorque que c’est aussi l’anniversaire de l’instauration du confessionnalisme si décrié par les manifestants, car ils y voient la principale raison des malheurs de leur pays, ce chef d’État répond « Exactement » avant de s’éloigner.

Loin de ces considérations clientélistes et politiciennes, les salariés font les frais d’une situation économique de plus en plus catastrophique et pour lequel les autorités n’ont prévu aucun plan de sauvegarde, car elles-mêmes complices directes ou indirectes de ces effets immédiats.

Le journaliste Benjamin Redd est licencié début décembre par le quotidien libanais anglophone The Daily Star, pour avoir tenté d’organiser une grève. Les salaires n’étaient plus payés depuis 6 mois. Le journal est la propriété de l’ex Premier ministre Saad Hariri.

Le patronat libanais a pris l’habitude de licencier à tour de bras depuis le début de l’année, avant le début du mouvement. Ce drame social est au mieux négociable contre une baisse de salaire pouvant atteindre jusqu’à 50 %. Des établissements scolaires et universitaires suivent l’exemple, ainsi que les hôpitaux. Dans certains, le personnel soignant y est privé de salaire depuis le début de l’année. La Banque Mondiale annonce pour 2020, une population libanaise dont 50 % vivraient sous le seuil de pauvreté !

Le personnel politique, dont les députés, perçoit, rubis sur ongle, son salaire à la fin du mois. Un député émarge à 12 millions de livres libanaises soit plus de 7000 euros par mois (plus de 7700 dollars) : huit fois le salaire moyen libanais ou 20 fois le salaire minimum. On comprend la fermeté des politiciens locaux, toutes tendances confondues, à vouloir maintenir le régime actuel. Saad Hariri avait annoncé, le 20 octobre, avant son départ précipité, la réduction de 50 % des salaires de ministres et parlementaires. Le président Michel Aoun n’était pas sur la liste. Ses émoluments se situeraient à plus de 12 500 euros par mois soit presque 21 millions de livres libanaises.

La dévaluation de la livre libanaise amène les banques à ne plus accepter des dépôts dans la monnaie nationale et à rendre au compte-gouttes le contenu des comptes bancaires à leurs propriétaires. Le rapport de la banque Merry Lynch indique une perte des réserves bancaires qui se monte à près d’un milliard de dollars, au premier semestre 2020, les réserves seraient à zéro.

Des analyses estiment que le coût de la recapitalisation du secteur bancaire se monte à 20 milliards de dollars. Les comptes bancaires privés se verraient décoter de 12 à 13 %, ceux des plus fortunés jusqu’à 25 % !

Pour la dette publique, la cure est plus sévère. Les 80 milliards de dollars coûteraient une décote de 49 à 56 % pour tous et 100 % pour les plus fortunés ! 40 % des entreprises pourraient faire faillite.

Crise politique et crise économique nécessitent à défaut d’un comité de salut public, une transparence totale des flux économiques et financiers afin d’affecter les fonds et les revenus aux priorités que sont les salaires, la santé et l’éducation.

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