Fin septembre, devrait intervenir la fin des subventions accordées aux carburants alors que la pénurie de carburants, en réalité commencée dès le mois de mai 2019 en raison d’une pénurie de liquidités en devises étrangères que le gouverneur de la Banque du Liban mettait sur le compte “de problèmes logistiques” dans une vaine tentative de masquer la réalité. Déjà à l’époque, les propriétaires de stations essence accusaient les sociétés importatrices de carburants d’exiger des dollars comme paiement, ce qui avait, dès l’époque, fait divergé le taux de change officiel du taux de change au marché noir.

Pour rappel, le programme de subvention financé par la Banque du Liban coutait dans un premier temps environ 700 millions de dollars, puis a été réduit à 500 millions de dollars dont la moitié est induite par les carburants eux-même.

Depuis le mois de juin seulement, la parité utilisée pour les carburants est passée de 1507 LL/USD à 3 900 LL/USD contre la promesse du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé à poursuivre celui-ci jusqu’à fin septembre. Cette promesse n’a pas été respectée puisqu’il y a 2 semaines, celui-ci a annoncé la fin du financement de la Banque du Liban puis face aux pressions des autorités libanaises a finalement accepté de le reconduire jusqu’à la fin septembre contre une hausse de la parité utilisée pour le calcul des grilles tarifaires à 8 000 LL/USD.

Pourtant, la fin du programme de subvention devait intervenir en décembre ou janvier dernier, selon ce qu’on soupçonne d’être de l’état des réserves monétaires de la Banque du Liban. Le miracle a été de pouvoir le poursuivre jusqu’à maintenant avec comme pistes, où l’utilisation des réserves monétaires obligatoires sans l’annoncer – et ainsi justifier l’exigence du gouverneur ensuite à obtenir une loi légalisant cette utilisation – ou encore l’utilisation de l’aide aux réfugiés syriens, reversé à un taux de parité moindre – de l’ordre de 6 240 LL/USD, une mesure illégale et dénoncée d’ailleurs déjà par certaines organisations internationales comme l’UNICEF ou la Banque Mondiale. En effet, la Banque du Liban souhaitait faire de même concernant le financement du programme de rationnement par la Banque Mondiale, programme censé remplacé le programme de subvention.

Jusqu’à présent, le programme de subvention était officiellement financé par les réserves monétaires disponibles de la Banque du Liban alors que le seuil des réserves monétaires obligatoires en-dessous desquelles la Banque du Liban n’a pas le droit de descendre est estimée à 16 milliards de dollars. Cependant, la baisse des dépôts au sein des banques en raison de la crise a baissé mécaniquement ces réserves monétaires obligatoires, rendant plus de fonds disponibles en théorie. La question serait de savoir pourquoi le gouverneur de la Banque du Liban ne prend pas en compte ce facteur, si ces réserves existe aussi toujours ou non.

La hausse des carburants, un impact majeur sur l’inflation

Pour l’heure, le coût d’un bidon de 20 litres d’essence passe ainsi de 44 000 LL en début d’année au taux de parité de 1507 LL/USD, à 77 000 LL/USD, il y a 2 mois au taux de parité de 3 900 LL/USD et 129 000 LL aujourd’hui au taux de parité de 8 000 LL/USD.

Ainsi, les prix ont augmenté de 193% depuis le début de l’année 2021 et cette hausse atteindrait plus de 400% sur une période d’une année, soit par rapport à août 2020.

Cependant, le pire est encore à venir fin septembre avec la levée totale des subventions. Le prix des 20 litres de carburants devrait ainsi passer à l’équivalent de 15 USD à 20 USD au marché noir, c’est à dire à un peu moins de 400 000 LL au taux du marché actuel (soit environ 20 000 LL/USD).

Parmi les différentes catégories prises en compte pour le calcul du taux d’inflation, celui affecté aux transports était relativement épargné de toute hausse jusqu’à la décision, il y a 2 mois d’augmenter de 30% des prix. Cette nouvelle hausse aujourd’hui devrait évidemment impacté ce taux d’inflation et avoir un effet domino sur d’autres secteurs dont les transports privés mais également sur le secteur industriel ou les dépenses des foyers avec l’envolée des prix des abonnements aux générateurs.

Une décision dramatique pour de nombreux foyers

Cette fin programmée du programme de subvention est en effet catastrophique pour de nombreux foyers libanais. Elle aurait dû être plus progressive et accompagnée par un programme de rationnement – prévu – mais dont le financement pour l’heure, selon les informations dont on dispose, n’est toujours pas assuré.

Il s’agissait dans un premier temps de le faire financer par la Banque Mondiale, sauf que les pratiques de la BdL concernant les possibles détournements de l’aide aux réfugiés syriens n’encouragent pas les institutions internationales à aider aujourd’hui la population libanaise elle-même, exigeant le versement des fonds à valeur réelle – en devises étrangères ou en équivalent en livres libanaises au marché noir devenu pour elles la véritable parité – et non à parité unilatérale auto-proclamée par la banque centrale.

Aujourd’hui, la Banque du Liban devrait assumer ce financement pour un programme dont le coût n’est plus que de 1.6 milliards de dollars, bien loin du coût du programme de subvention qui était estimé à 6 milliards de dollars.

Aujourd’hui, la livre libanaise a déjà perdu plus de 90% de sa valeur face au dollar, induisant une perte de pouvoir d’achat importante. Ainsi le salaire médian qui équivalait 1500 USD, il y a 2 ans, n’équivaut plus que moins de 100 USD aujourd’hui et le salaire minimum est désormais de moins de 30 USD par mois. Au total, aujourd’hui, on peut en conclure que 75% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 6 USD par jour.

On ne peut pas douter du fait que le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population, déjà fortement impacté par la crise économique et financière déjà précédente, ne sera pas fortement réduit encore une fois par cette nouvelle hausse du taux d’inflation, amenant encore plus de personnes à vivre dans la pauvreté.

Cette dégradation de la parité de la livre libanaise a été aussi principalement induite par la demande en dollar sur le marché local pour financer les importations dont en partie les carburants au final en dépit d’un financement par la Banque du Liban. Il est désormais fort à craindre de voir la levée de ces subventions mener à un nouveau cycle d’inflations importants.

Le tout est de savoir si le programme de rationnement qui devrait entrer en vigueur fin septembre, si son financement est assuré, pourra quelque peu juguler ces hausses des prix. Pour rappel, ce programme est moins généraliste que le programme de subvention qui était plus global. Il vise ainsi 750 000 familles libanaises parmi les plus vulnérables face à la crise, même s’il y a de nombreuses interrogations sur une possible instrumentalisation de celui-ci dans un but électoral via le ministère des affaires social fortement revendiqués aujourd’hui par différents partis politiques justement.

La levée des subventions, une instrumentalisation politique au niveau local et international

Effectivement cette question peut se poser aujourd’hui en raison de plusieurs facteurs. Nombreux sont les observateurs qui estiment ainsi que l’absence du gouvernement est induite par le fait qu’aucune personnalité politique, comme Saad Hariri ou Najib Mikati ou d’autres ne souhaitent la responsabilité de la levée des subventions, laissant le gouvernement Hassan Diab en subir des conséquences au lieu d’assumer en fin de compte leurs propres responsabilités au titre des gouvernements qu’ils ont mené les années précédentes. Pour rappel, il s’agit du gouvernement Mikati II qui a augmenté les salaires de la fonction publique et le gouvernement Saad Hariri II qui augmenté les salaires du privé, amenant à des pressions inflationnistes supplémentaires sur la monnaie nationale à défaut de gains de compétitive et sans dévaluation de la valeur de la livre libanaise par la Banque du Liban, comme elle aurait du le faire. Cette responsabilité est d’autant plus induite par ces derniers.

Cependant, ces derniers mois, nous assistons à différents bras-de-fer entre la présidence de la république et le parti des banques.

Il y a la question de l’audit juricomptable de la Banque du Liban, qui doit déterminer les responsabilités dans la gestion ces 25 dernières années de la banque centrale, et au-delà aujourd’hui un bras-de-fer concernant le ministère des finances. En effet, le candidat proposé par Nabih Berri, président de la chambre, soutenu par Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban, n’est qu’entre autre que le responsable actuel des opérations financières de la BdL, et l’auteur des opérations d’ingénierie financière fortement critiquées par le FMI et la Banque Mondiale à l’époque. Ces opérations ont ainsi coûté à la Banque du Liban 24 milliards de dollars pour permettre aux banques libanaises de reverser 16 milliards de dollars entre 2016 et 2018, des sommes dont on aurait bien eu besoin aujourd’hui.

Enfin, il y a également un agenda politique induit par les élections à venir, élections législatives de mai 2022 et qui devraient être suivies par les élections présidentielles d’octobre 2022. Aussi, il pourrait s’agir pour certains de faire porter la responsabilité de la crise sur certains partis politiques et non sur la Banque du Liban où les personnes qui ont soutenu cette politique monétaire.

Aussi au niveau international, un autre bras-de-fer semble aujourd’hui avoir lieu toujours au niveau des carburants avec la lutte d’influence entre l’Iran et le Hezbollah d’une part qui ont confirmé l’envoi de tankers de carburants au Pays des Cèdres et les Etats-Unis d’autre part qui proposent même de réactiver un gazoduc passant en Syrie donc de négocier à ce sujet avec Damas. Les lignes politiques changent donc.

Si la solution iranienne est immédiate, il y a de nombreuses concernant le financement du fioul. Quant à la solution américaine, outre le pendant politique, il y a aussi la question de la réhabilitation du gazoduc en Syrie et au Liban mais aussi se pose la question de la conversion des centrales libanaises du fioul au gaz. Cela réclame du temps, chose qui manque aujourd’hui par rapport à l’urgence de la situation.

Et après, l’effet domino

Depuis plusieurs mois, on craint l’effondrement des infrastructures libanaises, réseaux de distribution d’électricité, d’eau ou encore de télécommunication et d’Internet. La crainte aussi porte aujourd’hui, après les carburants, sur le secteur hospitalier, déjà forment impacté par le refus de la Banque du Liban d’acheter les médicaments nécessaires y compris pour le traitement des personnes souffrant d’un cancer ou d’autres maladies chroniques mais également désormais sur les structures hospitalières elles-mêmes qui nécessitent de l’électricité.

Il s’agit d’une catastrophe humanitaire, comme le souligne si bien même l’ONU.

Des solutions possibles?

Pour l’heure, le programme de rationnement devrait ainsi remplacer le programme de subvention fin septembre. Celui-ci comme déjà signalé est plus ciblé. il s’agit d’aider directement 750 000 foyers via une carte de crédit qui leur sera donnée. Il est plus économique en théorie, 1.5 milliards de dollars annuellement contre 6 milliards pour le programme de subvention. Mais certains doutes concernent la capacité de le financer par la Banque du Liban après que les institutions internationales qui devaient le financer aient signalé qu’il est hors de question d’accorder des fonds qui ne seront pas versés à équivalent réel de la livre libanaise face au dollar ou encore en devises étrangères après le scandale qui est intervenu concernant les fonds alloués aux réfugiés syriens et distribués à hauteur de 6 240 LL/USD au bénéfice de la BdL et des banques participantes.

D’autre part, l’une des autres solutions est d’obtenir le programme de financement du FMI ou d’autres institutions identiques afin de contrôler la perte de valeur de la livre libanaise face au dollar. Cependant, la reprise des négociations avec le FMI est conditionnée à la mise en place d’un nouveau gouvernement d’une part mais aussi aux résultats de l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban d’autre part, ce facteur là étant au final bien plus important. Il s’agit de déterminer l’ampleur exacte des pertes de la Banque Centrale et au-delà du secteur financier afin de déterminer la somme nécessaire pour aider le Liban. Parallèlement, les responsabilités dans cette gabegie pourront être ainsi déterminer. Pour certains internationales, il s’agit également au final, d’identifier les coupables de la dilapidation de l’aide de la communauté internationale des années durant. Il y a ici aussi une vendetta.

Autre solution envisagée cette fois-ci par la communauté internationale pour court-circuiter les administrations publiques libanaises, il s’agit de mettre en place une taskforce humanitaire sous contrôle de l’ONU et de la Banque Mondiale en coopération avec l’Armée Libanaise sur place, comme le propose le président français Emmanuel Macron.

Et après la fin des carburants? Les médicaments ou la nourriture également menacés

Déjà la Banque du Liban éprouve d’importantes difficultés pour poursuivre – outre le financement des carburants – le programme de subvention des médicaments, préfigurant l’effondrement total du secteur hospitalier. De nombreux médicaments manquent désormais.

La Banque du Liban n’a pas mis en oeuvre ses promesses visant à accorder des fonds mensuels à hauteur de 100 millions de dollars puis réduite à 50 millions de dollars pour la prise en charge des importations de médicaments, sous couvert de problèmes techniques ou administratifs, accusait déjà le ministre sortant de la Santé Hamad Hassan.

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