Une mission diplomatique au cœur des tensions régionales
Le 6 mai 2025, Jeanine Hennis-Plasschaert, Coordinatrice spéciale des Nations Unies pour le Liban, a entamé une visite officielle en Arabie saoudite. Cette initiative s’inscrit dans une série de consultations régionales et internationales destinées à réaffirmer le rôle central de l’État libanais, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en 2006. Cette visite intervient à un moment crucial où le Liban tente de stabiliser ses institutions après des années d’impasse politique et de crise économique profonde.
L’objectif affiché par la diplomate néerlandaise est clair : obtenir un soutien coordonné des puissances régionales en faveur de la souveraineté libanaise, du renforcement des institutions de l’État et du respect des engagements internationaux, notamment en matière de désescalade à la frontière sud.
Le contexte libanais : un pays en quête de stabilité
Le Liban sort tout juste d’une vacance présidentielle de plus de deux ans, qui a pris fin avec l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République. Cette avancée institutionnelle a été saluée par la communauté internationale, bien que le pays demeure confronté à une série de défis critiques.
Parmi eux :
- une économie en déroute, avec une livre libanaise ayant perdu plus de 95 % de sa valeur depuis 2019 ;
- un système bancaire paralysé ;
- des tensions sociales exacerbées par une pauvreté galopante (plus de 80 % de la population sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale¹) ;
- et une frontière sud sous haute tension depuis les incidents armés récurrents entre Israël et le Hezbollah.
Dans ce climat incertain, la communauté internationale, menée par l’ONU, tente de jouer un rôle de stabilisation en incitant les acteurs libanais à des réformes structurelles tout en sollicitant le soutien des puissances régionales telles que l’Arabie saoudite, l’Iran, le Qatar ou encore la France.
L’Arabie saoudite, acteur central dans le dossier libanais
La visite de Jeanine Hennis-Plasschaert en Arabie saoudite souligne le rôle stratégique que Riyad continue de jouer dans le dossier libanais. Historiquement alliée des institutions libanaises et soutien financier majeur de l’armée libanaise, l’Arabie saoudite reste une puissance influente, bien qu’elle ait partiellement retiré son appui direct ces dernières années, dénonçant la mainmise croissante du Hezbollah sur les affaires politiques du pays.
Cependant, les récentes déclarations du ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, témoignent d’une volonté de « réengagement constructif », à condition que le Liban entreprenne des réformes crédibles et limite l’influence des groupes armés non étatiques.
La Coordinatrice spéciale de l’ONU a donc pour mission de rétablir un dialogue diplomatique à haut niveau, afin d’aligner les efforts saoudiens sur les objectifs des Nations Unies.
La résolution 1701 : pierre angulaire de la stabilité au Sud-Liban
Adoptée à la suite de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, la résolution 1701 impose un cessez-le-feu, le déploiement de l’armée libanaise dans le sud du pays aux côtés de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban), ainsi qu’un embargo sur les armes à destination de groupes non étatiques.
Sa mise en œuvre reste toutefois incomplète, et la ligne bleue entre Israël et le Liban reste le théâtre de tensions récurrentes. La Coordinatrice spéciale plaide donc pour une relance du dialogue autour de cette résolution, condition sine qua non pour une désescalade durable dans la région.
Objectifs de la visite et partenaires rencontrés
Au cours de son déplacement, Jeanine Hennis-Plasschaert a rencontré plusieurs hauts responsables saoudiens, dont :
- le ministre des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan ;
- le ministre d’État aux Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan ;
- ainsi que des représentants du Fonds saoudien pour le développement.
Les échanges ont porté sur : - la relance de l’aide humanitaire au Liban ;
- la coordination régionale en faveur d’une stabilité politique ;
- le soutien logistique à la FINUL ;
- et l’appui à un dialogue national libanais inclusif, sous l’égide des Nations Unies.
Ces discussions s’inscrivent dans un cadre plus large de coopération entre le bureau de la Coordinatrice spéciale et les pays du Golfe, y compris le Koweït, le Qatar et les Émirats arabes unis.
Une diplomatie de terrain et de persuasion
Depuis sa nomination en avril 2024, Jeanine Hennis-Plasschaert adopte une approche proactive : multiplication des visites diplomatiques, rencontres avec la société civile libanaise, appels à la retenue lancés aux belligérants dans le sud, soutien aux institutions légitimes du pays.
Sa démarche repose sur trois piliers :
- Renforcement de l’État libanais, notamment via le soutien à l’armée et à la justice ;
- Mise en œuvre effective des résolutions de l’ONU, à commencer par la 1701 ;
- Dialogue régional et international pour contenir les ingérences extérieures et soutenir les réformes.
Un contexte régional de plus en plus instable
La visite survient alors que plusieurs foyers de tension s’accumulent dans la région :
- la guerre à Gaza, qui continue de polariser les puissances arabes et occidentales ;
- la montée des tensions entre Israël et le Hezbollah ;
- le refroidissement des relations entre les États-Unis et certaines monarchies du Golfe ;
- l’offensive diplomatique de la Chine et de la Russie au Levant.
Dans ce contexte, l’ONU tente de jouer le rôle de modérateur. Mais son efficacité dépend du soutien qu’elle parvient à mobiliser auprès des puissances régionales — un des objectifs centraux de cette mission en Arabie saoudite.
Vers un nouveau cycle d’engagement international ?
Le succès de la visite en Arabie saoudite pourrait ouvrir la voie à une conférence de soutien multilatérale au Liban, évoquée à huis clos par plusieurs chancelleries, sur le modèle des conférences de Paris (CEDRE, 2018) ou de Rome II (2018 pour le soutien à l’armée).
Une telle initiative, si elle est portée par des pays-clés comme la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Qatar, pourrait constituer une bouffée d’oxygène diplomatique pour un pays à bout de souffle.