Les déclarations du président du Parlement Nabih Berri publiées dans une interview au média Asas Media constituent un jalon significatif dans le débat sur la stratégie du Hezbollah et l’avenir des armes détenues par la résistance chiite au Liban. En liant la question du désarmement à l’application stricte par Israël des termes du cessez-le-feu, Berri réaffirme la doctrine du rapport de force, tout en marquant une ouverture calculée à un dialogue national. Dans un paysage politique libanais marqué par la recomposition institutionnelle, la pression internationale et l’ombre de la guerre à Gaza, cette sortie réactive de nombreux équilibres.
Une condition non négociable : le respect par Israël des obligations du cessez-le-feu
Nabih Berri, en poste depuis 1992 à la tête du Parlement, a déclaré que les armes du Hezbollah ne seront pas remises avant qu’Israël ne remplisse pleinement ses engagements au titre de l’accord de cessez-le-feu. « Nous ne remettrons pas les armes maintenant, avant la mise en œuvre des termes demandés à l’ennemi », a-t-il affirmé. Cette position s’inscrit dans une logique conditionnelle ferme : tant que le Liban applique ses obligations et qu’Israël ne fait pas de même, aucun geste ne sera concédé unilatéralement.
Cette déclaration réactive les contours de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée en 2006, qui prévoit notamment la cessation des hostilités, le retrait israélien du territoire libanais occupé, et le déploiement de l’armée libanaise au sud du Litani. Si le Liban, selon Berri, a « accompli les deux points demandés de son côté », à savoir le déploiement de l’armée au sud et le retrait du Hezbollah, Israël n’aurait en revanche « ni cessé ses tirs, ni évacué les territoires libanais sous occupation ».
Des armes présentées comme levier stratégique et non comme menace
Le président du Parlement inscrit son argumentaire dans une vision où les armes du Hezbollah sont conçues comme un instrument diplomatique, non comme une fin militaire. « Nos armes sont nos cartes que nous ne lâcherons pas sans mise en œuvre réelle de l’accord de cessez-le-feu, et ensuite un dialogue sur leur sort », déclare-t-il. Cette formulation, à la fois défensive et tactique, vise à présenter le maintien des armes comme un outil de pression légitime tant que l’autre partie n’a pas rempli ses engagements.
Cette approche, déjà observée dans d’autres discours du mouvement Amal dont Berri est le chef, vise à dissocier le débat interne sur le désarmement de toute forme de soumission à une pression extérieure. Elle ancre la discussion dans une temporalité conditionnelle, où le désarmement ne peut être abordé qu’après un retour de l’État israélien dans le cadre du droit international.
Soutien à un dialogue national, mais cadré par la souveraineté
Dans ses déclarations, Berri affirme également son soutien à l’ouverture d’un dialogue entre le président de la République Joseph Aoun et le Hezbollah, soulignant qu’« il est aussi important de faire pression sur l’ennemi pour qu’il respecte les obligations du cessez-le-feu ». Cette ouverture, prudente, s’inscrit dans une dynamique d’apaisement intérieur après plusieurs semaines de tension autour de la réforme de la loi électorale à Beyrouth et du débat sur le rôle des formations armées.
Le dialogue national, tel que suggéré par Berri, ne serait pas une concession mais un cadre structuré dans lequel la souveraineté libanaise et l’unité des fronts internes priment. Il ne s’agit donc pas d’un processus de désarmement accéléré, mais d’une tentative de reprise de la parole politique sur un dossier dominé jusqu’ici par l’urgence sécuritaire.
Une position qui résonne dans un contexte régional inflammable
La déclaration de Berri intervient alors que les tensions militaires persistent à la frontière sud du Liban, avec des échanges réguliers de tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienne. Si le front n’a pas connu d’escalade majeure ces dernières semaines, plusieurs frappes ont été signalées, notamment dans les secteurs de Khiam, Rmeish et Marjayoun. La situation à Gaza, toujours marquée par les bombardements israéliens, alimente le climat de confrontation indirecte entre Tel-Aviv et Téhéran, dont le Liban constitue un espace d’expression secondaire.
Dans ce contexte, l’idée de céder les armes en pleine incertitude stratégique apparaît comme un renoncement que le camp de Berri refuse d’envisager. La rhétorique du président du Parlement peut ainsi être lue comme une réponse à ceux, au Liban ou à l’étranger, qui appellent à un désarmement progressif dans le cadre d’une restructuration de l’autorité étatique.
Responsabilisation de Washington dans le blocage actuel
Berri désigne clairement les États-Unis comme coresponsables de l’absence de progrès sur le terrain. Il affirme que « cela relève de la responsabilité des Américains » si Israël n’a pas rempli ses obligations. Cette accusation directe vise à rappeler que les négociations indirectes sur la trêve, comme celles sur la délimitation maritime en 2022, ont toujours impliqué Washington comme arbitre, et que son poids diplomatique pourrait être décisif s’il était mobilisé dans le bon sens.
En accusant les États-Unis d’inaction ou de partialité, Berri s’adresse aussi à la communauté internationale, en soulignant que la pression doit être exercée sur les deux parties, et pas uniquement sur le Hezbollah. Il suggère ainsi un rééquilibrage de la médiation diplomatique, qui ferait peser un coût politique sur l’État israélien pour toute violation des engagements signés.
Une déclaration qui interpelle le calendrier politique intérieur
Enfin, cette prise de position arrive à un moment charnière du calendrier politique libanais. La tenue des élections municipales, les débats sur la réforme du scrutin à Beyrouth, et les tensions intercommunautaires alimentent un climat d’instabilité politique. Dans ce contexte, la déclaration de Berri cherche à affirmer une position de fermeté, mais aussi de cohérence stratégique.
En repositionnant le débat sur le désarmement dans un cadre de négociation globale, Berri tente de désamorcer une opposition frontale entre institutions étatiques et acteurs armés. Il réinscrit la problématique des armes dans un discours de souveraineté négociée, en phase avec la logique des équilibres politiques libanais, mais potentiellement en décalage avec les attentes des partenaires occidentaux ou des segments de l’opinion publique.