Les derniers articles

Articles liés

Washington, Tel-Aviv et Beyrouth : incompréhensions diplomatiques ?

- Advertisement -

Les frappes israéliennes sur la banlieue sud de Beyrouth, survenues hier, vendredi 28 mars, ont replongé le Liban et Israël dans une confrontation directe, quatre mois après la signature d’un cessez-le-feu fragile le 27 novembre 2024. Cet accord, négocié sous l’égide des États-Unis et de la France, devait mettre fin à plus d’un an de violences transfrontalières déclenchées par le Hezbollah en soutien au Hamas après l’attaque du 7 octobre 2023. Pourtant, les roquettes tirées depuis le Liban vers le nord d’Israël ces derniers jours – dont deux le 28 mars – ont ravivé les hostilités, entraînant une réponse militaire israélienne immédiate. Dans ce contexte, les États-Unis, acteur clé de la diplomatie régionale, affichent une position ambivalente : un soutien ferme à Israël, tempéré par des appels à la retenue qui peinent à convaincre. Alors que Washington défend le « droit d’Israël à se défendre », les incompréhensions diplomatiques entre la Maison-Blanche, Tel-Aviv et Beyrouth s’intensifient, révélant les limites d’une stratégie américaine tiraillée entre ses alliances et ses responsabilités internationales.

Une trêve brisée : le 28 mars comme tournant

L’attaque israélienne sur Dahieh, bastion du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, a marqué un tournant. Vers 14h30 hier, après un avertissement d’évacuation diffusé par le porte-parole militaire israélien Avichay Adraee, des missiles ont détruit deux immeubles, tuant cinq personnes et en blessant 18, selon l’Agence nationale d’information libanaise (ANI). Israël a justifié cette frappe comme une réponse à deux roquettes tirées depuis le sud du Liban le matin même, visant le nord de son territoire. L’une a été interceptée près de Kiryat Shmona, l’autre est retombée en sol libanais. Le Hezbollah a nié toute implication, une position corroborée par le président libanais Joseph Aoun, qui a déclaré depuis Paris : « Tout indique que ce n’est pas le Hezbollah. » Malgré cela, Israël a frappé, arguant d’une menace persistante.

Cet événement n’est pas isolé. Le 22 mars, un incident similaire – des roquettes non revendiquées – avait déjà suscité des bombardements israéliens dans le sud du Liban, sans toutefois atteindre Beyrouth. Hier, l’escalade a franchi un seuil symbolique : c’est la première fois depuis novembre 2024 que la capitale libanaise est directement visée. Pour Beyrouth, cette frappe viole l’accord de cessez-le-feu, qui stipulait un retrait israélien du sud du Liban, le déploiement de l’armée libanaise et de la FINUL, et l’arrêt des hostilités. Le Premier ministre Najib Mikati a dénoncé une « agression » et appelé à une enquête sur l’origine des tirs, tandis que le Liban accuse Israël d’exploiter ces incidents pour maintenir une pression militaire.

Washington entre soutien et retenue

Les États-Unis, architectes principaux de la trêve de novembre, ont réagi rapidement. Tammy Bruce, porte-parole du Département d’État, a affirmé hier : « Les attaques sont dues à des terroristes tirant des roquettes depuis le Liban vers Israël. Cela viole le cessez-le-feu. Le gouvernement libanais doit désarmer le Hezbollah, comme prévu dans l’accord. » Morgan Ortagus, envoyée spéciale adjointe pour le Moyen-Orient, a renchéri sur Al-Arabiya : « Israël a le droit de se défendre face à cette violation venue du Liban. » Ces déclarations traduisent une ligne claire : Washington soutient la position israélienne, imputant la responsabilité première au Liban et au Hezbollah.

Pourtant, cette fermeté est nuancée par des appels à la modération. Ortagus a ajouté : « Nous ne voulons pas d’un conflit plus large entre le Liban et Israël. » Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Depuis novembre, les États-Unis ont oscillé entre un appui inconditionnel à Tel-Aviv – illustré par leur veto à une résolution de l’ONU condamnant Israël en décembre 2024 – et des exhortations à éviter l’escalade. En janvier 2025, le secrétaire d’État Antony Blinken avait promis 200 millions de dollars d’aide humanitaire au Liban, tout en maintenant des sanctions contre des réseaux financiers liés au Hezbollah, comme celles annoncées le 28 mars contre cinq individus et trois entreprises. Cette double posture – soutien militaire à Israël et aide symbolique au Liban – reflète une diplomatie prudente, mais brouille le message américain.

Les contradictions de la diplomatie américaine

Cette ambivalence soulève des questions sur la cohérence de Washington. L’accord de novembre reposait sur la résolution 1710 de l’ONU (2006), qui exige le désarmement des milices au Liban, notamment le Hezbollah, et limite les forces dans le sud à l’armée libanaise et à la FINUL. En tant que médiateur, les États-Unis ont une obligation implicite de garantir son respect par toutes les parties. Or, en défendant sans réserve les frappes israéliennes, Washington semble fermer les yeux sur les violations d’Israël, qui maintient cinq positions dans le sud du Liban malgré l’accord et multiplie les opérations ciblées – plus de 800 depuis novembre, selon Beyrouth.

Cette partialité est critiquée au Liban. « Les États-Unis parlent de paix mais légitiment l’agression israélienne », a déclaré hier un haut fonctionnaire libanais à Al-Akhbar, sous couvert d’anonymat. L’absence de condamnation explicite des frappes sur Dahieh, contrastant avec les appels à désarmer le Hezbollah, renforce ce sentiment. À l’inverse, des analystes américains défendent cette approche. « Washington doit jongler entre son alliance stratégique avec Israël et la nécessité de stabiliser le Liban, un pays au bord de l’effondrement », explique Michael O’Hanlon, de la Brookings Institution. Mais cette stratégie laisse un vide que d’autres acteurs, comme la France, tentent de combler.

Morgan Ortagus : une voix controversée

Au cœur de cette diplomatie, Morgan Ortagus incarne les tensions américaines. Ancienne porte-parole du Département d’État sous Donald Trump, elle a repris du service comme envoyée spéciale adjointe en 2024, sous l’administration Biden. Sa déclaration du 28 mars – « Israël a le droit de se défendre » – a cristallisé les critiques. Pour ses détracteurs, elle reflète une vision biaisée, ignorant les obligations d’Israël sous la résolution 1701, qui interdit les opérations offensives au Liban. « Ortagus répète une ligne pro-israélienne sans nuance, au mépris du rôle de médiateur des États-Unis », note Randa Slim, du Middle East Institute.

Son passé ajoute à la controverse. Proche des cercles néoconservateurs, Ortagus a souvent défendu une politique de « pression maximale » contre l’Iran et ses alliés, dont le Hezbollah. En février 2025, elle avait qualifié le groupe de « menace existentielle » pour Israël et le Liban, plaidant pour un renforcement des sanctions. Cette rhétorique, alignée sur celle de Tel-Aviv, contraste avec les appels à la désescalade de Blinken ou de l’ambassadeur américain à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield. « Elle parle comme une lobbyiste d’Israël, pas comme une diplomate », tacle un ancien fonctionnaire libanais, reflétant une frustration croissante à Beyrouth.

Tel-Aviv : une autonomie assumée

Face à ces signaux mixtes, Israël agit avec une autonomie croissante. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré hier : « Nous frapperons partout au Liban contre toute menace. L’équation a changé. » Cette posture s’inscrit dans une doctrine de dissuasion renforcée depuis novembre 2024, visant à empêcher le Hezbollah de se réarmer. Les frappes sur Dahieh, comme celles sur la Bekaa en février, visent à envoyer un message : toute provocation, même non revendiquée, sera punie. « Il semble que le Hezbollah ne comprend toujours pas la leçon », a tweeté Avichay Adraee, illustrant une communication militaire qui légitime l’usage de la force.

Washington, bien que pilier de l’aide militaire israélienne – 3,8 milliards de dollars annuels –, semble avoir peu d’emprise sur cette stratégie. « Les États-Unis donnent à Israël un chèque en blanc, puis demandent la retenue en public », ironise Emile Hokayem, de l’International Institute for Strategic Studies. Cette dissonance est palpable depuis novembre : malgré les pressions américaines pour un retrait complet du sud du Liban, Israël conserve des positions stratégiques, arguant de failles dans le déploiement de l’armée libanaise.

Beyrouth : entre impuissance et indignation

Pour le Liban, cette dynamique est un cauchemar. Économiquement exsangue, avec un million de déplacés depuis 2023, le pays n’a ni les moyens ni l’unité politique pour contrer les violations israéliennes ou répondre aux exigences américaines. L’armée libanaise, forte de 80 000 hommes mais sous-équipée, peine à s’imposer face au Hezbollah, dont l’influence reste intacte malgré les pertes subies. « Désarmer le Hezbollah sous les bombes est une chimère », a déclaré hier un officier à Al-Jadeed, soulignant l’impasse.

L’indignation libanaise vise autant Israël que Washington. « Les États-Unis nous demandent l’impossible tout en excusant les frappes », a fustigé Mikati, appelant à une médiation internationale plus équilibrée. La plainte déposée à l’ONU en décembre 2024, listant 800 violations israéliennes, n’a reçu qu’un écho limité, les veto américains bloquant toute condamnation. Cette perception d’un « deux poids, deux mesures » alimente un ressentiment profond, tandis que les sanctions du 28 mars contre des proches du Hezbollah sont vues comme une punition collective.

La résolution 1701 : un cadre en crise

Au cœur de ces incompréhensions, la résolution 1701, adoptée en 2006 pour mettre fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah, est à la fois une référence et un point de fracture. Elle impose le désarmement des milices, un monopole de l’État libanais sur la force armée et un rôle de supervision à la FINUL. Mais son application reste un échec : le Hezbollah conserve ses armes, Israël maintient une présence au sud, et la FINUL, avec 10 000 Casques bleus, est souvent impuissante face aux violations des deux côtés.

Washington insiste sur le désarmement du Hezbollah comme préalable à la paix, mais n’exerce pas de pression équivalente sur Israël pour respecter ses engagements. « La résolution 1701 est invoquée comme un mantra, sans volonté réelle de l’appliquer intégralement », déplore un diplomate onusien basé à Beyrouth. Cette asymétrie fragilise la crédibilité américaine, d’autant que les frappes israéliennes, comme celle d’hier, contreviennent à l’esprit de l’accord de novembre, qui s’appuyait sur ce texte.

Une médiation française en contrepoint

Face à ce vide, la France tente de s’imposer comme contrepoids. Hier, Emmanuel Macron a qualifié les frappes sur Beyrouth d’« inacceptables » et promis des discussions avec Donald Trump et Netanyahu pour rétablir la trêve. Cette position s’inscrit dans une tradition de soutien au Liban, mais son influence reste limitée. « La France parle fort, mais n’a pas les leviers de Washington », note Hokayem. L’annonce d’un renforcement du contingent français dans la FINUL – 700 soldats actuellement – illustre cette volonté, mais sans garantie d’impact.

Vers une escalade incontrôlée ?

Les incompréhensions entre Washington, Tel-Aviv et Beyrouth menacent de transformer une trêve fragile en conflit ouvert. Si les États-Unis continuent de soutenir Israël tout en prônant la retenue, leur crédibilité comme médiateur s’érode. Israël, fort de cet appui, poursuit une stratégie de dissuasion qui risque de radicaliser le Hezbollah ou d’entraîner des acteurs tiers. Le Liban, quant à lui, reste un champ de bataille par procuration, incapable de s’extraire de cette spirale. Hier, alors que les fumées s’élevaient encore de Dahieh, un habitant résumait l’amertume locale : « On nous parle de paix, mais on ne voit que des bombes. Où est l’Amérique dans tout ça ? »

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.