Hier, vendredi 28 mars, la banlieue sud de Beyrouth a été secouée par une frappe aérienne israélienne qui a rasé deux immeubles dans le quartier de Dahieh, tuant cinq personnes et en blessant 18, selon l’Agence nationale d’information libanaise (ANI). Ce bombardement, le premier sur la capitale depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu du 27 novembre 2024, a été déclenché par le tir de deux roquettes depuis le sud du Liban vers le nord d’Israël dans la matinée. Alors qu’Israël promet de « faire respecter » la trêve par la force, le Liban dénonce une violation manifeste de l’accord, ajoutant une nouvelle page à un historique de tensions qui menace de faire basculer la région dans un conflit ouvert.
Une frappe qui brise le silence à Beyrouth
Vers 14h30 hier, des sirènes ont retenti dans Dahieh, suivies d’un appel à l’évacuation diffusé par l’armée israélienne via des haut-parleurs et des messages sur les réseaux sociaux. Quelques minutes plus tard, des missiles ont frappé deux immeubles résidentiels, les réduisant en un amas de décombres fumants. L’armée israélienne a revendiqué avoir ciblé un « dépôt de drones » appartenant au Hezbollah, une affirmation que le groupe chiite a niée, tout comme il a rejeté toute responsabilité dans les tirs de roquettes survenus plus tôt dans la journée. Les secours libanais, épaulés par la Croix-Rouge, ont travaillé jusque tard dans la nuit pour extraire les victimes des gravats, tandis que des habitants hagards erraient dans les rues, certains pleurant leurs proches disparus.
L’ANI a rapporté que parmi les victimes figuraient deux enfants, une femme enceinte et deux hommes, tous résidents des immeubles touchés. Dix-huit autres personnes ont été blessées, dont plusieurs grièvement, selon le ministère de la Santé. Des vidéos circulant sur X montrent des immeubles éventrés, des flammes s’élevant des débris et des cris de détresse résonnant dans le quartier densément peuplé, connu comme un fief du Hezbollah. Ce raid marque une rupture significative : c’est la première fois depuis la fin officielle de la guerre de septembre-novembre 2024 que Beyrouth est directement visée, ravivant les souvenirs douloureux d’un conflit qui a coûté la vie à près de 4 000 personnes et déplacé plus d’un million de Libanais.
Le point de vue libanais : une violation de trop
Pour les autorités libanaises, cette frappe n’est que le dernier épisode d’une série de violations israéliennes qui érodent la trêve depuis son entrée en vigueur. « Israël ne respecte ni la lettre ni l’esprit de l’accord », a déclaré le Premier ministre Najib Mikati lors d’une allocution télévisée hier soir, appelant la communauté internationale à « mettre fin à cette agression continue ». Selon lui, le Liban a recensé 45 violations israéliennes rien que le 28 mars, incluant des survols de drones à basse altitude au-dessus de Beyrouth, Tyr et Saïda, ainsi que des tirs d’artillerie près de la frontière sud. Depuis novembre, plus de 800 infractions ont été documentées, détaillées dans une plainte déposée le 24 décembre 2024 auprès du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le ministère libanais des Affaires étrangères a qualifié le bombardement de Dahieh d’« acte de guerre » et d’« atteinte délibérée à la souveraineté nationale ». Dans un communiqué, il a accusé Israël de chercher à « provoquer une escalade » pour justifier une reprise des hostilités, pointant du doigt le timing de l’attaque, survenue à peine cinq jours après un précédent tir de roquettes le 22 mars, également non revendiqué par le Hezbollah. « Nous sommes pris en otage entre les roquettes anonymes et la réponse disproportionnée d’Israël », a déploré un porte-parole du ministère, sous couvert d’anonymat.
Un cessez-le-feu miné dès ses débuts
L’accord de cessez-le-feu, signé le 27 novembre 2024 sous la médiation des États-Unis et de la France, visait à mettre fin à 14 mois de guerre entre Israël et le Hezbollah, déclenchée après les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas contre Israël. Il prévoyait un retrait total des forces israéliennes du sud du Liban sous 60 jours, le déploiement de l’armée libanaise et de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) dans la région, et la cessation de toutes hostilités. Pourtant, dès le lendemain, le 28 novembre, l’armée libanaise a signalé des tirs de blindés israéliens près de Kfar Kila, suivis d’une frappe sur une maison dans le village de Markaba, tuant deux civils.
Le 1er décembre, une opération israélienne près de la frontière syrienne a visé un convoi présumé du Hezbollah, tuant trois personnes, dont un enfant, selon des témoins interrogés par Reuters. Le 26 décembre, la FINUL a dénoncé des « destructions systématiques » de villages dans le sud par des bulldozers et des explosifs israéliens, en violation de l’accord. Le 27 janvier 2025, un raid sur Bint Jbeil a coûté la vie à deux civils et blessé 17 autres alors qu’ils tentaient de rentrer chez eux, profitant d’une extension de la trêve jusqu’au 18 février. Le 8 février, six personnes ont péri dans une frappe sur la Bekaa, et le 17 mars, une attaque près de Nabatiyé a tué deux hommes sur une mobylette, accusés par Israël d’être des « opérateurs de drones » du Hezbollah.
Les opérations d’élimination : une guerre dans l’ombre
Au-delà des frappes visibles, Israël a poursuivi une campagne d’éliminations ciblées contre des figures supposées du Hezbollah, même après le cessez-le-feu. Le 30 novembre 2024, un drone a visé un véhicule à Majdal Zoun, blessant trois personnes, dont un enfant de 8 ans. Le 15 décembre, une frappe dans la banlieue sud de Beyrouth a tué un commandant présumé du Hezbollah, bien que l’attaque n’ait pas été officiellement revendiquée. Le 3 janvier 2025, un raid près de Tyr a éliminé deux combattants, selon Tsahal, qui a justifié ces opérations comme des « mesures préventives » contre des menaces imminentes. Ces actions, souvent précédées d’appels à l’évacuation, sont perçues au Liban comme une tentative de maintenir une pression militaire constante, sapant les efforts de stabilisation.
« Comment pouvons-nous désarmer le Hezbollah alors qu’Israël bombarde nos villes ? » s’est interrogé hier un officier supérieur de l’armée libanaise, s’exprimant sous couvert d’anonymat lors d’une interview avec la chaîne Al-Jadeed. Cette question reflète l’impuissance ressentie à Beyrouth face aux exigences américaines et israéliennes de démanteler le bras armé du Hezbollah, une tâche que l’armée libanaise, sous-financée et affaiblie par des années de crise économique, est incapable d’accomplir seule.
La position israélienne : une détermination affichée
De son côté, Israël justifie ses actions comme une réponse nécessaire aux violations du cessez-le-feu par des « groupes armés » au Liban. Hier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a salué la frappe sur Dahieh comme une démonstration de la « détermination » israélienne à « changer l’équation » dans la région. « Ceux qui n’ont pas encore compris la nouvelle réalité au Liban en ont eu un nouvel exemple aujourd’hui », a-t-il déclaré dans une allocution télévisée, ajoutant : « Nous ne permettrons pas que nos communautés soient visées. Nous continuerons à appliquer vigoureusement le cessez-le-feu, à frapper partout au Liban contre toute menace, et à ramener nos résidents du nord en sécurité. »
Le ministre de la Défense Israel Katz a été encore plus explicite dans une vidéo diffusée hier après-midi : « Comme je l’ai dit, le sort de Kiryat Shmona est lié à celui de Beyrouth. S’il n’y a pas de calme dans le nord d’Israël, il n’y en aura pas dans la capitale libanaise. Pour toute tentative de nuire à nos communautés, les toits de Dahieh trembleront. » Katz a également averti le gouvernement libanais : « Si vous ne faites pas respecter l’accord, nous le ferons. » Ces menaces interviennent alors que Tsahal maintient cinq positions stratégiques dans le sud du Liban, malgré l’obligation de retrait prévue pour le 26 janvier 2025, un point dénoncé par la FINUL et l’ONU.
Le rôle des États-Unis : soutien à Israël et sanctions
Les États-Unis, principaux artisans de l’accord de novembre, ont réaffirmé leur soutien à Israël hier. Tammy Bruce, porte-parole du Département d’État, a déclaré lors d’une conférence de presse : « Les attaques sont survenues parce que des terroristes ont tiré des roquettes depuis le Liban vers Israël. C’est une violation claire de la cessation des hostilités. Le gouvernement libanais doit désarmer le Hezbollah, comme stipulé dans l’accord, et nous attendons de l’armée libanaise qu’elle agisse pour empêcher de nouvelles hostilités. » Morgan Ortagus, envoyée spéciale adjointe pour le Moyen-Orient, a ajouté sur Al-Arabiya que « Israël avait le droit de répondre » à l’incident du 28 mars, tout en appelant à éviter une « escalade majeure ».
Parallèlement, Washington a annoncé hier des sanctions contre un « réseau d’évasion de sanctions » basé au Liban, accusé de financer le Hezbollah via des projets commerciaux et des circuits de contrebande de pétrole. Cinq individus et trois entreprises, dont des proches de cadres du Hezbollah, ont été désignés dans cette mesure, qui s’inscrit dans une politique de « pression maximale » contre l’Iran et ses alliés, selon un communiqué du Département d’État. « Le Hezbollah ne peut pas continuer à tenir le Liban en otage », a conclu le texte, promettant de « soutenir le peuple libanais » en exposant ces réseaux financiers.
Une population libanaise à bout
Pour les habitants du Liban, déjà épuisés par des années de crise économique, de corruption et de guerre, cette nouvelle escalade est un coup dur. Dans le sud, où plus d’un million de personnes ont été déplacées entre 2023 et 2024, le retour chez soi reste un rêve lointain. « On nous avait promis la paix, mais chaque jour apporte une nouvelle frappe », témoigne Hassan, un agriculteur de Khiam, interrogé par l’AFP hier. À Beyrouth, les habitants de Dahieh, habitués aux bombardements pendant la guerre, ont vu leurs espoirs d’un répit s’effondrer. « Mes enfants dorment à peine, ils sursautent au moindre bruit », confie Fatima, une mère de famille de 34 ans, devant les ruines de son immeuble.
Les ONG locales, comme le Comité international de la Croix-Rouge, ont signalé une augmentation des besoins humanitaires, avec des milliers de familles sans abri après les destructions récentes. La crise économique, aggravée par l’effondrement de la livre libanaise et une inflation galopante, rend la reconstruction quasi impossible. « Le Liban est un pays brisé, et ces violations ne font qu’empirer les choses », a alerté hier le directeur de Human Rights Watch au Moyen-Orient, lors d’une interview avec France 24.
Vers une rupture définitive de la trêve ?
Alors que les roquettes tirées depuis le Liban – dont l’origine reste incertaine – servent de prétexte à des frappes israéliennes de plus en plus audacieuses, le cessez-le-feu semble au bord de l’effondrement. Le Hezbollah, bien que diminué par la guerre, conserve une influence significative et rejette toute responsabilité dans les incidents récents, suggérant des provocations de tiers ou des milices indépendantes. Cette ambiguïté complique la tâche de l’armée libanaise, qui tente, avec des moyens limités, de contrôler une frontière poreuse face à un ennemi déterminé.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a appelé hier soir à une « désescalade immédiate » et à un « respect strict » de la résolution 1701, qui sous-tend l’accord de novembre. Mais avec des positions israéliennes toujours présentes au sud, des menaces de représailles massives et un Hezbollah sous pression, le Liban se prépare à un avenir incertain. « Nous voulons la paix, mais pas au prix de notre dignité », a résumé un habitant de Dahieh, reflétant un sentiment largement partagé dans un pays au bord du précipice.