Lors de son déplacement à Washington, en marge des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, le gouverneur de la Banque du Liban Karim Souaid a présenté pour la première fois sa vision de la politique monétaire qu’il entend adopter. depuis sa nomination Selon des sources médiatiques, son axe principal est la lutte contre l’économie cash.
Mais cette ambition ne pourra aboutir sans rétablir la confiance dans le système bancaire libanais, gravement endommagé. Et cette confiance, condition indispensable pour assainir le système, passe par une transparence totale : levée effective du secret bancaire, audit indépendant des années passées, et restructuration profonde du secteur bancaire. Cette exigence est d’autant plus cruciale à la lumière des scandales qui ont éclaboussé le secteur financier libanais ces dernières années, notamment les affaires « Forry Associates » et « Optimum Invest », impliquant directement l’ancien gouverneur Riad Salamé ainsi que des circuits opaques liés à la Banque du Liban elle-même et dont ont aussi bénéficié les banques du secteur privé. Il y a eu des conflits d’intérêts. Le rôle de la Banque du Liban, qui est censée assurer la régulation et l’arbitrage du système bancaire, est ici mis en cause : elle a manifestement failli à sa mission.
Une réforme beaucoup plus profonde du Code de l’argent et du crédit que celle récemment est aujourd’hui indispensable pour éviter à l’avenir de telles dérives systémiques. Il faut désormais séparer la Banque du Liban de la régulation et de la tutelle bancaire et aussi créer de nouvelles autorités de tutelle notamment dans le domaine financier voire même boursier comme nous allons le voir.
Il est également essentiel de rappeler que les banques privées ont largement participé à ces pratiques opaques, en toute connaissance de cause. Ce processus impliquera la liquidation des banques non viables, la fusion de certaines autres et, pour la première fois depuis des années, une lecture sans fard des bilans bancaires. Cela mettra en lumière les graves problèmes de liquidité, la surévaluation d’actifs – notamment immobiliers –, ainsi que diverses manipulations sur les taux d’intérêt et les rendements.
Le gouverneur a aussi promis aux autorités américaines de lutter contre les réseaux financiers liés au Hezbollah, qui s’appuient massivement sur l’économie informelle.
Parallèlement, le gouverneur de la Banque du Liban pousse à la privatisation d’actifs publics relevant de sa juridiction, en particulier les actifs détenus par la Banque du Liban tels que le Casino du Liban et Middle East Airlines. Il souhaite passer à l’acte rapidement, ciblant ces biens spécifiques, avec l’objectif implicite de forcer la main du gouvernement, sans que cela ne s’inscrive dans une stratégie globale cohérente décidée au niveau de l’État lui-m^zmz.
Toutefois, même si la Banque centrale n’a pas vocation légale à conserver des entreprises commerciales, un problème majeur subsiste : la valorisation extrêmement basse de ces actifs en raison de la crise. Aujourd’hui, la Middle East Airlines serait estimée entre 300 et 500 millions de dollars, le Casino du Liban autour de 80 à 100 millions. Des montants dérisoires face aux pertes de la Banque du Liban, que certains vont jusqu’à évaluer à plus de 50 milliards de dollars selon des sources officielles.
Derrière cette stratégie de privatisation, une inquiétude majeure émerge : Karim Souaid est connu pour sa proximité avec certaines banques privées, dont il avait auparavant défendu les intérêts. Avant même sa prise de fonction, il s’était déclaré favorable à la liquidation de l’or de la Banque du Liban pour éponger les pertes, une position extrêmement sensible. Aujourd’hui, s’il semble mettre de côté l’idée de vendre l’or, il privilégie la vente des biens publics.
Cette orientation est problématique : je ne suis pas opposé à la privatisation en soi, à condition qu’elle serve à stimuler la croissance économique, générer de la richesse et bénéficier à l’ensemble de la population. En revanche, liquider des actifs publics, souvent sous-évalués mais riches en potentiel, pour combler des pertes financières, reviendrait à porter un coup grave à l’intérêt général. : que ces actifs ne soient pas mis au service de la croissance nationale, mais captés par une minorité liée au pouvoir politique, comme ce fut le cas lors de précédentes opérations de privatisation opaques, notamment celles concernant des services publics essentiels comme la mécanique automobile et LibanPost, où des concessions publiques ont été transférées sans transparence réelle et au détriment de l’intérêt général.
Ces entreprises devraient être introduites en bourse afin de créer un élan et un véritable marché secondaire, améliorer l’attractivité économique du Liban au niveau régional, et positionner le pays comme un hub, à l’image de Dubaï. Leur cotation permettrait d’assurer une comptabilité transparente et accessible à tous, ce qui est fondamental dans un contexte où l’opacité actuelle des bilans favorise certaines mafias économiques.
S’agissant d’Électricité du Liban (EDL), il convient de préciser qu’elle n’est pas concernée par la vente des actifs de la Banque du Liban, puisqu’elle n’appartient pas à cette dernière. Mais à ce qu’on sache, les projets actuels de restructuration ne servent pas l’intérêt public : ils visent à laisser les centres de pertes dans le giron de l’État tout en attribuant les parties rentables à des intérêts privés. De plus, les propositions actuelles consistaient à compartimenter le marché de manière régionale, créant de nouveaux monopoles locaux. Si l’on souhaite véritablement libéraliser le secteur de l’électricité et faire baisser les prix, il serait préférable de permettre aux consommateurs de choisir librement leur fournisseur, qu’ils soient au Sud, au Nord ou à Beyrouth, et d’encourager ainsi une véritable compétition dans la production et la distribution du courant. La perpétuation d’esprits de monopoles privés serait la pire évolution possible pour l’économie libanaise.
Une stratégie visant à stimuler un marché secondaire est d’autant plus nécessaire qu’une partie de la restructuration du secteur bancaire impliquerait un mécanisme de bail-in, où certains déposants se verraient attribuer des actions en échange de leurs pertes. Dans ce contexte, la cotation en bourse offrirait la possibilité aux déposants de revendre leurs actions de manière transparente et à un prix de marché, évitant ainsi des ventes de gré à gré exposées à des manipulations de prix et les informations asymétriques.
La question centrale reste entière : la vente de ces actifs, même réussie, ne suffira pas à recapitaliser la Banque du Liban. L’enjeu dépasse la seule recapitalisation : il s’agit de savoir si ces opérations s’inscriront dans une logique de réforme structurelle et de stimulation durable de l’économie libanaise et non simplement de couvrir des pertes. Il est impératif de rompre avec une logique de rente qui a longtemps prévalu au Liban, au profit d’une économie compétitive et orientée vers la production de richesse. Historiquement, les précédentes tentatives ont souvent vu la domination de l’esprit rentier au détriment du développement productif. Cette mentalité doit impérativement changer pour que les privatisations servent réellement l’intérêt général et favorisent une croissance inclusive et durable.