Ah, l’élégance diplomatique version F-16 ! Il faut reconnaître qu’Israël a le sens du geste symbolique. Alors que le Liban pleure Hassan Nasrallah, l’ennemi public numéro un de l’État hébreu, Tel-Aviv a décidé de rendre un hommage à sa manière : avec le doux vrombissement de ses avions de chasse au-dessus de Beyrouth. Rien de tel pour sublimer une cérémonie funéraire déjà solennelle. Une standing ovation supersonique, en quelque sorte.
On imagine sans peine l’émotion de la foule lorsque les chasseurs israéliens sont venus saluer la mémoire du Secrétaire général du Hezbollah. Les larmes, les slogans, les cris… Le tout sous une bande-son fournie gracieusement par l’armée de l’air israélienne. Une BO explosive, un peu comme les relations entre les deux camps depuis plusieurs décennies. À ce rythme, on attend presque le lâcher de confettis et les feux d’artifice.
Un hommage appuyé… au sens propre
Le ministre de la Défense israélien, avec un sens de la nuance digne d’un bulldozer dans un magasin de porcelaine, a déclaré que ces manœuvres aériennes visaient à envoyer un « message clair » au Hezbollah. Message reçu cinq sur cinq : une présence israélienne au-dessus de Beyrouth au moment où des milliers de partisans en deuil se rassemblent pour hurler leur rage, ce n’est pas ce qu’on appelle un service d’ordre discret.
On aurait pu s’attendre à un silence pesant, une angoisse dans la foule, mais non. Surprise ! Au lieu de semer la panique, les vrombissements des avions ont galvanisé la ferveur populaire. Plutôt que d’instiller la peur, les pilotes israéliens ont, involontairement, offert une bande-son héroïque aux slogans enflammés. Pas sûr que cela figurait dans le plan initial. Dommage, une occasion manquée pour le manuel de la dissuasion militaire.
La com’ façon Icare
Stratégiquement, Israël voulait faire une démonstration de force, façon Zeus lançant ses éclairs. Mais en réalité, ce fut une opération de communication bien maladroite. À force de vouloir faire trembler les murs, on leur a donné un rythme de fanfare.
La scène est presque absurde : d’un côté, des milliers de militants brandissent des drapeaux et scandent des slogans hostiles ; de l’autre, des avions israéliens leur survolent la tête en guise d’ultime provocation. C’est un peu comme si votre pire ennemi s’invitait à votre enterrement et, au lieu de pleurer en silence, déclenchait un feu d’artifice au-dessus du cercueil. Avec musique militaire en prime.
Une parade aérienne en guise d’hommage
Avec un tel spectacle, on était plus proche d’une parade aérienne que d’un avertissement militaire. Une grande fresque patriotique dans le ciel de Beyrouth, un hommage bruyant, tonitruant, spectaculaire. Comme un ultime salut, que cela plaise ou non.
En agissant ainsi, Israël confirme indirectement l’importance de Nasrallah. Car enfin, mobiliser des avions, perturber l’espace aérien libanais et marquer bruyamment le coup… tout cela pour un homme censé n’être qu’un « terroriste » ? Il n’y a qu’à voir l’ampleur de la mise en scène pour comprendre que l’homme qu’il prétendait vouloir effacer est devenu, paradoxalement, central dans sa propre propagande. Preuve, s’il en fallait, que les ennemis forgent souvent la grandeur de leurs adversaires malgré eux.
Mais au final, qui est le grand perdant de cette démonstration de force ? Certainement pas le Hezbollah, qui voit son aura renforcée par l’« hommage » inattendu de son ennemi juré. Ni même Israël, qui, malgré la maladresse du geste, reste maître de son ciel. Non, le véritable perdant est bien l’État libanais. Car cette scène absurde a surtout mis en lumière l’incapacité flagrante du Liban à faire respecter sa propre souveraineté. Aux yeux et à la barbe de tous, l’accord de cessez-le-feu garantissant le respect de son espace aérien a été piétiné sous le rugissement des moteurs israéliens. Un rappel brutal que, pour beaucoup, le Liban ressemble de plus en plus à un spectateur impuissant sur son propre territoire.
Ce n’est pas la première fois qu’un ennemi, voulant marquer sa suprématie, accorde sans le vouloir une forme de reconnaissance à son adversaire. On se souvient du salut militaire du général Patton à Erwin Rommel, qu’il respectait en stratège redoutable. Napoléon, l’ennemi juré des Britanniques, eut droit à des funérailles grandioses en 1840 après des années d’exil. Même le maréchal Montgomery n’a jamais hésité à reconnaître l’intelligence tactique de son rival allemand.
Finalement, la démonstration de force israélienne s’apparente à ces moments où l’ennemi, dans sa volonté d’écraser, finit par sublimer celui qu’il voulait effacer. Nasrallah, dans la mort, semble plus vivant que jamais pour ses partisans. Et Israël, sans le vouloir, vient d’ajouter une page héroïque à son histoire. Ironique, non ?