Un mandat contesté dans ses fondements
Le mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), tel que défini par la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies en août 2006, repose sur un triptyque fondamental : surveiller la cessation des hostilités entre le Liban et Israël, accompagner le déploiement de l’armée libanaise au sud du Litani, et soutenir la création d’une zone exempte de toute présence armée non étatique. Or, Israël conteste de plus en plus ouvertement l’efficacité de ce mandat, qu’il juge obsolète, inadapté aux réalités sécuritaires actuelles et trop limité dans ses moyens de contrainte.
Depuis plusieurs mois, les autorités israéliennes expriment le souhait de revoir en profondeur les règles d’engagement de la FINUL. Elles estiment que la mission onusienne, en l’état, ne parvient ni à empêcher l’enracinement militaire du Hezbollah au sud du Liban, ni à garantir une surveillance suffisante des axes de circulation ou des dépôts d’armement. Selon elles, l’absence de prérogatives opérationnelles robustes entrave l’action des casques bleus et permet aux milices de s’adapter sans véritable menace d’interception.
Les attentes israéliennes : inspection renforcée et action directe
Israël demande une extension du mandat dans trois directions principales. D’abord, la possibilité pour les unités de la FINUL de procéder à des inspections indépendantes sans coordination préalable avec l’armée libanaise. Ensuite, l’élargissement des zones de surveillance au-delà des points fixes actuels, avec un accent mis sur les secteurs agricoles et les constructions en périphérie des villages. Enfin, la capacité d’agir en cas de découverte d’armement non conventionnel, y compris par le biais de saisies ou de neutralisations préventives.
Cette dernière revendication représente une ligne rouge pour les autorités libanaises, qui y voient une remise en cause de leur souveraineté. Le Liban rappelle que toute intervention armée sur son territoire relève exclusivement de son armée nationale, et que la FINUL n’a ni la légitimité, ni les moyens, ni la préparation doctrinale pour mener des opérations de désarmement.
Les justifications israéliennes : asymétrie de la menace et prolifération
Selon la doctrine israélienne actualisée depuis 2020, le Hezbollah constitue une menace structurante et durable sur le front nord. Cette organisation est perçue non seulement comme une milice armée, mais comme une force paramilitaire intégrée au tissu civil libanais, capable d’utiliser les infrastructures villageoises comme vecteurs d’action. L’argument central mis en avant par Israël est que le mandat actuel de la FINUL empêche toute réponse efficace à cette hybridité tactique.
Les responsables sécuritaires israéliens mettent en avant des données satellites, des interceptions radio, et des rapports classifiés pour étayer leurs revendications. Ils affirment que plusieurs localités du Sud, comme Aita el-Shaab, Yaroun ou Khiam, abriteraient des stocks d’armement camouflés et que la circulation de pick-up suspects, parfois équipés de dispositifs de brouillage, serait fréquente la nuit. Pour Israël, ignorer cette réalité reviendrait à entretenir une illusion de paix.
Les réactions libanaises : refus de toute modification unilatérale
Du côté libanais, toute modification du mandat de la FINUL à l’initiative d’Israël est catégoriquement rejetée. Le gouvernement considère ces demandes comme une tentative de transformer la FINUL en force d’occupation indirecte ou en agent de renseignement au service d’une puissance étrangère. Le ministère des Affaires étrangères a réaffirmé son attachement à la résolution 1701 dans son interprétation originelle, et rappelé que toute évolution du mandat ne pouvait intervenir qu’avec l’accord explicite du Liban.
L’armée libanaise, bien qu’en difficulté logistique, maintient sa coopération avec la FINUL, mais dans un cadre strictement encadré. Elle refuse tout élargissement de mission qui porterait atteinte à la souveraineté territoriale ou introduirait des actions militaires autonomes. Plusieurs officiers rappellent que les casques bleus n’ont ni la formation ni le mandat pour interagir avec des réseaux armés en zone civile.
Les partenaires européens en désaccord sur la refonte du mandat
Les pays contributeurs à la FINUL, principalement européens, sont divisés sur l’opportunité de répondre aux pressions israéliennes. La France, qui dispose d’un contingent important, plaide pour un maintien du mandat tel quel, avec des ajustements marginaux en matière de logistique et de communication, mais sans élargissement des prérogatives. Elle met en garde contre le risque d’escalade, rappelant que tout durcissement du dispositif pourrait entraîner un retrait ou une riposte hostile du Hezbollah.
L’Italie et l’Espagne, également très engagées, adoptent une position intermédiaire : elles soutiennent un renforcement des capacités d’observation, notamment par drone et vidéo-surveillance, mais s’opposent à toute action directe non concertée. L’Allemagne, plus distante, suggère une évaluation annuelle du mandat en fonction des risques et des résultats, mais sans prise de position claire sur les demandes israéliennes.
Les États-Unis, arbitre silencieux ou allié implicite ?
La position des États-Unis dans ce débat reste volontairement ambiguë. Officiellement, Washington réaffirme son attachement au mandat onusien et à la stabilité du Liban. Toutefois, dans les discussions bilatérales avec Israël, plusieurs signaux montrent un soutien discret aux revendications israéliennes, notamment en matière de surveillance aérienne et d’échange d’informations tactiques. Le Pentagone aurait même transmis à ses partenaires de la FINUL des modèles d’adaptation du mandat inspirés de missions similaires en Afrique centrale.
Cette posture de soutien passif donne à Israël une légitimité supplémentaire pour revendiquer des modifications. En parallèle, elle complique la tâche des diplomates européens qui tentent de préserver le fragile équilibre entre mandat opérationnel et souveraineté libanaise. À New York, les discussions au Conseil de sécurité tournent en rond, faute de consensus sur la nécessité d’un amendement formel.
Les limites pratiques d’un mandat renforcé
Au-delà des considérations politiques, plusieurs obstacles techniques entravent l’évolution du mandat de la FINUL. D’une part, les casques bleus déployés au Liban ne sont ni entraînés ni équipés pour des missions de type contre-insurrectionnel. D’autre part, une modification des règles d’engagement impliquerait une révision complète de la doctrine d’intervention, des chaînes de commandement et de la coordination avec l’armée libanaise. Une telle réforme nécessiterait des mois, voire des années de préparation, sans garantie d’acceptation locale.
De plus, une posture plus offensive de la FINUL risquerait de briser le lien de confiance avec les populations locales. Dans certaines zones frontalières, les relations tissées entre les habitants et les soldats onusiens permettent un apaisement relatif des tensions. La perte de cette proximité transformerait la FINUL en acteur extérieur, isolé, perçu comme intrusif.
Le Hezbollah en embuscade : ligne rouge et effets de seuil
La question du mandat de la FINUL ne peut être dissociée de la position du Hezbollah. L’organisation considère toute évolution du rôle des casques bleus comme une tentative déguisée de désarmement indirect. Elle a, à plusieurs reprises, exprimé son opposition à toute fouille, inspection ou intervention non encadrée par l’armée libanaise. En cas de dépassement de ces lignes rouges, ses dirigeants laissent entendre qu’une riposte pourrait être envisagée, y compris sous forme d’entrave physique ou de confrontation symbolique.
Le risque majeur est que la transformation du mandat entraîne un effet de seuil : une escalade contrôlée dans un premier temps mais susceptible de dégénérer. Un incident isolé entre un contingent de la FINUL et une milice locale pourrait devenir un catalyseur d’un affrontement plus large. Cette perspective est redoutée par toutes les chancelleries impliquées dans la région.
Les leçons des précédentes tentatives de réforme
Ce n’est pas la première fois que le mandat de la FINUL fait l’objet de discussions en profondeur. Déjà en 2017, sous pression américaine, des propositions d’extension des capacités avaient été évoquées, sans aboutir. À l’époque, la Russie et la Chine s’y étaient opposées, jugeant que cela violerait l’équilibre régional. Le souvenir de cet échec reste vivace et explique la prudence actuelle du Secrétariat général des Nations unies, qui refuse toute initiative sans accord tripartite clair : Liban, Israël et Conseil de sécurité.
Les diplomates qui ont participé à ces négociations passées rappellent que la clé du succès repose sur la transparence des objectifs. Une réforme perçue comme instrumentalisée à des fins politiques est vouée à l’échec. À l’inverse, une évaluation technique et neutre des besoins sur le terrain pourrait permettre des ajustements acceptés par tous.
Vers une solution intermédiaire ?
Face à l’impasse actuelle, plusieurs options intermédiaires sont évoquées. La première consisterait à renforcer les capacités de renseignement de la FINUL, notamment par l’introduction de drones de surveillance et l’installation de capteurs au sol dans les zones sensibles. Cela permettrait une meilleure documentation des violations sans intervention directe. La deuxième piste vise à créer une cellule conjointe d’analyse avec l’armée libanaise, afin de mieux partager les informations et d’anticiper les incidents.
Une troisième option, plus politique, serait de renouveler le mandat actuel en y ajoutant une clause de révision semestrielle, conditionnée à l’évolution de la situation. Ce mécanisme offrirait un levier diplomatique sans déclencher de rupture immédiate. Toutefois, aucune de ces options n’a encore fait l’objet d’un consensus.
Une pression qui risque d’éroder la crédibilité du multilatéralisme
Ce débat autour du mandat de la FINUL dépasse la simple question du sud Liban. Il pose un dilemme fondamental : jusqu’où une mission de paix peut-elle s’adapter aux exigences d’un des belligérants sans perdre sa neutralité ? En cédant trop aux demandes israéliennes, l’ONU risquerait d’apparaître comme une force cooptée, incapable de défendre l’équilibre entre les parties. À l’inverse, un statu quo prolongé affaiblit la crédibilité de son action sur le terrain.
La multiplication des mandats onusiens affaiblis par l’ingérence des puissances régionales est un phénomène observé dans d’autres contextes. Le cas de la FINUL pourrait devenir emblématique de cette tendance : celle d’une mission prise entre injonctions sécuritaires, pression diplomatique et crise de légitimité.