Au printemps 2020, quand j’ai écrit « Mon testament à tous les Libanais au Liban et dans les pays de la diaspora », beaucoup se sont inquiétés, demandant pourquoi faire un testament ? L’idée est évocatrice d’une fin inéluctable, souvent d’un partage de biens, d’une mort. En fait, mon testament a été une exhortation, car je voyais le Liban mourir – mais refusant de le croire malgré l’évidence ou peut être incapable encore de le dire – et par conséquent j’étais moi aussi sur le point de mourir, incapable de protéger ma patrie qui perdait toute souveraineté ! Telle est la souffrance ultime, la mort, la véritable, la seule et unique. Assister à la mort de son pays lors de son vivant, cela est une double peine.
Expliquer l’inexplicable
Aujourd’hui, encore je suis obligé d’écrire par devoir ce que personne n’écrira ni ne formulera. Il semblerait que ma plume libre marque pour les générations à venir ce que beaucoup pensent ou non, mais que personne n’ose inscrire par peur, par lâcheté, par désintérêt, par refus de s’exposer ou de perdre un quelconque avantage financier ou partisan. Que peut-on cependant perdre à jamais, qui soit plus de valeur que la patrie et sa souveraineté ? Je suis conscient que je ne me déroberai point devant la responsabilité qui est mienne, de désigner et d’éclairer les choses telles qu’elles sont, sans détour ni faux semblants. J’écris, si ce n’est pour les morts-vivants appelés Libanais qui n’ont pas su sauvegarder ce legs, ce sera pour les générations futures, qui, le jour où elles prendront conscience de n’avoir plus de patrie, seront à la recherche du pourquoi et du comment de leurs racines perdues et de leur patrie sacrifiée pour une poignée d’intérêts privés. Comment expliquer l’inexplicable à ceux qui me liront demain, si ceux de nos jours ont perdu le sens du patriotisme et la valeur de la Nation. Les Libanais en majorité sont réduits au néant intellectuel, incapable d’analyser et de réfléchir à leur existence dans le monde, au rôle qui est le leur de préserver cet héritage unique au monde. La mafia politique, économique et religieuse a anéanti toute forme de vie, les citoyens au Liban ne pensent qu’à la survie et non à la souveraineté et à la continuité territoriale du pays. Les expatriés sont préoccupés par d’autres réalités, qui s’imposent à eux les rendant insensibles à toute implication, sans parler du sentiment d’incapacité, du dégoût et de l’écœurement. Pour cela, je n’ai pas trop d’illusions !
180 ans se sont écoulés entre l’instauration de la Qaimaqamiyat au Mont Liban en 1842[1], pierre angulaire de la naissance du Liban moderne et d’une existence politique affirmée au sein de l’Empire Ottoman, et la maudite date du 27 octobre 2022[2], date de bafouage des lois et traités internationaux, date de la servitude et de la fin de la souveraineté libanaise ! Pour ceux et celles qui ont oublié, c’est le jour de l’union nationale de la traîtrise absolue. Le jour où tous les partis politiques sans exception aucune, les groupes parlementaires, les institutions religieuses, les syndicats, et j’en passe ont gardé le silence, signe de consentement pour poignarder le pays et lyncher le peuple libanais, encourageant l’inadmissible en mettant le dernier clou dans le cercueil de la République.
Délaisser 1450 km2 de la souveraineté libanaise, du territoire national maritime, est passé comme une lettre à la poste, facilement et si rapidement. Une parodie de lâcheté entre collaborateurs et conseillers des palais, tous des vendus sans scrupule, tous des traîtres. C’est bel et bien une fin. Davantage c’est la mort collective de toute conscience, de l’enracinement dans cette terre, de tout esprit critique, des valeurs, du socle patriotique et de la raison. Elle se résume par la formule suivante : Le sacrifice ultime celui de la mort du Liban et des Libanais pour la survie d’une poignée de mafieux, à leur tête Tibère et Néron[3] à Beyrouth !
La perte de la souveraineté territoriale en 2022 fait suite à trois décennies consécutives de perte de souveraineté économique, financière et monétaire, le pays montrant des faiblesses structurelles graves dans l’indifférence et l’ignorance générale. Le schéma de l’effondrement économique a été planifié, organisé et exécuté avec minutie. Tant que les privilégiés autant que leurs privilèges sont protégés, qui s’intéresse au peuple ? Ainsi, l’exode massif des Libanais, conséquence de l’attaque et la destruction du port de Beyrouth par l’aviation israélienne, reflétait-elle la fin d’une vision prospère, la fin du rêve, la fin d’une identité et par conséquent d’une civilisation, celle qui accepte d’être détruite sans jamais désigner le bourreau, celle qui accepte d’être pillée sans demander justice, celle qui en silence perd sa souveraineté sans se soucier des conséquences, celle qui croit savoir mais se retrouve dindon de la farce sans savoir pourquoi le pays a perdu 1450 km2 au profit d’Israël !
Telle est une culture de la mort de non de la vie !
Nous le voyons clairement depuis le 4 août 2020. L’attaque du port de Beyrouth par Israël est inscrite dans un long processus de déstabilisation, de chaos pratiqué depuis des décennies visant à affaiblir le Liban et le détruire. La guerre et l’invasion du sud Liban par Israël en 2024, le refus de se retirer des communes occupées, ainsi que les attaques des civils partout au Liban ont renforcé l’exode des Libanais, qui ne souhaitent plus vivre dans l’insécurité et la dégradation de leur qualité de vie. Ainsi le Liban a fait face à l’envahissement de l’extérieur mené par Israël et à son perpétuel désir d’expansion au moyen de l’occupation armée de la terre, de la mer et de l’air rendant la vie des libanais un enfer au quotidien et les préparant à entrer en esclavage. L’autre anéantissement est dû aux forces politiques de l’intérieur, qui sont au service des forces extérieures et exécutent leurs agendas respectifs et contradictoires au détriment d’un quelconque intérêt national. Il en résulte, qu’un pays qui se vide de ses forces vives est un pays mort, quoique personne ne veuille le dire ni l’admettre !
Crise financière ou crise existentielle ?
L’effondrement dit économique n’est rien d’autre que le rapt du siècle visant à voler et vider les comptes de tous les Libanais pour ensuite dilapider tous les actifs de l’État au bénéfice de la mafia qui organise la faillite, gouverne et gère la désintégration du pays. Toutes les banques au Liban ont un actionnariat, qui n’a pas mis la main à la poche ni n’a pris la moindre initiative pour régler le problème, niant ainsi sa responsabilité dans la crise actuelle. On retrouve ainsi dans leurs actionnariats des familles régnantes du Golfe, des banques européennes et américaines, des holdings et des fonds d’investissement du monde entier. Aucune banque n’a été fermée, malgré le refus de toutes de respecter leurs engagements vis-à-vis de leurs clients. Au lieu de liquider les avoirs et actifs des banques au Liban et leurs avoirs à l’étranger, la politique libanaise consiste à liquider le Liban et son peuple au profit de l’actionnariat de ces banques !
Il y a plus de cinq ans, dans un chapitre de mon livre Liban. La révolte sans révolution, j’ai voulu donner une solution qui permettrait de protéger le Liban. J’ai ainsi proposé la sisachtie[4] comme solution à la crise financière, monétaire et économique. Je détaillais alors le comment et le pourquoi des choses, afin d’ouvrir une nouvelle page pouvant permettre la pérennité du Liban et susciter un souffle nouveau au bénéfice des générations à venir. Ce fut hélas un coup d’épée dans l’eau ! La mafia politique et économique bloque toute solution financière, afin de ne pas perdre le plus petit sou. Comment trouver des solutions sans répartir la perte de manière acceptable et équitable ? Existe–t-il un modèle de business, où on gagne tout le temps sans jamais perdre ni ne serait-ce qu’assumer le risque d’une perte ? Indubitablement, ce modèle existe, c’est celui des banques au Liban ! D’où le blocage de toute solution. La sainte trinité libanaise, telle qu’elle est formée par l’union des banques, des politiciens et des religieux, a détruit le pays pour engranger toujours plus et préserver ses avantages acquis. Posons-nous la question sans nous voiler la face, de l’éventuelle possibilité d’un changement espéré, lorsque le patriarche maronite et le mufti sunnite du Liban constituent conjointement le premier rempart de défense de la corruption et du vol en imposant la fameuse « ligne rouge », qui leur vaut comme à leurs sbires protection et immunité contre toute intervention de la justice, faisant alors obstacle à l’action publique. Irresponsabilité de tous et immunité juridique conduisent ensemble à ce que la loi outrepassée ne soit plus que théorique et par conséquent non appliquée, donc non respectée. L’autorité religieuse supposée défendre une valeur morale devint la protectrice de la mafia, ce qui mérite à n’en pas douter une inscription au Guinness World Records. La faillite économique et financière est une trahison de nos aïeux, qui ont cultivé, produit, et créé une certaine économie réelle. Aujourd’hui tout est fictif, aucune politique monétaire, aucune vision économique et nul équilibre financier.
Ils seront tous dans un mois auprès du pape Léon XIV, lors de sa visite annoncée au Liban, et réclameront d’être installés à une place d’honneur sur la photo souvenir. Quelle mascarade ! Donner du crédit à ceux qui ont regardé le peuple être saigné sans remuer, et en outre protéger et aider ceux qui pillent toutes ses ressources, c’est au minimum loin de l’esprit de l’Évangile ! Nous constatons depuis deux décennies, que le nombre de béatifiés et de saints augmentent au Liban d’une manière qui ne reflète ni la réalité de la foi ni la prospérité morale des Églises locales. Elles sont, en effet, devenues avant tout des sociétés immobilières, qui doivent gérer un patrimoine gigantesque sans en partager les revenus avec le peuple de Dieu. Ce peuple qui se retrouve exilé aux quatre vents de la terre, pour avoir un avenir meilleur, est avantageusement pour elles, pillé avec soin par les succursales de ces mêmes Églises sur les cinq continents. Tous fonctionnent avec le modèle connu, qui produit des valeurs financières mais qui n’a aucune valeur ! Le pays se vide mais tout va bien, tant qu’on peut piller les exilés et les asservir dans leurs nouvelles patries. Je ne peux développer davantage, car parler des bourreaux en une telle circonstance, à savoir la mort d’un pays, devient superflu.
Voici les ennemis du Liban, une caste qui gouverne et qui pille en toute quiétude. Cette première dans l’histoire n’est autre qu’une forme d’inceste entre le politique et l’économique, les deux étant bénis par le religieux qui est plus pourri que les deux premiers. Les trois travaillent ensemble à augmenter leurs richesses et leurs biens mal acquis contre l’intérêt général du peuple et par conséquent contre le Liban. Ils ont perdu toute légitimité représentative ou légitimité tout cours, mais un peuple pillé, écrasé et affamé, réduit en l’esclavage n’a plus aucun avis à donner ni aucune existence !
Cette mafia, qui a détruit la souveraineté du Liban le 27 octobre 2022, se montre donc aussi destructrice par ses actions qu’Israël, qui en occupant et pillant vise au démantèlement du pays. Les deux, mafia et Israël, accapareurs de toute vie et de toute richesse dans la région, sont les deux faces d’une même pièce. J’irai encore plus loin, en affirmant que la mafia politique, économique et religieuse a servi Israël bien plus que Golda Meir l’a fait. Offrir 1450 km2 d’un trait de stylo mérite au moins de donner la nationalité israélienne à l’ensemble des parlementaires, présidents et ministres libanais pour service rendu ! Détruire un pays en l’amenant à une mort certaine est une première dans l’histoire contemporaine.
Ni institutions ni citoyenneté
Le temps s’écoule inexorablement, sans que l’on voie la moindre réforme, ni que se fasse jour le moindre espoir d’un quelconque changement structurel. Eh oui ! Les idées des années 80 et 90 pourtant défraîchies sont en vogue pour éviter tout basculement. Tout sonne faux, tout est creux. Un seul projet est établi, visant une fois le Liban complétement détruit à asseoir le plus d’avantages et de pouvoir dans l’intérêt exclusif de ceux qui l’auront anéanti. C’est un investissement fait par l’ensemble de la mafia, qui parie sur la mort d’un pays, dont il ne restera pas même les ossements, tant les hyènes et les vautours auront bien fait leur travail.
Si, si ! Il reste quelque chose des actifs de l’État à partager et des esclaves à exploiter.
Au quotidien, nous ne pouvons que constater l’esprit de divergence et de désaccord perpétuel dans les affaires de l’État, ainsi que le manque de toute unité même dans les questions stratégiques et vitales. Il n’y plus de volonté de vivre en commun, sinon en théorie mais non en pratique, c’est-à-dire de tout faire pour faciliter la vision commune de la destinée de la Nation, ce vers quoi elle se dirige et s’oriente. La Nation est devenue le lieu du désaccord et de la haine de l’autre ! Donc le lieu de conflit perpétuel. L’idée fédératrice n’est plus l’identité nationale ou bien l’histoire commune et l’avenir des générations futures. Le socle commun qui réunit les libanais consiste à savoir qui peut voler et piller plus rapidement et mieux que l’autre. Une société qui n’a plus que la haine et le rapt en commun n’existe plus. Elle est morte mais nul n’a constaté la mort, ni l’a déclarée pour enfin l’enregistrer. Aujourd’hui, 27 octobre 2025, à l’occasion du 3e anniversaire de cette mort, permettez-moi de constater, de déclarer et d’enregistrer noir sur blanc la mort du Liban.
L’absence des institutions et son corollaire le dysfonctionnement du centre du pouvoir ont mené à la neutralisation de toute décision prise aussitôt remplacée par une autre décision parallèle quand elle n’est pas contraire. Le but avéré a été soit de la contrecarrer, soit de l’annuler en la figeant, en sorte que nous n’avons eu d’autre perspective, que de tâcher de survivre dans un système en panne et bloqué dans une impasse constitutionnelle depuis au moins deux décennies. Cette manière de faire, que je qualifie de sabotage méthodique, asphyxie toute vie et empêche toute gouvernance digne de ce nom. Les mêmes bourreaux continuent à gérer la faillite, administrer le chaos, gouverner les morts. Faut-il croire encore qu’ils vont réformer ou changer contre leurs intérêts ? Depuis l’attaque meurtrière du port de Beyrouth, nous assistons à l’impossibilité de faire un audit financier dans les règles de l’art c’est-à-dire juste et fiable. S’ajoute à cela un refus de réformes structurelles notables de l’État et des institutions. Garder le statu quo a conduit ipso-facto à la mort du Liban.
Transcender son appartenance clanique et religieuse semble malgré la révolte d’octobre 2019 une chimère ! L’ignorance et la soumission sont tellement enracinées depuis tant et tant d’années, qu’il faudrait déraciner l’arbre du mal, qui du même coup laissera un vide auquel beaucoup ne semblent pas prêts à faire face. Mais l’arbre est tombé et le pays est mort.
Le dysfonctionnement de la démocratie, des institutions paralysées et du système de gouvernance ont produit des irrégularités politiques, financières et donc mené le pays à sa perte. Le séisme politique est permanent mais nul ne veut constater les dégâts de l’inaction et du sabotage de la vie politique. Comment revenir à un semblant de situation normale, même fictive, quand tout est géré d’une manière anormale orientant le pays et le peuple vers l’enfer ? Presque aucune date ni aucun délai n’a été respecté depuis plus de deux décennies, aucun gouvernement n’a été nommé en temps et en heure, les élections présidentielles ou parlementaires n’ont pu avoir lieu dans le respect des besoins vitaux de la Nation ni dans la sauvegarde des intérêts nationaux. Il semble que le désordre et l’envie d’anéantir étaient la priorité des priorités. Aussi, le patriotisme se résume-t-il pour beaucoup à devenir un fervent partisan d’une communauté et/ou d’un parti politique, qui devrait garder les privilèges et essayer d’accaparer toujours davantage de droits et de pouvoir, forcément au détriment d’autrui ! Comment s’étonner de ce que les banques ont profité de ce vide pour dérober davantage et de ce que les citoyens ont développé la peur de l’autre, aggravée avec le temps et le développement du discours de haine. Chacun a cru que l’immobilisme est une solution. Or, il s’est retrouvé piéger par l’immuable vérité attribuée à Héraclès, selon lequel la seule constante dans la vie est le changement !
L’exil des Libanais a induit un changement démographique en marche depuis un quart de siècle, qui s’est amplifié au fur et à mesure des crises et guerres successives. C’est un phénomène irréversible, et j’ajoute que le point de non-retour est atteint. L’inaction a mené à une sclérose existentielle et elle s’est nécrosée. La responsabilité est souvent collective car tous les partis politiques ont trempé leurs mains dans le silence et la trahison du pays. On le constate le jour national de la trahison le 27 octobre 2022 par le silence assourdissant de la caste politique.
Démocratie ou destruction consensuelle ?
La mort d’un pays est le résultat combiné de plusieurs défaillances à tous les niveaux. Il m’importe de pointer la mort des valeurs, qui est sans doute la pierre angulaire de la destruction progressive du pays. Ainsi, les Libanais ont détruit toute vie et toute valeur pour ne conserver que la seule et la sacro-sainte valeur argent. La volonté de destruction est immense. Tout est à vendre, voire à donner en contrepartie de quelques faveurs. Il n’y a plus aucune limite à l’extinction délibérée du Liban. L’instabilité est la règle, la violence est omniprésente, la haine est la norme.
Destruction et pollution de l’eau, des rivières, des lacs, des montagnes, de la mer, des sols, de l’air, de la nourriture et par conséquent des animaux et avec eux des femmes et des hommes. Pour gagner plus d’argent mal acquis et protéger la corruption, la mafia a asphyxié la vie et propagé la mort. À l’exception de la complicité dans les affaires de corruption et du vol organisé, la seule entente unanime s’est organisée autour de la mort du pays. En parallèle, il y a la mort concomitante des idées et concepts nationaux, car l’effondrement a donné naissance à une quête des racines et de sens pour consolider une identité mais sans les outils et sans méthode. Nous avons alors vu émerger une certaine nostalgie inconsciente et malsaine du passé, mené par des falsificateurs de l’histoire, qui croyaient que tout était mieux auparavant, plutôt que faire face à la corruption et aux problèmes qui en découlent.
La faillite du temps présent et l’incapacité à accepter la responsabilité collective ont fait fuir des Libanais vers un refuge, le passé, qui n’est pourtant pas blanc comme neige. Je peux affirmer sans hésitation que l’accord des frontières maritimes du 27 octobre 2022, qui n’est pas avare d’aversions, d’abjections et de traîtrises, est la marque suprême de la perte de confiance en l’avenir, cause inéluctable de la mort du pays. Ne voit-on pas des procès entre particuliers aux propriétés mitoyennes, qui durent des années parfois pour moins de 5 cm de clôture contestés ! Or, le gouvernement libanais et avec lui l’ensemble des partis politiques ont offert 1450 km2à Israël. Il ne faut pas oublier le travail acharné des conseillers des palais, tous agents d’un obscur service ou d’un état étranger, ainsi que les experts nommés par ces derniers ! Une procession interminable de traîtres et des courtisans.
Puisque personne n’a su protéger le pays et ses frontières, ni l’héritage culturel et matériel que nous avons reçu depuis la fondation du Liban moderne en 1842, ni le patrimoine religieux acquis au long des siècles, nul ne peut aujourd’hui s’étonner de ce que le pays soit mort. Sonne maintenant le glas, non seulement du système politique mais aussi du confessionnalisme intrinsèquement lié à ce système destructeur, qui interdit toute notion de citoyenneté et toute loyauté envers la République.
Nous avons assisté en silence à la mort de la Constitution, la mort de la justice, la mort des droits fondamentaux, la mort des libertés, la mort du droit international, la mort du respect des valeurs, la mort de l’identité nationale, la mort de la citoyenneté, la mort de la souveraineté, la mort par accaparation des biens de l’État, la mort de la réserve stratégique de l’or (objet de persistantes convoitises), la mort de la production, la mort des actifs des Libanais générés depuis des décennies, la mort de l’espoir, la mort de l’avenir, la mort du peuple qu’on voit agoniser, la mort des générations à venir loin de leur pays, la mort des droits et des obligations envers la patrie, la mort de toute conscience et de toute foi, etc. L’ensemble de toutes ces fins dites « morts » ne peut pas engendrer une vie, mais bien au contraire il aboutit à la mort du pays.
Certes trop nombreux sont les gens morts durant la guerre. D’autres continuent de mourir de nos jours, incapables de vivre décemment, de joindre les deux bouts, de se soigner, de payer les frais des hôpitaux auxiliaires de la mafia et qui n’obtiennent pour remèdes que des médicaments frauduleux et falsifiés. Cependant, ils meurent aussi car la crise a démontré une grande faille qui ne pourra jamais être comblée. Les Libanais n’ont pas su manifester une grande solidarité les uns envers les autres, cela non au niveau individuel mais au niveau interinstitutionnel et confessionnel. Les riches fondations pieuses au patrimoine immobilier et aux actifs immenses n’ont jamais été mises à contribution au service du peuple pendant la crise existentielle que nous traversons. Le désintérêt est d’une ignominie indescriptible. Les religieux de tout bord ont continué à extorquer le peu qui subsiste encore, appauvrissant le peuple qui s’endette pour pouvoir éduquer ses enfants et recevoir un minimum de soins aléatoires dans leurs hôpitaux. Comment expliquera-t-on dans deux ou trois décennies aux descendants des Libanais d’aujourd’hui, qu’au nom de l’Évangile les chrétiens ont bâti de nouvelles églises alors même que le peuple tout entier asservi était conduit à sa chute et à son déclin ? Comment expliquera-t-on qu’au nom de l’Islam des mosquées ont été construites pendant que des villages entiers ont été rayés de la carte par suite de l’exode de leurs habitants appauvris et vivant au quotidien sans soutien notable ? Comment expliquera-t-on aux Druzes que la raison de la continuité de leur présence parmi nous, ne dépend pas d’une personne ni d’un clan, mais de leur amour et leur attachement à cette terre nourricière ?
Nul n’a su faire front commun contre la mafia politique économique et religieuse qui a étranglé le pays. L’absence de confiance et de fraternité dans les moments-clés de notre histoire, ainsi que l’absence d’un programme fédérateur issu d’elles deux en vue de sécuriser l’avenir des générations qui nous succèderont, ont conduit à la mort que je nomme pour ce qu’elle est et que j’analyse dans ces pages en ce jour anniversaire, 27 octobre 2025. Ce cortège de mort s’avère n’avoir pas pu protéger ce que les Pères fondateurs nous ont transmis. Si quelques-uns parmi nous pensent avoir échappé au désastre, c’est vaine dénégation et pur aveuglement !
La population libanaise a connu un exode terrible, qui a vidé le Liban de sa population jeune, active, dynamique et très qualifiée. S’ajoute à cela un programme méthodique et bien structuré visant à éloigner d’une manière pérenne les jeunes de toute décision politique, eux qui sont le moteur du changement. Toutes ces données macabres couplées à la passivité et à l’anéantissement du reste du peuple libanais nous ont conduit à la mort. Passivité face à l’attaque militaire responsable de l’explosion du port de Beyrouth, silence face à la crise financière grave, dévaluation de la monnaie, perte des avoirs dans les banques et j’en passe. Tous ces événements graves n’ont pas su créer un moment national d’unité contre la mafia, un certain électrochoc menant au changement substantiel. Quel autre événement donc pourrait le faire ? La ratification la semaine dernière, de l’accord sur les frontières maritimes avec Chypre ont fait perdre plus de 3000 km2 au Liban. C’est, dans la série noire des accords frontaliers, un autre fiasco commencé il y a une vingtaine d’années, qui s’est passée sans coup férir !
Une fin avec le chaos pour espérance
Quelle population peut prétendre continuer d’exister sans la protection de l’État ? Divergence, désinformation, désintégration, pillage et corruption sont la ligne politique suivie au Liban depuis des décennies. La nature et la gestion du pays n’a pas su évoluer avec les grands changements régionaux et les défis mondiaux. Ce n’est qu’une constatation et une simple déduction. Nous sommes arrivés à la fin, c’est une mort réelle.
La négation et le refus de la réalité actuelle des choses font que nous ne sommes pas dans une période transitoire ou intermédiaire. Nous sommes simplement en chute libre comme je l’ai écrit auparavant menant à la mort. La fin de l’indépendance culturelle et intellectuelle, l’anéantissement de la souveraineté sous toutes ses formes ont affaibli les fondations sur lesquelles le Liban a été bâti. Laissant grand ouvert la porte à l’inconnu et au chaos.
La corruption a détruit l’espoir de tout changement et de toute vie. Sans valeurs et sans patriotisme il n’y a point de Nation.
Les Libanais sont morts !
La République est morte !
La Nation est morte !
Le Pays est mort !
Dr Saïd Chaaya
Historien
[1] Cf. Saïd Chaaya, Liban la révolte sans révolution, Philadelphie, Masadir, 2021, p.207.
[2] Jour de malheur correspondant à la date de la signature de l’accord des frontières maritimes entre le Liban et Israël dans lequel le Liban abandonne une partie de sa souveraineté territoriale et maritime. Bafouant ainsi le recours au droit international et à ses droits historiques sur la terre et sur la mer, garanties par des traités internationaux, le Liban donne en cadeau 1450 km2 à Israël sans aucune raison valable ni logique. Se tirant une balle dans les pieds pour toute possibilité équitable d’exploitation gazière et pétrolière à venir !
[3] Étienne de La Boëtie, Le Discours de la servitude volontaire ou le Contr’un, Désaignes, La Bannière, 2024, p. 39 : « Tel ramassait aujourd’hui le sesterce, tel se gorgeait, au festin public, en bénissant et Tibère et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, était contraint d’abandonner ses biens à l’avarice, ses enfants à la luxure, son rang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, ne disait mot, pas plus qu’une pierre et ne se remuait pas plus qu’une souche. Le peuple ignorant et abruti a toujours été de même. Il est, au plaisir qu’il ne peut honnêtement recevoir, tout dispos et dissolu ; au tort et à la douleur qu’il ne peut raisonnablement supporter, tout à fait insensible. ».
[4] Saïd Chaaya, « La sisachtie : une exigence de la démocratie ? », op. cit., p.137-151.


