Alors que certains évoquent la vente des actifs publics comme solution à la crise financière libanaise, des voix s’élèvent pour rappeler que cette option ne pourra être envisagée sans des réformes préalables profondes et structurantes. Avant toute cession, plusieurs étapes indispensables doivent être franchies pour restaurer la confiance et éviter une fuite en avant dramatique.
La première urgence est la restructuration complète de l’État et de ses ministères. Cela passe par l’élimination des excès de personnel, la rationalisation des dépenses et la réduction du coût de fonctionnement de la machine publique. Dans le même temps, il est impératif d’instaurer une justice indépendante, libérée de toute influence politique et bancaire, dotée de pouvoirs réels pour enquêter, poursuivre et juger les responsables de la crise financière. La Cour des comptes, aujourd’hui largement marginalisée, doit retrouver son autonomie et son droit d’action en justice contre toute entité publique ou privée.
Un audit complet de l’État, de la Banque du Liban et des banques privées est également indispensable pour établir la situation réelle des finances du pays. Ce diagnostic permettra d’engager une restructuration de la dette publique, en étalant les remboursements sur vingt ans à un taux faible, n’excédant pas le LIBOR. Parallèlement, le secteur bancaire devra être profondément assaini.
Mais au-delà de ces mesures, une réforme institutionnelle clé s’impose : séparer définitivement la fonction de “Banque de l’État”, réservée aux ministères et institutions publiques, de celle de “Banque des banques”, chargée d’encadrer et de réguler les établissements privés. Une loi devra interdire strictement l’utilisation des dépôts bancaires pour financer l’État, mettant fin aux ingénieries financières désastreuses qui ont contribué à l’effondrement de la Banque Centrale et ruiné les déposants.
Autre réforme capitale : la mise en place obligatoire de “Segregated Accounts” dans toutes les banques libanaises. Inspiré du modèle américain, ce mécanisme protège la propriété des fonds des clients. Aux États-Unis, les sommes destinées aux Segregated Accounts transitent par un fonds fédéral avant d’être transférées au nom du client vers l’établissement choisi. En cas de faillite bancaire, ces comptes sont transférés vers une autre banque ou un broker dans un délai d’un mois, ou remboursés par décision judiciaire. Chaque relevé bancaire doit porter la mention « Seg », garantissant ainsi la séparation entre la propriété du compte et sa gestion administrative par la banque.
Ces réformes ne sont pas facultatives. Elles sont la condition sine qua non pour redonner au Liban une chance de se redresser sans brader son patrimoine public. Car les actifs de l’État, aussi précieux soient-ils, ne pèseront jamais face aux 70 à 80 milliards de dollars de pertes accumulées. La priorité aujourd’hui n’est pas de vendre, mais de reconstruire sur des bases saines.
Bernard Raymond Jabre