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Rapport Économique : Analyse de l’impact potentiel d’une mesure rétroactive sur les prêts bancaires au Liban

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Date : 20 mai 2025
Contexte : Proposition de loi visant à exiger des emprunteurs libanais ayant remboursé leurs prêts au taux de change officiel de 1 500 LL/USD de payer la différence selon le taux actuel (~90 000 LL/USD).


Résumé exécutif

Une rumeur indique que le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Karim Saïd, envisage de proposer une loi obligeant les emprunteurs ayant remboursé leurs prêts bancaires au taux officiel de 1 500 LL/USD entre 2019 et 2023 à payer rétroactivement la différence selon le taux de change actuel, estimé à 90 000 LL/USD, ou en devises fortes. Cette mesure, si adoptée, pourrait générer entre 17,7 et 29,5 milliards USD, avec une estimation médiane de 15 à 20 milliards USD, selon les volumes de prêts concernés. Cependant, dans un contexte de crise économique systémique, caractérisée par une dépréciation de 98 % de la livre libanaise, une contraction du PIB de 39,9 % entre 2018 et 2022, et une insolvabilité bancaire (pertes estimées à 72-100 milliards USD), cette mesure aurait des conséquences économiques et sociales dévastatrices. Elle aggraverait la pauvreté, augmenterait les défauts de paiement (jusqu’à 80-90 % des prêts), et freinerait toute reprise économique, tout en exacerbant la défiance envers les institutions. Les obstacles juridiques, notamment la violation du principe de non-rétroactivité, et l’incapacité des emprunteurs à payer rendent son adoption et son efficacité hautement incertaines.

Il s’agirait pour la BDL d’augmenter les liquidités disponibles pour les banques qui pourraient arriver à épuisement mi-2026 faute d’un accord avec le FMI au détriment des débiteurs. Mais cette mesure pose de nombreux problèmes de rétroactivité et juridiques, mais aussi socio-économiques et pourrait mener à une nouvelle récession.


1. Contexte macroéconomique et financier

1.1. Crise systémique au Liban

Depuis octobre 2019, le Liban traverse une crise économique sans précédent :

  • Dépréciation monétaire : La livre libanaise (LL) a chuté de 1 507,5 LL/USD à ~90 000 LL/USD (mai 2025, plateforme Sayrafa et marché parallèle), soit une dévaluation de 98,3 %.
  • Contraction économique : Le PIB réel a diminué de 39,9 % entre 2018 et 2022, avec un PIB par habitant passant de 8 000 USD à ~2 500 USD (Banque mondiale, 2023).
  • Inflation : L’indice des prix a atteint 221巴巴3 % en 2023, avec des hausses de 550-1 000 % pour les produits essentiels (blé, carburant, médicaments).
  • Pauvreté et chômage : 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 50 % est vulnérable (ONU, 2023). Le chômage atteint 29,6 % (58 % chez les 15-24 ans).
  • Crise bancaire : Les pertes bancaires sont estimées à 72-100 milliards USD, dues à :
    • L’exposition des banques privées à la BDL (~44 milliards USD de dépôts bancaires, en grande partie irrécouvrables).
    • La dette souveraine en défaut (~40 milliards USD, mars 2020).
    • Les prêts non performants (NPLs) à 79 % (47,4 milliards USD sur un portefeuille de 60 milliards USD, décembre 2023).
  • Dépôts bloqués : Les dépôts bancaires (~90 milliards USD) sont inaccessibles en raison de restrictions informelles, avec des retraits limités souvent en livres à des taux dévalués (ex. : 8 000 LL/USD), entraînant une perte de 80-90 % de leur valeur réelle.

1.2. Liquidités et dollarisation

  • Réserves de la BDL : Les réserves en devises s’élèvent à ~12 milliards USD (2023), en grande partie immobilisées pour stabiliser la livre via Sayrafa (profits d’arbitrage : 2,5 milliards USD). Un épuisement est projeté d’ici mi-2026 sans financements externes.
  • Économie parallèle : Une économie dollarisée informelle (~9,9 milliards USD, 50 % du PIB en 2022) domine les transactions, les banques privées n’offrant plus de crédit ni de liquidités significatives.
  • Blocage FMI : L’accord préliminaire de 3 milliards USD (avril 2022) est suspendu faute de réformes (contrôle légal des capitaux, restructuration bancaire, audit de la BDL), bloquées par la paralysie politique et la résistance des élites.

1.3. Objectif et mécanisme de la mesure

  • Contexte : Nommée le 27 mars 2025, Karim Souaid cherche à augmenter les liquidités des banques privées et de la BDL pour éviter un effondrement systémique d’ici mi-2026, en l’absence d’un accord FMI.
  • Mécanisme : Exiger des emprunteurs le paiement rétroactif de la différence entre le taux de remboursement des prêts (1 500 LL/USD, 2019-2023) et le taux actuel (90 000 LL/USD), ciblant les prêts immobiliers, commerciaux, et à la consommation.
  • Bénéficiaires : Les banques privées (Bank Audi, BLOM Bank, etc.) recevraient les fonds pour leur recapitalisation, tandis que la BDL pourrait en absorber une partie pour couvrir ses pertes (passif net : 50 milliards USD).

2. Estimation des fonds récupérables

2.1. Portefeuille de prêts

  • Encours initial (2018) : Le portefeuille de prêts bancaires s’élevait à 60 milliards USD, répartis ainsi :
    • Prêts immobiliers : 40 % (24 milliards USD).
    • Prêts commerciaux : 35 % (21 milliards USD).
    • Prêts à la consommation : 25 % (15 milliards USD).
  • Remboursements ciblés : Environ 30-50 % des prêts (18-30 milliards USD) ont été remboursés à 1 500 LL/USD entre 2019 et 2023, selon les directives de la BDL et des banques privées.

2.2. Calcul de la différence

  • Formule : Montant en USD × (90 000 LL/USD – 1 500 LL/USD) ÷ 90 000 LL/USD = Différence en USD.
  • Exemple : Pour 1 million USD remboursé :
    • Remboursé : 1 million USD × 1 500 LL/USD = 1,5 milliard LL.
    • Valeur actuelle : 1 million USD × 90 000 LL/USD = 90 milliards LL.
    • Différence : 88,5 milliards LL ÷ 90 000 LL/USD = 983 333 USD (0,983 USD par dollar).
  • Estimation globale :
    • Scénario bas (18 milliards USD) : 17,69 milliards USD.
    • Scénario haut (30 milliards USD) : 29,49 milliards USD.
    • Médiane : 15-20 milliards USD, cohérente avec les estimations relayées sur X.

2.3. Ventilation par type de prêt

  • Prêts immobiliers (7,2-12 milliards USD remboursés) : 7,08-11,8 milliards USD récupérables.
  • Prêts commerciaux (6,3-10,5 milliards USD) : 6,19-10,32 milliards USD récupérables.
  • Prêts à la consommation (4,5-7,5 milliards USD) : 4,42-7,37 milliards USD récupérables.
  • Total médian : ~23,9 milliards USD, mais limité par les défauts et contentieux.

2.4. Besoin de recapitalisation

  • Estimation : Le FMI et l’Association des banques du Liban estiment les besoins de recapitalisation des banques privées à 15-25 milliards USD (~20 milliards USD médian) pour :
    • Restaurer la solvabilité des banques viables.
    • Protéger les petits déposants (jusqu’à 100 000 USD, ~70 % des comptes).
    • Financer les fusions et liquidations (plan du 27 mars 2025).
  • Comparaison : Les 15-20 milliards USD potentiels couvriraient 75-100 % des besoins, mais la collecte réelle serait moindre (5-10 milliards USD estimés après défauts et litiges).

3. Obstacles à la mise en œuvre

3.1. Contraintes juridiques

  • Non-rétroactivité : La mesure contrevient à l’article 2 du Code civil libanais, qui interdit la rétroactivité des lois sauf pour motif d’ordre public. Les contrats exécutés (prêts remboursés) sont protégés par l’article 249 du Code des obligations et des contrats, interdisant les modifications unilatérales.
  • Contentieux : Les emprunteurs peuvent invoquer l’inconstitutionnalité pour violation de l’égalité (article 7) et du droit de propriété (article 15). Les juges des référés, souvent favorables aux déposants (arrêts de 2022-2024), pourraient suspendre la mesure.
  • Jurisprudence internationale : En France, la Cour de cassation (septembre 2024) a validé la compétence des tribunaux français pour les litiges de déposants contre les banques libanaises, invalidant les clauses attributives de juridiction. Aux États-Unis, une cour d’appel (décembre 2022) a autorisé des poursuites similaires, renforçant les recours à l’étranger.

3.2. Rétroactivité des déposants

  • Contexte : La mesure, en imposant une rétroactivité aux emprunteurs, établit un précédent permettant aux déposants de réclamer la rétroactivité pour récupérer la valeur réelle de leurs dépôts (~90 milliards USD). Les retraits, souvent en livres à des taux dévalués (8 000 LL/USD), ont entraîné une perte de 80-90 % de la valeur des dépôts.
  • Dans l’intérêt des déposants : Cette revendication est légitime, car les banques privées ont violé l’article 754 du Code de commerce (restitution en même espèce). Des jugements libanais (Beyrouth, Nabatiyé, 2022-2024) ont ordonné des restitutions en devises, comme celui du juge Faisal Makki (saisie conservatoire contre la SGBL, 2023).
  • Impact sur les banques : Si les déposants obtiennent gain de cause, les banques privées, déjà insolvables, feraient face à des obligations massives, dépassant leurs actifs liquides. Cela pourrait précipiter leur faillite ou nécessiter une intervention de la BDL, aggravant ses propres pertes (50 milliards USD).

3.3. Insolvabilité des emprunteurs

  • Ménages : Le pouvoir d’achat a chuté de 98 % (1 million LL = 667 USD en 2019, 11 USD en 2025). Avec 80 % de la population sous la pauvreté et des dépôts bloqués, les ménages ne peuvent payer des sommes rétroactives (ex. : 9 833 USD pour un prêt de 10 000 USD).
  • PME : Les petites entreprises (90 % du tissu économique) sont en détresse (785 fermetures de restaurants/cafés en 2019-2020, 25 000 emplois perdus). L’absence de crédit bancaire depuis 2019 limite leur liquidité.
  • Chômage et pauvreté : Le chômage (29,6 %, 58 % chez les jeunes) et la pauvreté (80 %) rendent la collecte irréalisable.

3.4. Défauts de paiement

  • NPLs actuels : 79 % des prêts (47,4 milliards USD) sont non performants (décembre 2023).
  • Impact de la mesure : 75-80 % des prêts visés (13,2-23 milliards USD) feraient défaut, portant les NPLs à 80-90 % (48-54 milliards USD).
  • Ventilation :
    • Prêts immobiliers : 80 % en défaut (5,76-9,44 milliards USD).
    • Prêts commerciaux : 60-70 % en défaut (3,71-7,22 milliards USD).
    • Prêts à la consommation : 80 % en défaut (3,54-5,90 milliards USD).

4. Conséquences économiques

4.1. Effets à court terme

  • Réduction de la consommation : Les ménages, contraints de réduire leurs dépenses pour payer, freineraient la demande dans une économie où le PIB par habitant est à 2 500 USD. Cela affecterait les PME (90 % des entreprises), amplifiant la récession (-39,9 % du PIB, 2018-2022).
  • Inflation et dévaluation : La demande accrue de USD pour les remboursements pourrait pousser le taux de change au-delà de 90 000 LL/USD, alimentant l’inflation (221,3 % en 2023).
  • Recapitalisation partielle : Une collecte de 15 milliards USD couvrirait 75 % des besoins de recapitalisation des banques privées (20 milliards USD). Cependant, les fonds risquent d’être absorbés par la BDL (passif net : 50 milliards USD) ou immobilisés (exposition à la dette souveraine : 40 milliards USD).

4.2. Effets à moyen et long terme

  • Crise de confiance : La mesure, favorisant les banques privées et la BDL au détriment des emprunteurs, aggraverait la défiance envers les institutions. L’économie parallèle (9,9 milliards USD, 2022) s’intensifierait, et les envois de fonds de la diaspora (~20 % du PIB) diminueraient.
  • Blocage de la reprise : La baisse de la consommation et de l’investissement freinerait les réformes exigées par le FMI (contrôle des capitaux, audit), retardant le prêt de 3 milliards USD.
  • Inégalités : Les petits emprunteurs (ménages, PME) seraient les plus touchés, tandis que les gros emprunteurs, souvent connectés, bénéficieraient d’exemptions, creusant l’écart (48 % de la richesse détenue par 1 % en 2020).

4.3. Impact macroéconomique

  • PIB : La récession s’aggraverait, l’économie dépendant de l’aide humanitaire (1,5 milliard USD, 2023) et des envois de fonds.
  • Balance des paiements : Sans afflux externes, les fonds collectés resteraient dans le système bancaire, sans améliorer la balance.
  • Risque systémique : L’épuisement des liquidités mi-2026, sans accord FMI, pourrait précipiter un effondrement bancaire, aggravé par les revendications des déposants.

5. Conséquences sociales et politiques

5.1. Injustice perçue

  • Les emprunteurs, ayant respecté les règles imposées par la BDL et les banques privées, considéreraient la mesure comme un « double standard », les banques bloquant 90 milliards USD de dépôts tout en exigeant des paiements rétroactifs.
  • La rétroactivité réclamée par les déposants, bien que dans leur intérêt, mettrait les banques privées sous pression, leurs actifs liquides étant insuffisants pour répondre à ces obligations.

5.2. Troubles sociaux

  • Des manifestations, similaires à celles de 2019, sont probables, alimentées par la perception d’injustice et les inégalités (protection des gros emprunteurs). Les tensions sociales, déjà vives (80 % de pauvreté), s’accentueraient.
  • La mesure pourrait exacerber l’émigration des jeunes (58 % de chômage), privant l’économie de main-d’œuvre qualifiée.

5.3. Pression politique

  • Le Parlement, divisé et sensible à l’opinion publique, pourrait rejeter la mesure, comme d’autres projets impopulaires (plan bancaire 2020). La paralysie politique, illustrée par le blocage des réformes FMI, limite la faisabilité.

6. Analyse de la recapitalisation et des dépôts

6.1. Adéquation pour la recapitalisation

  • Banques privées : Les 15-20 milliards USD potentiels couvrent 75-100 % des besoins de recapitalisation (20 milliards USD), mais la collecte réelle serait limitée à 5-10 milliards USD après défauts (75-80 %) et contentieux.
  • BDL : Une partie des fonds pourrait être absorbée pour couvrir les pertes de la BDL (50 milliards USD), réduisant l’impact sur les banques privées.
  • Inefficacité systémique : Les pertes totales (72-100 milliards USD) excèdent largement les fonds récupérables, et l’exposition à la dette souveraine (40 milliards USD) immobilise les actifs.

6.2. Problématique des dépôts

  • Revendications des déposants : La rétroactivité imposée aux emprunteurs légitime les demandes similaires des déposants pour récupérer la valeur réelle de leurs dépôts (90 milliards USD). Des précédents juridiques (tribunaux libanais et étrangers, 2022-2024) soutiennent ces revendications, augmentant la pression sur les banques privées.
  • Risque pour les banques : Une obligation de restitution en devises fortes dépasserait les capacités des banques, précipitant leur insolvabilité sans intervention massive de la BDL ou de l’État.
  • Équité : La rétroactivité des déposants, bien que bénéfique pour eux, révélerait l’iniquité de la mesure, qui favorise les banques au détriment des citoyens.

6.3. Comparaison avec les alternatives

  • Accord FMI : Le prêt de 3 milliards USD, conditionné à des réformes, offrirait un financement externe sans transférer la charge aux emprunteurs. Le plan de restructuration du 27 mars 2025 (fonds de gestion des actifs, fusions) est plus viable.
  • Financements externes : Mobiliser la diaspora ou des investissements étrangers, bien que difficile, éviterait les tensions sociales et juridiques.

7. Conclusion et recommandations

La mesure proposée par la BDL, visant à collecter 15-20 milliards USD pour recapitaliser les banques privées et la BDL, est inadéquate face aux pertes systémiques (72-100 milliards USD). L’insolvabilité des emprunteurs (80 % sous la pauvreté), les obstacles juridiques (non-rétroactivité, contentieux), et les revendications des déposants (90 milliards USD) limitent la collecte à 5-10 milliards USD. La mesure aggraverait la récession, l’inflation (221,3 %), et les inégalités, tout en risquant des manifestations et une perte de confiance. Sans accord FMI, les liquidités s’épuiseront d’ici mi-2026, mais cette approche, au détriment des débiteurs, est insoutenable.

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