Laurence Corroy, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC

Apprendre aux élèves à identifier les sources d’une information, à repérer une vidéo truquée, ou leur faire découvrir le processus de fabrication d’un journal : autant d’actions liées à cette éducation aux médias dont les responsables politiques et le grand public se préoccupent de plus en plus alors que l’actualité s’accélère et que les « fake news » déferlent sur Internet. Mais que recouvre vraiment cette éducation ? Quels en sont les fondements ?

C’est dans la seconde moitié du XXe siècle qu’elle s’est progressivement formalisée. Après avoir expérimenté l’éducation par les médias, en se servant d’articles ou reportages vidéo comme supports pédagogiques, afin d’illustrer les disciplines enseignées, les enseignants ont pris la mesure de la nécessité d’étudier les médias pour eux-mêmes. Les rencontres internationales sous l’égide de l’Unesco ont dans un premier temps cherché à la définir, à encourager la recherche scientifique de ce nouveau champ et à convaincre les décideurs de son importance.

Lors d’un symposium organisé en 1982, une déclaration des pays représentés acte le fait que les médias représentent un élément important de la culture contemporaine et que leur fonction instrumentale, visant à favoriser la participation active des citoyens, est à prendre en compte. Un appel est alors lancé pour développer des programmes permettant de comprendre et d’analyser les phénomènes de communication, du premier degré au supérieur.

Des compétences civiques et techniques

Bouleversant le rapport au savoir et à l’information, l’arrivée d’Internet fait naître de nouvelles inquiétudes. Saisis par l’urgence de penser l’éducation aux médias alors que la société bascule vers le numérique, le Conseil de l’Europe et la commission européenne ont multiplié depuis une quinzaine d’années les recommandations à leurs États membres afin que chaque pays introduise l’éducation aux médias dans son cursus scolaire.

L’Union européenne la définit comme

« une expression étendue qui englobe toutes les capacités techniques, cognitives, sociales, civiques et créatives qui permettent à tout citoyen d’avoir accès aux médias, de faire preuve d’esprit critique à leur égard et d’interagir avec eux ».

En France, elle est présente depuis 2006 dans le socle commun des connaissances que tous les élèves sont censés maîtriser à la fin du collège. Inscrite dans la loi de refondation de l’école en juillet 2013, elle se voit assigner comme objectif

« de permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information et de la communication, former des “cybercitoyens” actifs, éclairés et responsables de demain ».

Elle est présente dans le parcours citoyen, avec l’enjeu « d’apprendre aux élèves à lire, à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie ».

Elle apparaît aussi en pointillés dans les cinq domaines du nouveau socle commun des connaissances mis en application en septembre 2016. L’élève doit connaître les principes de base des algorithmes et les fins des langages informatiques. Il est aussi question du traitement de l’information et sa hiérarchisation, le fonctionnement des médias et de leurs enjeux, la production de contenus, la culture numérique, la gestion éthique des réseaux sociaux et de l’identité numérique…

Des attentes importantes

L’enjeu paraît d’autant plus crucial que la fréquentation assidue par les jeunes des médias de masse inquiète tout autant qu’elle intéresse une pluralité d’acteurs aux intérêts divergents. Les médias de masse étant devenus incontournables dans les pratiques culturelles des jeunes générations, il existe un large consensus pour que l’école s’y intéresse, en proposant leur étude : ce qu’ils sont, les messages qu’ils véhiculent, le système marchand dans lequel ils s’insèrent…

Pour autant, le choix de faire de l’éducation aux médias un enseignement transversal peut la fragiliser car cela repose largement sur l’engagement des enseignants qui n’ont pas obligatoirement reçu un enseignement spécifique et peuvent se sentir démunis ou insuffisamment formés. L’attente est immense lorsqu’il s’agit de trouver les mots en face d’élèves traumatisés, tout en gérant ses propres émotions, à chaud, lors d’événements dramatiques qui déchirent le temps social et médiatique.

La recherche française, pourtant active, souffre d’un manque cruel de postes de professeurs en université, ce qui freine la formation de jeunes doctorants.

Enfin, l’éducation aux médias, par sa volonté de forger l’esprit critique des élèves, est parfois mise en question : elle pourrait même, dit-on, contribuer à faire douter de tout. La tentation serait alors, pour les plus jeunes, de mettre au même niveau les sources journalistiques et les théories du complot qui circulent sur le Net.

« Learning by doing »

Pour éviter ce dernier écueil, il est crucial d’allier dans les classes l’analyse des messages médiatiques à une pratique créative, de la maternelle à l’université. C’est en manipulant textes et images, en réalisant des journaux, des expositions, des reportages, ou des blogs que les élèves vont comprendre les contraintes techniques et les exigences éthiques qui accompagnent tout travail médiatique de qualité.

Faire réaliser un journal aux élèves les sensibilise aux contraintes de l’information.

Le piège ouvert par le concept des « digital natives » est de penser que les nouvelles générations des élèves se forment sans difficulté au cybermonde. Elles ont, en réalité, besoin d’un accompagnement de fond que seule l’école peut leur apporter.

L’éducation aux médias se pose comme une éducation totale au sens de Rousseau, car elle cherche avant tout à faire des êtres libres. Capables d’exercer leur esprit critique face à tous les messages médiatiques… Il est temps que les pouvoirs publics en prennent toute la mesure.The Conversation

Laurence Corroy, maître de conférences HDR, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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