Recrudescence des départs illégaux depuis les zones rurales
La détérioration des conditions de vie dans les régions rurales du Liban alimente une augmentation alarmante des migrations clandestines, particulièrement parmi les jeunes. Des associations locales du Akkar et de la Békaa rapportent une hausse des départs vers la Méditerranée, orchestrés par des réseaux de passeurs à destination de Chypre ou de la Grèce. Ces traversées, souvent effectuées sur des bateaux surchargés et vétustes, sont devenues une option désespérée face à l’absence d’emplois, la flambée du coût de la vie et l’effondrement des services publics, qui laissent les populations sans perspectives.
Ces zones, historiquement marginalisées, subissent les effets cumulés de la crise économique débutée en 2019, aggravée par l’explosion du port de Beyrouth en 2020 et les tensions régionales. Les jeunes, confrontés à un taux de chômage global de 32 % – et dépassant 45 % pour les diplômés –, risquent leur vie dans ces périples maritimes, poussés par un désespoir que les autorités peinent à endiguer. Les passeurs, profitant de cette vulnérabilité, opèrent avec une impunité croissante, transformant ces routes en corridors de migration de plus en plus mortels.
Une crise humanitaire en expansion
La situation dans le Akkar et la Békaa s’apparente désormais à une crise humanitaire à part entière. L’insécurité alimentaire touche des dizaines de milliers de foyers, avec plus de 65 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Les coupures d’électricité, qui peuvent durer jusqu’à 22 heures par jour, et la fermeture d’écoles publiques, faute de financements, privent les communautés des services de base. Les ONG humanitaires, bien qu’actives, signalent une pénurie de ressources face à une demande croissante, laissant des familles entières dans une précarité extrême.
Les conditions sanitaires se dégradent également, avec un accès limité à l’eau potable et aux soins médicaux. Dans le Akkar, par exemple, les hôpitaux publics fonctionnent à capacité réduite, tandis que les cliniques privées, hors de portée pour la majorité, refusent souvent les patients sans paiement préalable. Cette crise, exacerbée par l’inflation dépassant les 110 %, rend les produits de première nécessité – nourriture, carburant, médicaments – inaccessibles, plongeant les habitants dans une lutte quotidienne pour la survie.
Impact dévastateur sur la jeunesse
La jeunesse libanaise, particulièrement dans les zones rurales, paie un lourd tribut à cette crise. Les opportunités d’emploi, déjà rares avant 2019, ont presque disparu avec la contraction de l’économie, qui n’a enregistré qu’une croissance de 0,6 % en 2024. Dans le Akkar et la Békaa, les jeunes, souvent issus de familles agricoles ou de petits commerçants, se retrouvent sans débouchés, leurs compétences inutilisées dans un marché du travail sinistré. Les diplômés, qui représentent une part importante de cette génération, sont les plus touchés, avec un taux de chômage de 45 %, les poussant à envisager l’émigration comme seule issue.
Cette absence de perspectives a des répercussions psychologiques profondes. Les associations locales rapportent une augmentation des cas de dépression et d’anxiété parmi les jeunes, confrontés à un avenir incertain et à la pression de subvenir aux besoins de leurs familles. Beaucoup abandonnent leurs études, faute d’écoles fonctionnelles ou de moyens pour les poursuivre, alimentant un cercle vicieux de précarité et de désespoir qui les conduit souvent vers les réseaux de passeurs.
Drames humains en mer
Les migrations clandestines depuis le Liban vers l’Europe sont marquées par des drames humains tragiques. Les traversées, organisées par des passeurs peu scrupuleux, se font sur des embarcations inadaptées, souvent surchargées au-delà de leur capacité. Ces voyages, qui coûtent entre 2000 et 5000 dollars par personne – une somme exorbitante pour des familles démunies –, se soldent régulièrement par des naufrages. Les côtes libanaises, notamment près de Tripoli, sont devenues un point de départ fréquent, et les récits de disparitions en mer se multiplient.
En 2022, un bateau parti du Akkar avec plus de 80 passagers a sombré au large de la Syrie, ne laissant que quelques survivants. Ces incidents, bien que médiatisés, n’ont pas freiné le phénomène, les jeunes continuant de risquer leur vie face à l’absence d’alternatives. Les familles restées sur place vivent dans l’angoisse, souvent sans nouvelles de leurs proches, tandis que les autorités maritimes, sous-équipées, peinent à prévenir ces départs ou à secourir les naufragés.
Déplacements internes vers Tripoli
Parallèlement, un mouvement de déplacement interne gagne en ampleur. Des dizaines de familles du Akkar ont quitté leurs villages pour rejoindre des proches dans les quartiers périphériques de Tripoli, fuyant l’insécurité alimentaire, le manque d’électricité et la fermeture des écoles. Ces déplacements, bien que moins visibles que les migrations internationales, sont documentés par les acteurs humanitaires, qui observent une concentration croissante de populations vulnérables dans des zones urbaines déjà saturées.
À Tripoli, ces familles s’installent dans des conditions précaires : logements insalubres, camps improvisés ou squats, sans accès aux aides officielles ni statut légal reconnu. Cette migration interne aggrave la pression sur une ville où le chômage et la pauvreté sont déjà endémiques, créant des poches de misère où les tensions sociales risquent de s’intensifier.
Conditions des travailleurs précaires
Les travailleurs précaires, qu’ils soient ruraux ou déplacés à Tripoli, vivent dans une vulnérabilité extrême. Dans le Akkar et la Békaa, les journaliers agricoles ou petits commerçants gagnent des salaires dérisoires en livres libanaises, dévaluées face à une économie dollarisée à plus de 85 %. À Tripoli, les déplacés s’ajoutent à une main-d’œuvre informelle – vendeurs ambulants, ouvriers journaliers – où les revenus ne couvrent pas les besoins essentiels comme la nourriture ou le logement.
Sans contrat ni protection sociale, ces travailleurs n’ont aucun filet de sécurité. Les aides humanitaires, bien que vitales, sont insuffisantes pour répondre à l’ampleur de la crise, et l’État, paralysé par des divisions politiques, n’offre aucun soutien significatif. Cette précarité alimente à la fois les migrations internes et les départs clandestins, les jeunes voyant dans l’exil une chance, même infime, d’échapper à cette spirale.
Réponse des autorités et limites humanitaires
Les autorités libanaises, débordées par la crise économique et institutionnelle, n’ont pas mis en place de réponse coordonnée à cette crise humanitaire. Les déplacements internes ne sont pas officiellement reconnus, compliquant l’accès des familles à des aides ou à des services publics. Pour les migrations clandestines, les efforts de contrôle maritime restent limités par un manque de moyens et une coordination insuffisante avec les pays voisins, comme Chypre, qui renvoient souvent les migrants interceptés.
Les organisations humanitaires, bien qu’elles documentent ces phénomènes, font face à une réduction de leurs financements alors que les besoins explosent. Elles alertent sur une crise migratoire qui pourrait s’aggraver sans intervention massive, mais les perspectives d’amélioration économique ou politique restent faibles, laissant la jeunesse et les travailleurs précaires dans une impasse tragique.