La question du désarmement du Hezbollah revient une nouvelle fois au centre des tensions politiques libanaises après les déclarations du Vice-Premier ministre Tarek Mitri. Ce dernier a récemment affirmé que la déclaration ministérielle du gouvernement reconnaissait le droit et le devoir de l’État libanais de monopoliser les armes, tout en précisant que ni un calendrier ni des modalités précises n’avaient été définis pour y parvenir. Ces propos ont immédiatement provoqué une réaction virulente des Forces libanaises (FL), parti chrétien dirigé par Samir Geagea, qui accuse Mitri de minimiser un enjeu fondamental pour la souveraineté nationale et la stabilité du pays.
Les Forces libanaises rappellent que la question des armes du Hezbollah ne devrait plus être un sujet de débat, mais uniquement une question d’application des engagements internationaux et nationaux déjà pris. L’Accord de Taëf, signé en 1989 pour mettre fin à la guerre civile libanaise, prévoit explicitement le démantèlement de toutes les milices armées. De plus, plusieurs résolutions de l’ONU, notamment la résolution 1559 et la résolution 1701, exigent que seul l’État libanais détienne des armes. À cela s’ajoute l’accord de cessez-le-feu signé récemment sous médiation américaine et française, qui reconnaît l’importance du monopole de l’État libanais sur la force militaire. Enfin, le président Joseph Aoun, dans son discours d’investiture, a rappelé que la souveraineté du Liban passait par le retour exclusif du monopole des armes sous l’autorité de l’État.
Pour les Forces libanaises, il n’existe donc aucune justification à l’inaction sur cette question, et toute tentative de temporisation équivaut à un renoncement à l’application des principes fondateurs de l’État libanais moderne. Elles accusent également Tarek Mitri de chercher à éviter un affrontement politique avec les partis proches du Hezbollah, notamment le mouvement Amal et le Courant patriotique libre de Gebran Bassil.
Le Hezbollah, une puissance militaire supérieure à l’État ?
L’un des principaux obstacles au désarmement du Hezbollah réside dans la puissance militaire de l’organisation. Considéré comme une armée parallèle, le Hezbollah dispose d’un arsenal bien plus avancé que celui de l’armée libanaise elle-même, ce qui rend toute tentative de désarmement extrêmement complexe.
L’organisation chiite compte plusieurs dizaines de milliers de combattants, dont certains ont acquis une expérience de guerre en Syrie, en Irak et au Yémen. Son stock de missiles et de roquettes dépasse les 150 000 unités, dont certains de longue portée capables d’atteindre des cibles stratégiques en Israël. En outre, le Hezbollah possède désormais une flotte de drones militaires, lui permettant de mener des missions de reconnaissance et d’attaque ciblée.
Face à cette montée en puissance, l’armée libanaise reste largement sous-équipée et en incapacité de défendre pleinement le territoire national. Elle ne possède ni aviation de combat ni système de défense antiaérienne moderne, ce qui laisse le pays vulnérable aux incursions israéliennes et aux attaques de drones. Son parc blindé est composé de véhicules souvent obsolètes, et certaines unités ne disposent plus des moyens logistiques nécessaires pour assurer des missions de longue durée.
Un sous-équipement chronique de l’armée libanaise
Le sous-équipement de l’armée libanaise est en grande partie dû à la crise économique et à la réticence de la communauté internationale à fournir une aide militaire tant que le Hezbollah conserve son arsenal. Les salaires des soldats ont été dévalués par l’inflation, ce qui a entraîné une vague de désertions et un affaiblissement de l’efficacité opérationnelle des forces régulières.
De plus, plusieurs pays occidentaux et arabes ont suspendu leur aide militaire en raison de l’influence croissante du Hezbollah dans les affaires politiques du Liban. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont cessé de financer l’armée libanaise, tandis que les États-Unis et la France hésitent à livrer du matériel avancé tant que le gouvernement ne montre pas une volonté ferme de reprendre le contrôle total de ses forces de défense.
Cette situation crée une impasse stratégique dangereuse : l’armée libanaise est à la fois indispensable pour assurer l’ordre intérieur, mais incapable de rivaliser avec le Hezbollah, qui s’impose comme la véritable force militaire dominante du pays.
Un blocage politique aux conséquences régionales
Les Forces libanaises affirment que le maintien des armes du Hezbollah prive le Liban de tout soutien international et condamne l’économie à rester sous perfusion. Elles accusent le gouvernement de manquer de courage politique et demandent une action immédiate pour la collecte et la remise des armes illégales sous le contrôle de l’armée.
Cependant, le désarmement du Hezbollah est une question hautement explosive, qui pourrait provoquer des affrontements internes. Toute tentative de coercition risquerait de déclencher un conflit civil, d’autant plus que le Hezbollah bénéficie d’un soutien direct de l’Iran. Le parti chiite ne semble pas prêt à céder son arsenal sans garantie de maintien de son influence politique et militaire.
Le gouvernement de Nawaf Salam est ainsi confronté à une situation insoluble, pris entre les pressions internationales et les blocages internes imposés par les partis pro-Hezbollah. Aucun consensus ne semble émergerentre ceux qui veulent un désarmement immédiat et ceux qui prônent une intégration progressive du Hezbollah au sein de l’appareil de défense national.