Le Liban, ravagé par des mois de conflit, refuse d’accepter une aide internationale pour sa reconstruction si celle-ci est assortie de conditions politiques ou militaires, notamment le désarmement du Hezbollah. C’est ce qu’a déclaré le président du Parlement, Nabih Berri, dans une interview au journal ad-Diyar publiée ce mardi 4 mars 2025. Leader du mouvement Amal et allié historique du Hezbollah, Berri a insisté sur la priorité nationale de la reconstruction, tout en soulignant que le pays cherche un soutien mondial sans compromettre sa souveraineté ni ses principes fondamentaux. Ces propos interviennent alors que le président Joseph Aoun achève une visite en Arabie saoudite, marquée par des discussions sur le retrait israélien du sud du Liban et le monopole des armes par l’État.
Reconstruction : une affaire de souveraineté
Pour Nabih Berri, la reconstruction du Liban, dont les dommages sont estimés à plus de 8,5 milliards de dollars selon la Banque mondiale, ne peut se faire au prix de concessions imposées de l’extérieur. « Nous voulons une aide internationale, mais pas au détriment de nos droits souverains », a-t-il affirmé. Cette position reflète une méfiance envers les pressions occidentales, notamment américaines, qui lient souvent l’assistance financière au désarmement du Hezbollah, groupe armé dominant dans le sud et les banlieues sud de Beyrouth.
Le conflit de 2024 avec Israël a laissé des cicatrices profondes : plus de 3 900 morts, des dizaines de villages frontaliers détruits et environ 100 000 déplacés internes, selon les chiffres de l’ONU. Berri a appelé à une mobilisation nationale et internationale pour relever le pays, tout en rejetant toute tentative de lier cette aide à des exigences militaires ou politiques.
Une visite saoudienne aux enjeux multiples
Les déclarations de Berri font écho à la récente visite du président Joseph Aoun à Riyad, où il a rencontré le prince héritier Mohammed ben Salmane. Les deux pays ont réaffirmé dans un communiqué conjoint que les troupes israéliennes doivent quitter le sud du Liban et que seules les forces étatiques libanaises devraient détenir des armes. Cette convergence intervient alors que le cessez-le-feu de novembre 2024, négocié par les États-Unis, reste fragile, avec des violations persistantes signalées de part et d’autre.
Berri a salué cette entente, exprimant son espoir que le nouveau gouvernement libanais, formé en février 2025 sous la direction du Premier ministre Nawaf Salam, parvienne à restaurer des relations solides avec l’Arabie saoudite. « Le royaume a toujours soutenu le Liban », a-t-il rappelé, évoquant un passé d’aides économiques et humanitaires. Une amélioration de ces liens pourrait stimuler l’économie libanaise, exsangue après des années de crise et de guerre.
Israël au sud : une occupation dénoncée
La présence israélienne au sud du Liban reste un point de friction majeur. Selon Berri, Israël ne se contente pas de maintenir cinq positions stratégiques le long de la frontière, comme convenu dans le cessez-le-feu, mais a établi une « zone tampon » s’étendant sur un à deux kilomètres en territoire libanais. « Ce n’est pas juste une occupation des collines, c’est une violation claire de notre souveraineté », a-t-il dénoncé, appelant à une position libanaise unifiée et à une pression internationale pour contraindre Israël à se retirer totalement.
Le Parlementaire a également loué les récentes prises de position de Walid Jumblat, ex-leader du Parti socialiste progressiste (PSP), qui a réaffirmé son soutien à la résistance et son rejet de l’occupation israélienne. Dimanche, Jumblat a annoncé son intention de se rendre prochainement en Syrie pour rencontrer le dirigeant intérimaire, dans un contexte de tensions croissantes entre la communauté druze minoritaire, le gouvernement transitoire syrien et Israël. « Les Syriens libres doivent se méfier des complots israéliens », a-t-il averti.
Désarmement du Hezbollah : une ligne rouge
Le refus de Berri d’accepter le désarmement du Hezbollah comme condition à l’aide internationale reflète une réalité politique complexe. Le groupe, bien qu’affaibli par la guerre de 2024 – avec la perte de son chef Hassan Nasrallah et d’une partie de son arsenal –, conserve une influence significative. Le cessez-le-feu exigeait son retrait au nord du fleuve Litani, mais des rapports indiquent que ses combattants restent actifs près de la frontière, défiant les termes de l’accord.
Israël, de son côté, continue d’accuser le Hezbollah de violations, justifiant des frappes sporadiques. Berri, tout en prônant l’unité nationale, n’a pas commenté directement ces allégations, mais son rejet des conditions extérieures laisse entendre une défense implicite du rôle du Hezbollah comme force de résistance face à l’occupation.
Un défi pour le nouveau gouvernement
Le gouvernement Salam, soutenu par une coalition incluant des alliés du Hezbollah comme Amal, fait face à un double défi : obtenir une aide internationale substantielle et répondre aux exigences de souveraineté énoncées par Berri. La reconstruction, combinée à la crise bancaire et économique en cours, nécessitera des milliards de dollars, mais les donateurs potentiels – États-Unis, France, pays du Golfe – pourraient conditionner leur soutien à des réformes, y compris sur la question des armes.
Pour Berri, la solution réside dans une approche nationale, appuyée par des partenaires comme l’Arabie saoudite, sans céder aux pressions extérieures. Reste à voir si cette stratégie pourra concilier les impératifs de reconstruction avec les réalités géopolitiques d’un Liban toujours au cœur des tensions régionales.