Photo credit the Lebanese newspaper Al Akhbar: “In Bas Riad the thief. Down with the reign of the Dollar ”. Banner of Lebanese demonstrators Thursday, October 24, 2019 scolding Riad Salameh, governor of the Bank of Lebanon.

Conformément aux craintes de certains observateurs, la Banque du Liban a refusé de communiquer au cabinet Alvarez & Marsal- en charge de mener un audit juricomptable de la banque centrale- certains documents que ce dernier avait demandés dans le cadre du procesus

La BdL justifie ce refus par le secret bancaire et certaines régulations locales, indiquent certaines sources au quotidien The Daily Star, alors que le ministre sortant des finances Ghazi Wazni avait assuré du contraire lors du lancement de la procédure. Ce dernier avait ainsi indiqué que le secret bancaire ne concernait que les dépôts de la Banque du Liban et non les réserves en or, les opérations d’ingénieries financières ou encore les réserves monétaires et les obligations détenues par l’établissement public.

Alvarez a officiellement demandé à la BDL de lui fournir près de 100 documents afin qu’il puisse mener son enquête préliminaire pour déterminer s’il y avait effectivement des irrégularités comptables suspectes. Le cabinet d’audit semblait être très contrarié par la réaction de la BDL et étudierait la possibilité de mettre fin au contrat avec le gouvernement pour la réalisation du premier audit médico-légal des comptes de la Banque centrale

Pour rappel, l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban vise à déterminer avec exactitude le montant des pertes financières de celle-ci. Il s’agit également d’une exigence de la part de la communauté internationale. Le gouvernement Hassan Diab avait d’abord envisagé d’embaucher la société Kroll pour mener cet audit mais sa proposition fût refusée par le mouvement Amal qui estimait que ce cabinet était lié à Israël. Finalement, Alvarez & Marsal sera choisi avec de nombreuses difficultés.

Riad Salamé protégé par Saad Hariri

Le rôle du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé est vivement critiqué, même s’il jouit aujourd’hui du soutien du premier ministre désigné Saad Hariri qui rappelait l’immunité dont Salamé bénéficie dans le cadre de ses fonctions. Certains audits confidentiels qui avaient été révélés faisaient état d’un déficit de 30 milliards de dollars fin 2018. Cette situation aurait été induite par les opérations d’ingénierie financière au bénéfice des banques privées. Riad Salamé est également accusé d’avoir maquillé ces pertes par l’abus de l’enregistrement de profits fiduciaires au cours des dernières années.

Le Président de la République Française, Emmanuel Macron, lui-même ancien banquier, avait ainsi jugé q’uil existait probablement de nombreuses anomalies qui avaient mené à la situation monétaire actuelle.

Face à ce refus, Alvarez & Marsal pourrait dénoncer le contrat le liant au gouvernement libanais début novembre et pourrait tout de même recevoir 200 000 USD d’indemnisation pour les procédures déjà effectuées comme stipulé dans le cadre du contrat.

Même si officiellement, Saad Hariri s’est prononcé en faveur de la poursuite de cet audit, certains observateurs craignent que ce dernier ne choisisse d’enterrer la procédure afin de protéger certains intérêts dont les siens, la famille Hariri possédant 10% des actions de l’ensemble des banques libanaises et ayant bénéficié, par conséquent, des mesures de la Banque du Liban en leurs faveurs.

Ils notent que cet audit pourrait constituer une preuve supplémentaire de l’implication de hauts dirigeants libanais dans différentes opérations de transfert financiers dont ils ont bénéficié au détriment de l’état avec la complicité de certaines banques locales. Par ailleurs, des détournements de fonds pourraient être découverts, la Banque du Liban finançant une grande partie des opérations financières de l’état.

Le système financier au coeur de la crise libanaise

Le déblocage de l’aide internationale est conditionné au résultat des négociations entreprises avec le FMI qui exige que soient mises en place des réformes nécessaires, sur le plan économique et monétaire notamment. En effet, de nombreuses sources ou encore personnalités impliquées dans le dossier multiplient les déclarations indiquant que la communauté internationale n’accordera “pas de chèque en blanc au Liban”, suite au non-respect par Beyrouth de ses promesses et de son engagement à effectuer les réformes nécessaires à la relance économique déjà lors des conférences Paris I, II et III dans les années 2000.

La crise du secteur bancaire, bien que maquillée par les opérations d’ingénieries financières menées par la Banque du Liban, avait débuté bien plus tôt, en dépit des profits colossaux annoncés par les banques libanaises jusqu’à l’année dernière. En réalité, la Banque du Liban a ainsi reversé près de 16 milliards de dollars entre 2016 et 2018, vidant ainsi une grande partie de ses réserves monétaires en faveur des établissements bancaires.

Sur le plan économique, la crise qui a débuté en 2018 s’est révélée au grand jour durant l’été 2019 avec une pénurie en devises étrangères pourtant nécessaires à l’achat de produits de première nécessité notamment. Cependant, un inversement des flux financiers avait été constaté dès janvier 2019. Cette crise s’est ensuite accentuée suite à l’imposition de manière unilatérale par les banques libanaises d’un contrôle des capitaux, bloquant ainsi l’accès aux comptes.

Par ailleurs, la dégradation des conditions socio-économiques a abouti à de nombreuses manifestations dès octobre 2019, les manifestants dénonçant une classe politique considérée comme corrompue et en exigeant le départ.

Après la démission de l’ancien premier ministre Saad Hariri, le 29 octobre 2019, un nouveau gouvernement présidé par son successeur Hassan Diab a été constitué le 17 janvier 2020. Dès mars, les autorités libanaises ont annoncé un état de défaut de paiement sur les eurobonds arrivant à maturité. Par ailleurs, le Liban a ouvert les négociations avec le FMI en vue d’obtenir une aide économique d’un montant espéré de 10 milliards de dollars.

Cependant, les négociations, aujourd’hui suspendues, ont rapidement achoppé sur la capacité des autorités libanaises à mener les réformes nécessaires pour le déblocage de l’aide internationale ainsi que sur le dossier du chiffrage des pertes du secteur financier. Les autorités libanaises estiment ainsi que ses pertes atteindraient 241 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 3600 LL/USD, soit 80 milliards de dollars environ, ce que refusent les banques locales via l’association des banques du Liban ou encore la Banque du Liban elle-même.

L’association des banques du Liban a ainsi activé ses relais présents au sein du parlement via la commission parlementaire des finances et du budget. Cette dernière, où sont présents certains actionnaires et représentants de banques locales, n’ont chiffré les pertes financières qu’à 81 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 1507 LL/USD.

Désormais, ce chiffrage des comptes de la Banque du Liban devrait être mené par les cabinets Alvarez & Marsal pour l’audit juricomptable et par KPMG et Oliver Wyman pour l’audit normal. Pressenti dans un premier temps pour mener l’audit juricomptable, le cabinet Kroll, spécialisé dans la matière a été écarté suite aux pressions du président de la chambre Nabih Berri, estimant l’entreprise liée à l’état hébreu.

Parallèlement, l’association des banques du Liban a présenté un plan de sauvetage rejeté par le FMI et les autorités libanaises, prévoyant la vente d’une partie de l’or du Liban et la session pour une durée déterminée de biens publics. Ce plan est également rejeté par les spécialistes qui estiment que la vente de biens publics ne pourrait se faire qu’en les bradant en raison des circonstances actuelles.

Certaines sources évoquent désormais des pertes pour le secteur financier qui dépassent les 100 milliards de dollars, estimant que le Liban nécessiterait désormais un plan de relance de 63 milliards de dollars mais que seulement 26 milliards au maximum sont disponibles. Selon ces mêmes sources, toutes les banques libanaises sont aujourd’hui insolvables.

La situation économique s’est, par ailleurs, encore dégradée avec la détérioration de la valeur de la livre libanaise et la mise en place de différents taux de change : taux de change officiel à 1507 LL/USD, taux de change dit du-marché pour les agents de change ou encore certaines entreprises fixées par la banque du Liban, aujourd’hui à 3900 LL/USD et taux de change au marché noir, qui a fluctué jusqu’à atteindre les 9000 LL/USD, au mois de juin.

Enfin, l’explosion du port de Beyrouth, qui a ravagé également une grande partie de la capitale libanaise, a encore aggravé la situation, avec des dégâts estimés entre 10 à 15 milliards de dollars.

Ainsi, si le taux de croissance du produit intérieur brut est estimé à -14 % avant cette explosion, de nouvelles estimations font état d’une récession économique de – 24 % en 2020.

Parallèlement, le Liban est également touché par le coronavirus. Les mesures prises par les autorités se sont révélées être aujourd’hui insuffisantes et le pays des cèdres risque de perdre le contrôle de l’épidémie, avec une augmentation quasi incontrôlée du nombre de cas, notamment après l’explosion du port de Beyrouth. Désormais, les capacités hospitalières actuelles sont saturées depuis 2 semaines, amenant également à l’augmentation du nombre de décès depuis la fin du mois d’août.

Pour l’heure, certains experts proches du dossier notent avec inquiétude que les intérêts politico-économiques sont plus importants pour certains partis que l’intérêt général à bénéficier d’une aide économique face à la crise, jusqu’à estimer que les divisions traditionnelles des partis politiques se sont effacées au sein du parlement en faveur du parti des banques et des autres.

Aussi, certains de ces intérêts seraient allés même jusqu’à menacer d’une guerre civile si les réformes demandées par la communauté internationale étaient menées. Cependant, celle-ci demeure ferme sur ce dossier.

Lors de son déplacement au Liban à l’occasion du centenaire de la proclamation de l’état du Grand Liban, le 1er septembre 2020, au lendemain de la nomination de Mustafa Adib comme premier ministre, le président de la république française aurait ainsi remis aux dirigeants libanais, une feuille de route pour la mise en place des réformes économiques jugées nécessaires et en premier lieu, un diagnostic des pertes de la Banque du Liban. Cette feuille de route prévoyait également la mise en place d’ici 2 semaines, d’un gouvernement capable de mener ces réformes. Cependant, 15 jours après, suite à l’expiration du délai imparti, les autorités libanaises semblent avoir échoué à la mise en place d’un nouveau cabinet, suite notamment à l’annonce par Washington de sanctions économiques visant Ali Hassan Khalil, bras-droit de Nabih Berri et ancien ministre des finances, les autres partis politiques ayant accepté le principe de rotation des portefeuilles ministériels régaliens, à savoir la défense, l’intérieur, les affaires étrangères et les finances.

Le 21 septembre 2020, le président de la République estime que le Liban se dirige actuellement “en enfer” en raison de la dégradation des conditions sociales et économiques, reconnaissant par ailleurs que les réserves de la Banque du Liban – subventionnant actuellement l’achat de produits de première nécessité – seront épuisées d’ici peu.

Pour sa part, le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé annonce, au mois d’août, la fin des subventions aux produits essentiels d’ici 2 à 3 mois en raison de la diminution des réserves monétaires de la Banque Centrale.

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