Une répartition des portefeuilles hautement stratégique
Le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, s’efforce de former un gouvernement dans un contexte politique libanais marqué par des divisions profondes. Selon les premières informations divulguées, la composition du cabinet reflétera les équilibres complexes entre les principales forces politiques, avec une répartition soigneusement négociée des portefeuilles ministériels. Le Hezbollah et le Mouvement Amal obtiendraient cinq portefeuilles, dont celui des Finances, considéré comme l’un des plus stratégiques. Les Forces libanaises se verraient attribuer quatre ministères, tandis que le Courant patriotique libre (CPL) et le Parti socialiste progressiste en obtiendraient chacun deux. Par ailleurs, le Mouvement Marada, le Parti Kataëb, les anciens députés du CPL et le Parti Tachnag se partageraient chacun un portefeuille. Un groupe composé de députés indépendants et de représentants du bloc du changement pourrait recevoir trois portefeuilles, tandis que les députés sunnites du Nord se verraient attribuer un seul portefeuille. Ces équilibres traduisent une tentative de rassembler une coalition représentative, mais risquent de susciter des rivalités internes, notamment au sein de la communauté sunnite.
Des négociations sensibles avec le Hezbollah et Amal
Les deux dernières décennies ont renforcé l’importance du « duo chiite » (Hezbollah et Amal) dans la politique libanaise. Bien que le processus de désignation de Nawaf Salam ait initialement créé des tensions entre ces forces et le Premier ministre désigné, les récentes discussions semblent avoir apaisé les divergences. Salam a tenu deux réunions cruciales avec des représentants du Hezbollah, notamment Mohammad Raad, ainsi qu’avec des émissaires du président du Parlement, Nabih Berri. Ces rencontres, décrites comme « positives » par des sources bien informées, ont permis de clarifier plusieurs points critiques. Salam a insisté sur son désir de ne pas exclure les principales composantes politiques du pays et de respecter la représentation chiite dans le gouvernement. Ce dernier point a dissipé les tensions autour de l’attribution du portefeuille des Finances, historiquement occupé par un chiite, et confirmé l’importance du rôle du Hezbollah et d’Amal dans la gestion de ce ministère.
La composition des ministères : enjeux et défis
Outre les Finances, le Hezbollah et Amal ont également demandé un portefeuille lié aux services, comme la Santé ou les Travaux publics, mais ces discussions sont encore en cours. Salam n’a pas encore présenté une vision claire pour l’ensemble de la composition gouvernementale, et des obstacles pourraient surgir lors des négociations avec d’autres factions politiques. L’un des enjeux majeurs concerne le portefeuille de l’Intérieur, qui suscite des convoitises au sein de la communauté sunnite. Ce ministère, qui supervise les élections parlementaires, est perçu comme un levier stratégique. Selon des rapports, plusieurs figures sunnites influentes insistent pour obtenir ce poste, créant une compétition interne qui pourrait compliquer les efforts de Salam. Du côté des portefeuilles chrétiens, des tensions sont également à prévoir entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre. Les Forces libanaises ont exprimé leur souhait de récupérer les ministères des Affaires étrangères et de l’Énergie, qui faisaient partie des attributions du CPL dans le gouvernement précédent. Ces rivalités risquent de retarder la formation du cabinet.
Le rôle des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur
Le président Joseph Aoun, tout en affirmant qu’il ne souhaite pas avoir de « part » directe dans le gouvernement, a insisté sur un droit de veto concernant les nominations aux portefeuilles clés : Affaires étrangères, Défense et Intérieur. Parmi les candidats envisagés, Paul Salam pourrait être nommé aux Affaires étrangères, tandis que Mohammed al-Alem, proche d’un conseiller présidentiel, serait proposé pour l’Intérieur. Pour le ministère de la Défense, un ancien officier maronite est pressenti. Ces portefeuilles souverains joueront un rôle central dans les défis à venir, notamment dans l’application de la résolution 1701 de l’ONU, qui régit la sécurité au sud du Litani, et dans la supervision des prochaines élections législatives.
Le Hezbollah et la déclaration ministérielle
Un autre point clé des négociations concerne la déclaration ministérielle, qui fixe les priorités et les orientations politiques du gouvernement. Le Hezbollah souhaite y inclure une mention sur le « droit de résistance » des Libanais, en conformité avec l’Accord de Taëf. Depuis 2014, cette clause est un élément standard des gouvernements successifs, bien qu’elle reste un sujet de controverse. Les discussions portent également sur l’engagement du gouvernement à appliquer la résolution 1701 et à limiter les discussions sur les armes du Hezbollah à des consultations nationales supervisées par le président.
Une mission complexe avant le retrait israélien
Le calendrier politique ajoute une pression supplémentaire : la formation du gouvernement doit idéalement être finalisée avant le 27 janvier, date limite pour le retrait israélien du sud du Liban, conformément au cessez-le-feu conclu en novembre dernier. Une absence de gouvernement pleinement fonctionnel à cette échéance pourrait affaiblir la position libanaise face à Israël et compliquer l’application des résolutions internationales.
Perspectives et incertitudes
Nawaf Salam est confronté à un défi de taille : former un gouvernement capable de répondre aux attentes d’une population épuisée par la crise économique tout en naviguant dans un paysage politique fragmenté et miné par les rivalités. Les tensions autour de la répartition des portefeuilles, notamment entre les blocs chrétiens et sunnites, pourraient entraver ses efforts. Si Salam parvient à surmonter ces obstacles, son gouvernement devra s’attaquer à des problèmes structurels, tels que la réforme du secteur bancaire, la gestion de la dette publique et la relance économique. Cependant, la capacité de Salam à maintenir un équilibre entre les intérêts des diverses factions politiques, tout en répondant aux exigences internationales, déterminera le succès de ce gouvernement.