Un projet de loi visant à porter le salaire minimum au Liban à 550 dollars fait des vagues dans un pays où l’inflation a pulvérisé le pouvoir d’achat des citoyens depuis 2019. Présentée comme une réponse à une crise économique qui a plongé 80 % de la population dans la pauvreté, cette mesure promet une relance de la consommation, selon ses défenseurs. « Un projet de loi propose d’augmenter le salaire minimum à 550 dollars, » indique un extrait officiel, dans un contexte où « l’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des Libanais. » Mais ce remède apparent pourrait se transformer en poison : une spirale inflationniste et une vague de destructions d’emplois menacent de saboter une économie déjà à l’agonie. Entre ambition sociale et risques majeurs, cette proposition divise un Liban au bord du précipice.
Contexte économique : une nation en chute libre
Le Liban vit un cauchemar économique depuis 2019, qualifié par la Banque mondiale comme l’une des pires crises depuis 1850. La livre libanaise, jadis fixée à 1500 LBP pour 1 USD, s’échange aujourd’hui à environ 100 000 LBP au marché noir, une dévaluation qui a propulsé l’inflation à des sommets vertigineux — plus de 200 % en 2023 selon les estimations locales. Les salaires, eux, sont restés figés : le minimum actuel, environ 675 000 LBP avant la crise (450 USD à l’époque), ne vaut plus que 7 dollars au taux réel. « L’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des Libanais, » souligne le contexte officiel, un constat amer pour une population qui peine à se nourrir, se chauffer ou se soigner.
Cette crise a dévasté l’emploi. Les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 70 % des emplois privés, ont fermé par milliers, écrasées par la hausse des coûts importés — carburant, matières premières — dans un pays dépendant à 80 % des produits étrangers. Le chômage frôle les 40 %, et le secteur informel, où travaillent 60 % des actifs, échappe aux filets sociaux. Dans ce marasme, le projet de loi à 550 dollars veut injecter un souffle de vie, mais il risque d’aggraver une situation où chaque décision économique est un pari sur le vide.
Proposition à 550 dollars : une bouée percée ?
Le projet de loi, en débat au Parlement, propose de fixer le salaire minimum à 550 dollars mensuels pour les employés du secteur privé, une hausse colossale face aux 7 dollars actuels au taux du marché. « Un projet de loi propose d’augmenter le salaire minimum à 550 dollars, » annonce l’extrait officiel, avec l’idée que « l’augmentation pourrait entraîner une reprise de la consommation. » L’intention est claire : redonner du pouvoir d’achat pour stimuler une économie asphyxiée par la chute de la demande. Mais cette ambition se heurte à une réalité brutale : sans ressources publiques ni production locale, cette mesure pourrait déclencher des effets pervers, dont une inflation galopante et une destruction massive d’emplois.
Le texte reste muet sur des détails cruciaux : sera-t-il payé en dollars ou en livres ? Au taux officiel (1500 LBP/USD) ou parallèle (100 000 LBP/USD) ? Si c’est en livres au taux officiel, les employés recevraient 825 000 LBP, soit 8 dollars au marché réel — un échec risible. Pour atteindre 550 dollars effectifs, les employeurs devront payer en devises fortes, une exigence irréaliste pour un secteur privé exsangue. Cette ambiguïté alimente les critiques : sans un cadre clair, le projet est une coquille vide, incapable de tenir ses promesses sans semer le chaos.
Inflation en embuscade : un risque mal calculé
La hausse à 550 dollars pourrait allumer une mèche inflationniste dans une économie déjà en surchauffe. Dans un pays où les importations règnent, augmenter les salaires sans relancer la production locale revient à gonfler les coûts sans créer de richesse. Les entreprises, confrontées à des charges fixes en dollars (loyers, énergie, marchandises), répercuteraient cette hausse salariale sur leurs prix pour survivre. Un boulanger payant ses employés 550 dollars au lieu de 7 verrait ses coûts exploser ; avec la farine importée à prix fort, le pain grimperait encore, dans un pays où les denrées ont déjà quintuplé depuis 2019.
Cet effet « second tour » — salaires up, prix up — est un classique des économies fragiles. En 2023, l’inflation alimentaire dépassait 400 %, et une telle mesure pourrait pousser les prix encore plus haut, rendant les produits de base — riz, huile, médicaments — inaccessibles même aux bénéficiaires de la hausse. Les PME, qui emploient la majorité des Libanais, n’ont pas les reins assez solides pour absorber ce choc sans augmenter leurs tarifs ou réduire leurs effectifs. Dans une économie dollarisée de facto mais sans dollars en réserve, cette pression risque d’alimenter une spirale où chaque gain salarial est annulé par une flambée des coûts de vie, un piège que le projet semble ignorer.
Destruction des emplois : un effet boomerang
Pire encore, cette hausse menace de détruire des emplois à grande échelle, un impact que les promoteurs du projet sous-estiment. Les PME, colonne vertébrale de l’économie libanaise, fonctionnent avec des marges minces, souvent en cash et en dollars pour les importations. Passer d’un salaire de 7 dollars à 550 dollars par employé représente une multiplication par 78 des coûts salariaux, une charge intenable pour des boutiques, restaurants ou ateliers déjà au bord de la faillite. Résultat probable : des licenciements massifs ou des fermetures en chaîne, dans un pays où le chômage a déjà doublé en cinq ans.
Prenons un cas concret : un commerce employant cinq personnes à 7 dollars chacun (35 dollars mensuels au total) devrait débourser 2750 dollars par mois avec la nouvelle mesure. Sans hausse équivalente de ses revenus — impossible dans une économie en récession —, il licencierait ou mettrait la clé sous la porte. Les grandes entreprises, rares au Liban, pourraient s’adapter en dollarisant leurs salaires, mais elles emploient une minorité. Les 60 % de travailleurs informels, eux, seraient exclus, laissés à la merci d’un marché où les jobs s’évaporent. Cette destruction d’emplois, loin de relancer la consommation, pourrait plonger des milliers de familles dans une précarité encore plus profonde, un effet boomerang que le projet n’anticipe pas.
Pouvoir d’achat : un mirage éphémère
L’objectif de redonner du pouvoir d’achat est noble, mais illusoire sans garde-fous. À 550 dollars, un salarié couvrirait à peine un panier alimentaire de base (300 dollars pour cinq personnes, selon les ONG), un progrès face aux 7 dollars actuels. Mais cet avantage s’effacerait vite si l’inflation, dopée par la hausse des coûts salariaux, reprend de plus belle. Les prix des loyers, des transports et des soins, déjà en dollars pour beaucoup, suivraient la courbe ascendante, annulant les gains en termes réels. Le pouvoir d’achat, censé être sauvé, risque de stagner ou de reculer, transformant la mesure en un miroir aux alouettes.
Les inégalités s’aggraveraient aussi. Les employés formels, une minorité, toucheraient ce salaire, tandis que les informels, les chômeurs et les fonctionnaires — payés en livres dévaluées, souvent moins de 50 dollars — resteraient sur le carreau. Dans un pays où les enseignants ou les soldats gagnent des clopinettes, cette hausse ciblée creuserait un fossé social, alimentant tensions et ressentiments dans une société déjà fracturée.
Consommation : un rebond avorté ?
« L’augmentation du salaire minimum pourrait entraîner une reprise de la consommation, » avance l’explication officielle, une hypothèse qui imagine des travailleurs dépensant leurs 550 dollars dans les commerces locaux. En théorie, cela stimulerait les épiceries, les pharmacies ou les écoles privées, piliers d’une économie de services. Mais cette vision optimiste trébuche sur plusieurs écueils. D’abord, l’offre est quasi inexistante : avec une industrie morte et 80 % des biens importés, chaque dollar dépensé s’évapore à l’étranger, creusant le déficit plutôt que de relancer la machine locale.
Ensuite, les entreprises, sous pression inflationniste et menacées de faillite, réduiraient leurs effectifs ou fermeraient avant de profiter d’une hausse de la demande. Enfin, les Libanais, échaudés par des années de crise, thésaurisent leurs dollars ou les envoient à leurs proches à l’étranger plutôt que de les dépenser. Une étude de 2024 de l’Université américaine de Beyrouth montrait que 60 % des ménages privilégient l’épargne en devises, un réflexe de survie que 550 dollars ne briseront pas. La consommation pourrait frémir à court terme, mais s’effondrer sous le poids des licenciements et des prix en hausse.
Une mesure bancale : ambition sans fondations
Critiquement, ce projet manque de sérieux. Fixer un salaire minimum à 550 dollars dans une économie sans dollars, sans production et sans État solvable est une chimère. La Banque du Liban n’a plus de réserves, le gouvernement est en défaut depuis 2020, et le secteur privé, en grande partie informel, n’a ni la capacité ni les moyens de suivre. Sans stabilisation de la livre, sans relance industrielle ou sans aide internationale massive, cette hausse est une promesse creuse, vouée à échouer ou à aggraver le chaos.
Les impacts inflationnistes et la destruction des emplois sont des menaces réelles. L’inflation, déjà hors contrôle, repartirait de plus belle, rendant les gains salariaux éphémères. Les PME, incapables de payer, licencieraient ou fermeraient, jetant des milliers de travailleurs dans la misère et tuant toute chance de reprise économique. Le Liban n’a pas les reins pour une mesure aussi ambitieuse sans un plan global — restructuration bancaire, contrôle des changes, investissements. Sans cela, c’est une bombe à retardement.
Un avenir en pointillés : entre nécessité et illusion
Porter le salaire minimum à 550 dollars répond à une détresse criante : les Libanais ne survivent plus avec des salaires réduits à néant. Mais sans assise économique, cette mesure risque de détruire plus qu’elle ne sauve. L’inflation galoperait, les emplois s’effondreraient, et la consommation, loin de reprendre, s’étiolerait dans une économie à bout de souffle. Aoun et le Parlement jouent avec le feu : offrir un espoir au peuple sans les outils pour le concrétiser pourrait précipiter le Liban dans un abîme encore plus profond. Une vraie relance exige plus qu’un chiffre sur une loi — elle demande un miracle que personne n’a encore en poche.